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Sidekicks : l’ego-trip ultime de Chuck Norris (que tout le monde a oublié)

Par Ange Beuque
17 juin 2023
MAJ : 24 mai 2024

Beaucoup d’adolescents sont brimés, mais combien peuvent, comme le héros du film Sidekicks, compter sur le meilleur ami imaginaire de l’univers : Chuck Norris ?

Sidekicks : Chuck Norris Sidekicks

Les plus vieux ont forcément digéré le poulet rôti dominical en le regardant redresser du déviant à coups de pied dans la gueule, les plus jeunes (mais déjà un peu vieux sans doute) ont fatalement partagé des Chuck Norris Facts, ces aphorismes humoristiques érigés au rang de mème. Bref : d’une manière ou d’une autre, tout le monde connaît Chuck Norris. C’est pourquoi la perspective de le voir s’improviser coach d’un adolescent brimé dans Sidekicks a tout du programme alléchant, surtout s’il a l’occasion de rejouer des pans entiers de sa filmographie.

Les spectateurs ont dû s’en décrocher la mâchoire. Bruce Lee s’avance, en sueur et en confiance, pour le duel final de La Fureur du Dragon et le sort que le scénario réserve à son antagoniste ne laisse guère de doute. Et voilà que se dresse face à lui un karatéka accompli qui, par un engagement physique total, transcende sa condition de faire-valoir et offre au petit dragon une opposition mémorable. C’est l’acte de naissance cinématographique de Carlos Ray Norris.

Propulsé, l’acteur connaît une ascension linéaire. Après son premier rôle principal en 1977 dans le bien nommé Les Casseurs, celui qui a gagné à l’US Air Force son surnom de « Chuck » enchaîne les têtes d’affiche (Le Commando des tigres noirs, La Fureur du juste, Invasion USA) et devient l’une des références du film d’action reaganien tendance nanar. Hélas, même Chuck Norris perdrait au bras de fer contre le temps. Si bien qu’au début des années 90, il est contraint de se réinventer.

 

Sidekicks : Chuck Norris, Jonathan BrandisMake Asthmatic Great Again

 

Chuck pas Novice

En 1992, le ciel s’obscurcit au-dessus de Chuck Norris. Jean-Claude Van Damme lui taille des croupières et Steven Seagal émerge sur un créneau concurrent. Or, on le sait, le poids des ans pèse tout particulièrement sur les héros d’action (encore que Les Expendables leur offrira, deux décennies plus tard, un soin palliatif). Pire : les goûts du public changent, le mur de Berlin tombe et le déboîtage de communistes à un rythme stakhanoviste passe de mode. Après avoir fait siennes les années 80, l’acteur ne remplit plus autant les salles.

C’est dans ce contexte indécis que Chuck lui-même pousse l’idée du film Sidekicks, qui lui permettrait de capitaliser sur l’image de marque qu’il est devenu. Il obtient notamment l’appui d’un propriétaire de magasins de meubles de Houston pour qui il a tourné plusieurs publicités, James McIngvale, le genre d’homme à aller empocher du cash avec une brouette. Don Carmody, déjà aux affaires sur L’Arme secrète l’année précédente, en sera le producteur.

 

Sidekicks : Chuck Norris, Jonathan BrandisSauver la veuve et l’orphelin en faisant plein d’autres veuves et d’orphelins

 

De fait, Sidekicks existe surtout par et pour lui, au point d’apparaître comme un quasi-best of hagiographique de sa carrière. Engagé dans un vaste jeu référentiel, il reprend et pastiche des scènes emblématiques de ses longs-métrages précédents. L’acteur sort de l’eau comme dans Portés Disparus, donne de la mitrailleuse façon Delta force et distribue des tatanes à la volée comme dans… toute sa filmographie.

Même le nom du personnage interprété par Nickson-Soul est un clin d’œil à Dent pour dent (dont le titre original, An eye for an eye, ne renvoie donc curieusement pas au film Œil pour Œil, paru deux ans plus tard avec… également Chuck Norris). D’une manière générale, c’est tout un pan du cinéma d’action des eighties qui est ici référencé : entre deux passages aromatisés au western ou épicés de gangsters à gros calibre, il parodie ouvertement le Ninja Blanc de 1987.

