Sublime invitation à l’aventure, La Forêt d’émeraude de John Boorman est surtout une grande fable écologiste qui semble avoir inspiré Avatar sous bien des aspects.
À l’aube des années 80, le grand public redécouvre la splendeur du film d’aventures grâce à Steven Spielberg avec Les Aventuriers de l’arche perdue. Le genre vit un nouvel essor et de nombreux cinéastes vont s’y confronter, généralement avec cette même envie de spectacle familial et fédérateur. Mais s’il y a bien un réalisateur qui saura apporter un regard radicalement différent, c’est sans aucun doute le talentueux John Boorman.
En 1985, le cinéaste britannique à qui l’on devait déjà des classiques comme Excalibur réalise La Forêt d’émeraude. Sa fresque à gros budget démontre un véritable sens du spectacle et de la générosité. Mais Boorman remplace la traditionnelle légèreté du film d’aventures pour offrir au public une œuvre plus exigeante et bien plus sombre. Il crée alors une œuvre écologiste particulièrement lucide et avant-gardiste. Voyons comment le réalisateur est parvenu à conjuguer récit d’aventures et message politique.
La prochaine fois je viserai le cœur
LE ROYAUME DU CRÂNE D’ÉMERAUDE
Sur le plan purement formel, La Forêt d’émeraude semble cocher aisément toutes les cases du grand film d’aventures. Tout d’abord, John Boorman s’attache à plonger ses spectateurs au cœur d’un voyage dépaysant. Il filme avec soin des décors extraordinaires. Le cinéaste nous fait vivre la découverte de la forêt comme une expérience fabuleuse et sensorielle. Le film nous accueille dans une urbanité familière avant de plonger vers un monde nouveau.
On ressentait déjà la fascination du cinéaste pour les décors naturels dans ses œuvres précédentes, en particulier dans Excalibur, où il filmait l’Irlande avec une passion contagieuse. Il y avait également dans Zardoz cette opposition entre bâtiments futuristes désincarnés et nature généreuse, indomptable. Cette fois-ci, il passe à la vitesse supérieure en faisant des arbres et des cascades les repères principaux de sa narration. Afin de comprendre des personnages principaux dont le monde entier tient en une forêt, le spectateur se devait de faire ce voyage qui vire à l’égarement.
Autre élément majeur du film d’aventure, La Forêt d’émeraude offre son lot de séquences spectaculaires. Citons par exemple les nombreux affrontements entre les Invisibles et les Féroces, deux tribus ennemies au centre de la narration. Mais le clou du spectacle restera bel et bien la destruction du barrage en fin de récit. Une séquence dont la mise en scène chaotique semble anticiper avec une décennie d’avance l’explosion du film catastrophe hollywoodien.
Notons cependant que John Boorman subvertit déjà le genre dans son approche du spectacle. Contrairement à Indiana Jones ou Le diamant du Nil, sorti lui aussi en 1985, La Forêt d’émeraude n’aborde pas l’action avec légèreté. Son approche de la violence n’est jamais divertissante. Le cinéaste nous confronte plutôt à des conflits dont la brutalité est terrassante. Il n’hésite pas à s’attarder sur des plans ouvertement gores au réalisme glaçant.
Autre subversion majeure, le film vient réinventer totalement la figure héroïque du récit d’aventures. Il ne sera pas question d’y suivre un explorateur courageux, ni même un reporter blanc et jovial venu aider les peuples locaux démunis face à une menace. John Boorman va au contraire faire de la tribu des Invisibles l’ancrage émotionnel du récit. Le jeune Tommy est peut-être un enfant américain au début du film, il va cependant se révéler en tant que héros en devenant un Invisible à part entière. L’héroïsme change de camp.
Enfin, le cinéaste vient donner un peu plus d’épaisseur à un genre qui se nourrit généralement d’archétypes prévisibles. Il le fait notamment en soignant l’aspect émotionnel du scénario. Toute l’intrigue se concentre ainsi sur la relation entre un père et son fils. On peut d’ailleurs trouver un effet miroir assez passionnant entre La Forêt d’émeraude et The Lost City of Z de James Gray. Deux films qui invitent le spectateur à s’égarer. Deux films sur le lien à la paternité. Dans le premier, un père est prêt à se perdre pour retrouver son fils. Dans le second, un fils se perd pour rester aux côtés de son père.