Mais Sidekicks prend toute sa dimension d’ego trip planétaire lorsque Chuck Norris surgit « en chair et en os » dans la narration, puisqu’il existe en tant que tel dans sa diégèse et semble se confondre avec ses rôles. À la fois avenant et serviable, aussi humble que sûr de lui, le Chuck y apparaît forcément sous son meilleur jour. À ce stade, on a quitté depuis belle lurette les rives du rôle de composition au profit de l’autel publicitaire.

 

Sidekicks : Jonathan Brandis, Chuck NorrisChuck dans la jungle, Chuck en Asie, Chuck à la fête foraine, Les vacances de Chuck…

 

Chuck le grand frère

En 1990, Arnold Schwarzenegger découvre à son détriment que se faire respecter d’une nuée de bambins préscolarisés n’est guère moins périlleux et éprouvant que sauver le monde à la force de ses biceps. Le concept de Un flic à la maternelle, génialement burlesque et manifestement rémunérateur, fait des émules en ouvrant un débouché inespéré pour les action man vieillissants. Bien avant que Dwayne Johnson ne devienne Fée malgré lui, l’année 1992 voit Stallone (plus ou moins piégé par Schwarzy) se débattre dans l’abominable Arrête ou ma mère va tirer ! tandis que Chuck ose également l’inflexion familiale avec Sidekicks.

Car s’il revisite sa filmographie, c’est par un prisme clairement orienté vers les plus jeunes. Les règlements de compte virent ouvertement au gaguesque dans des décors et costumes qui suintent le toc, les scènes d’action sont pétries d’inconséquence, les gangsters équipés de pétoires à peinture et la violence édulcorée par des bruitages qui ne dépareraient pas dans Astérix.

En soi, ce parti-pris pourrait offrir une tranche de divertissement gentiment régressive, si les chorégraphies ne se révélaient pas trop paresseuses pour tirer profit de ce postulat débridé. On regrettera également que Chuck, bien trop conservateur vis-à-vis de son image, n’ait pas osé s’engouffrer franchement dans le second degré et l’autodérision et se prenne terriblement au sérieux.

 

Sidekicks : Jonathan BrandisSadkick

 

Reste qu’en prenant pour sujet un adolescent victime de brimades, il s’assure une portée universelle et, dans l’idée, plutôt touchante. La caractérisation d’asthmatique du personnage interprété par Jonathan Brandis (Ladybugs, L’Histoire sans fin 2) renforce sa vulnérabilité sans grande finesse, mais l’expérience du décalage vis-à-vis des autres et de la honte (par exemple en s’endormant en plein cours) parlera à beaucoup. Ce thème résonne intimement chez Norris, qui raconte avoir souffert de racisme dans sa jeunesse en raison de ses origines Cherokee, ce qui l’a largement incité à se diriger vers les sports de combat.

Vous êtes-vous déjà fantasmé en dur à cuire donnant une raclée à la petite frappe qui vient de vous mettre un coup de pression ? Non ? Eh bien, le rédacteur de cet article a un ami à qui c’est arrivé. Si d’aventure c’est aussi votre cas, vous n’en avez probablement rien fait. Et si vous vous retournez toutes les nuits dans votre lit à vous demander si cela fait de vous un couard, ne vous tourmentez pas davantage, la réponse est dans le film : c’est tout simplement parce que vous n’aviez pas la chance d’avoir le meilleur ami imaginaire de l’univers, le légendaire Chuck Norris.

 

Sidekicks : Chuck Norris, Jonathan Brandis, Danica McKellarA-t-on revu les enfants qui mettaient des coups de pression racistes au petit Chuck ?

 

Sidekicks se structure autour de fréquents aller-retour entre la réalité oppressive et les rêveries de l’adolescent, qui y déroule ses vengeances symboliques. Comme tout un chacun, Barry transpose dans ses fantasmes les protagonistes de son existence : son love interest devient prévisiblement la demoiselle à sauver et ses harceleurs des antagonistes à déboulonner. Les deux dimensions s’interpénètrent régulièrement, conférant au montage un brin de ludisme et de dynamisme à coups de ninja débarquant à l’improviste derrière une professeure.