Une crise d’adolescence pas comme les autres
LA VOIE DE L’EAU
S’il est un excellent film d’aventures, La Forêt d’émeraude reste avant tout célèbre pour son message écologiste marquant. Et pour cause, tout le long-métrage peut être perçu comme une fable visant à sensibiliser le public à diverses questions écologiques, notamment celle de la déforestation. Après tout, le récit s’ouvre littéralement sur un chantier qui détruit peu à peu la forêt pour construire un immense barrage. Dès les premières images, le ton est donné.
À peine quelques minutes plus tard, un personnage secondaire rappellera à Bill l’importance de la forêt amazonienne dans la purification de l’oxygène. Le sage Wanadi, autre figure paternelle cruciale du récit, constatera en milieu de récit que la forêt qu’il considère comme le « bord du monde » diminue d’année en année. Et le film se terminera même par un panneau qui nous confronte directement aux chiffres de l’époque sur le nombre d’hectares de forêt détruits chaque année. Difficile d’expliciter le propos plus clairement.
Une approche aussi frontale des questions environnementales pouvait donner au film des allures de documentaire militant. Ça n’est pourtant pas le cas. Non seulement parce que John Boorman assure une exécution technique brillante, mais aussi parce que La Forêt d’émeraude peut compter sur de nombreuses couches de lecture et de discours politique. Bien plus que la déforestation en elle-même, le film va ainsi aborder les conséquences directes et indirectes qui en découlent.
Le cinéaste nous plonge par exemple en plein cœur d’un bidonville abritant d’anciennes tribus ayant été forcées de quitter la forêt. On découvre à quel point cette destruction organisée les condamne à une vie de misère et de violence. C’est également à cause de la déforestation que les Féroces quittent leur territoire et finissent par entrer en guerre avec les Invisibles. Plus tard, le film nous montrera frontalement la prostitution forcée des femmes de ces tribus sans domicile. Toute la mécanique d’affrontement et de violence du film n’a donc qu’une seule origine : l’action désastreuse de l’homme moderne sur la nature.
À la lumière de ces clés de lecture, il semble difficile de ne pas voir une filiation directe entre le La Forêt d’émeraude et Avatar de James Cameron. Dans les deux cas, ces fables nous invitent à protéger la nature et nous confrontent à la disparition de peuples broyés par la modernité. Notons cependant que John Boorman n’oppose pas naïvement tradition et modernité comme s’il s’agissait d’un simple dilemme manichéen. Tout est une question d’équilibre chez le cinéaste.
Après tout, Tommy aura bien besoin des armes modernes de son père biologique pour sauver sa femme et vaincre les Féroces. Le film semble plutôt réfléchir au lien complexe entre progrès et destruction. En ce sens, la séquence finale est bien moins héroïque qu’elle ne le semble à première vue. Bill détruit le barrage et offre certainement quelques années de répit aux Invisibles. Mais pour combien de temps ? Toute la lucidité du récit nous empêche de croire à un miracle.
Rare vision de bonheur au milieu d’un récit déprimant
DANS LA LÉGENDE
Non content de subvertir un genre complexe et d’apporter un message politique pertinent, John Boorman va encore plus loin avec La Forêt d’émeraude. Comme le fera là encore Avatar des années plus tard, le film tisse un lien entre la nature et le mystique. Inutile de rappeler à quel point le réalisateur du sublime Excalibur est passionné par les notions de mythes et de légendes. Il utilise ici cette fascination pour détourner complètement le piège du faux documentaire tout en servant son propos écologiste.
Tôt dans le récit, on assiste à la cérémonie initiatique de notre jeune héros, qui symbolise par une transe son passage à l’âge adulte. Le rapport aux transes et aux psychotropes sera particulièrement important dans la narration, jusqu’au point culminant de la transe collective qui conclut le long-métrage. Loin de filmer ces rites comme un documentariste curieux, John Boorman laisse planer le doute sur la réalité tangible de ces forces mystiques.
J’ai beau être matinal, j’ai mal
Cette science du doute est plus présente que jamais lors du grand final. Si l’on voit évidemment Bill saboter le barrage, l’inondation n’est-elle pas causée par le rituel des Invisibles ? Plutôt que d’opposer la science moderne et rationnelle aux croyances ancestrales, La Forêt d’émeraude crée une zone trouble permettant aux deux notions de coexister. Une façon symbolique de prôner une fois de plus l’émergence d’un équilibre permettant au progrès de ne pas être uniquement destructeur.
Notons au passage que la magie du film est intimement liée à la préservation de la nature. Sans cette communion avec la forêt et les éléments qui la composent, les Invisibles perdent ces pouvoirs étranges qui les distinguent des autres tribus. Cette interdépendance entre nature et magie vient là encore faire écho au Excalibur de Boorman dans lequel Arthur se retrouvait maudit après avoir meurtri le sol sacré.
Même lorsque le récit ne nous suggère rien de surnaturel en tant que tel, la vision que portent les Invisibles sur le monde relève constamment de la légende. Le bord de la forêt devient le bord du monde. Les émeraudes trouvées dans la rivière deviennent des pierres magiques censées offrir à la tribu sa fameuse invisibilité. Le passage à l’âge adulte est symbolisé par une mort, puis une renaissance miraculeuse. Par ce biais, John Boorman semble s’interroger sur notre rapport au réel.
C’est bien toute cette complexité qui fait de La Forêt d’émeraude une œuvre si unique. Une grande fresque d’aventures qui réinvente et subvertit le genre en permanence. Une fable écologiste qui avait 24 ans d’avance sur Avatar. Et une réflexion passionnante sur le rationalisme moderne qui tue à petit feu toute notion de grandeur, toute capacité à créer de nouvelles légendes. Impossible de ne pas y voir un coup d’éclat artistique indémodable.
Je n’ai pas vu le film par contre j’ai lu le livre dont il est adapté (un très bon Robert Holdstock). Je l’avais lu très jeune et l’histoire m’avait vraiment marquée. Le film a l’air tout aussi marquant, faut que je le vois du coup !
J’ai souvenir d’avoir vu ce film très jeune, à peine une dizaine d’années, et d’avoir été fasciné par celui-ci. Je pense que comme Eddie Felson, ce film a contribué à mon amour du cinéma, et au fait de comprendre que le cinéma est autre chose que simplement raconter une histoire, que la mise en image aussi est importante.
J’ai du le revoir une seconde fois, un peu plus tard, puis plus une seule diffusion à la télévision. Je ne l’ai jamais revu depuis, mais j’en garde toujours un excellent souvenir (alors que mes frères et mes parents avaient trouvé ça ennuyant). J’aimerais le revoir, mais où donc est-il disponible ?…
Un film magnifique et oublié je trouve, Boorman est un des plus grands faiseur d images
Merci de le rappeler Monsieur Costa
@Kyle Reese totalement d’accord! Excalibur & La Forêt d’émeraude sont deux des films m’ayant fait aimer le Cinéma et, surtout, montrer que des films pouvaient être des oeuvres d’art qui pouvaient aussi être porteurs de sens et de messages. Sérieuse envie de le revoir!
Ce film est juste un petit joyaux, et sans jeu de mot haha ;D
Quand j’étais môme, je dormais mal et je descendais souvent voir mes parents qui regardaient la télé. Et certaines images m’ont impressionné plus que nombre d’autres : Jack Burton, Escape from NY, Conan le barbare et bien sur, la forêt d’émeraude.
Il s’agissait de la scène d’initiation. Purée, faut comprendre ce que tu vois quand t’es jeune et que tu vois un ado se faire bouffer par des fourmis.
Bien des années plus tard, des images en tête, je vois enfin ce film pour la première fois en entier.
Masterpiece, chef d’œuvre, merveille. Une de mes pépites d’amour.
Qu’est ce que j’ai pu aimer ce film.
Un conte moderne à l’époque encore plus moderne aujourd’hui avec ce qui nous tombe sur la tête. ( la 6 eme extinction, toute la biodiversité en danger) Une ode Rousseauiste à la nature et au retour à l’essentiel.
Un film magnifique qui m’a marqué profondément. Oui ce film est plus fort dans mon souvenir qu’Avatar, au niveau émotionnel et symbolique. La musique aussi est superbe. Une belle est grande œuvre. Avec Excalibur et Délivrance, mes 3 films préférés de Borman.
Bien meilleur qu’Avatar, à tout égard … comme tous les Boorman d’ailleurs!
Film magnifique, visuellement, et très en avance sur son temps, un conte de fées sublime et cruel, j’ai en mémoire le visuel du film, la scène près de la cascade, les fusillades entre les deux clans, et powers boother, bien sûr!!!