L’orientation familiale du projet se répercute derrière l’écran, puisque le film est mis en boîte par un certain Aaron Norris, frère de. D’abord cascadeur et cantonné à des petits rôles, il passe à la production (Œil pour Œil de Steve Carver, première apparition du Chuck barbu) puis à la réalisation au cours des années 80. C’est donc en toute logique qu’il se retrouve à diriger son aîné : Sidekicks constitue leur troisième collaboration, après l’enchainement Delfa Force 2 et L’Arme secrète les deux années précédentes.

 

Sidekicks : Jonathan BrandisL’ordre et la morale de droite

 

Chuck Nourrice

Sidekicks s’empare de ce thème d’enfant harcelé pour parler de transmission. Il prend logiquement la forme d’un film d’initiation bien caricatural, livré avec son maître asiatique azimuté interprété par Mako (l’enchanteur de Conan le Barbare). Facétieux et prodiguant de généreuses louchées de maximes en mousse, il démontre surtout aux mollassons que nous sommes qu’il suffit d’aller à pied au lycée pour développer un cardio de champion et une réassurance spectaculaire. Quant à la domestication du nunchuk, elle semble obéir à la théorie des 10.000… minutes.

La trame converge vers un concours final où chaque « gentil » aura commodément l’occasion de briller. Mais s’il s’octroie son petit arc revanchard personnel, Chuck a le bon goût de laisser le challenge décisif entre les poings de son jeune héros. Ainsi qu’en atteste le titre du film, pas question de marcher seul, cette fois.

 

Sidekicks : Jonathan BrandisBarry Glabrewsky

 

Par sa figure tutélaire, Norris s’érige en modèle à suivre, sorte de grand frère idéal qui, deux décennies plus tard, serait probablement devenu coach de vie sur YouTube (sur lequel l’acteur ouvrira effectivement une chaîne). Son credo : trouve tes ressources et accomplis-toi toi-même, puisqu’après tout l’essentiel de son aide reste purement imaginaire. Alors certes, on le concevrait tout aussi facilement dans le rang des brutes harceleuses, mais il se montre ici bienveillant envers les faibles (du moins tant qu’ils se révèlent disposés à évoluer), d’autant que la représentation de son héros geek, pour archétypale qu’elle soit, se révèle plutôt moins crispante que la moyenne de ces années-là.

Pour opportuniste qu’il puisse paraître au premier abord, cet attachement à la transmission est en réalité très cohérent avec le parcours de Chuck. Ceinture noire de tangsudo et de taekwondo (dont il devient l’un des premiers maîtres occidentaux), reconnu dans le milieu et salué par la presse spécialisée, Norris ouvre sa propre chaîne de dojo et en implante une succursale à Hollywood afin de dispenser des conseils de crédibilité aux aspirants bagarreurs. C’est ainsi qu’il se retrouve personnellement à former Steve McQueen, qui l’encourage en retour à prendre des cours d’art dramatique.

 

Sidekicks : Jonathan Brandis, Chuck NorrisNunchuk Norris

 

La dévotion de Norris envers l’art martial n’est nullement contestable, au point qu’il a refusé de jouer dans Karaté Kid en 1984 au motif que le méchant du film donne de la pratique une image négative (Sidekicks semble d’ailleurs en être la réponse). Il a également fondé l’association Kick Drugs Out of America, qui s’attelle au fléau des addictions en initiant des jeunes au combat. S’il est tentant de caricaturer l’idée selon laquelle pour Chuck, les poings peuvent tout résoudre, sa démarche reste celle d’un passionné convaincu des vertus des valeurs martiales.

Ce passage de relais est également lié à un impératif de changement. En effet, l’horizon de Norris ne se dégage pas vraiment. Cannon Group, société de production de longs-métrages à petits budgets qui a financé tant d’inoubliables de sa filmographie, sombre jusqu’à être absorbée par la MGM en 1993.

 

Sidekicks : Chuck Norris, Jonathan BrandisChucking express

 

Or, Sidekicks ne constitue pas la voie de secours espérée, rencontrant un succès modeste doublé d’une réception critique plus que frileuse. Certes, Chuck retentera l’option tout public avec Top Dog et Forest Warrior, mais il pressent qu’il doit trouver un autre filon. C’est non sans un certain flair qu’il se dirigera vers la télévision : coproduit avec son frangin, Walker Texas Ranger est lancé en 1993.

On ignore combien de champions de karaté ou de jeunes adultes en rémission post-traumatique de l’adolescence se réclament des enseignements du bon Chuck. Reste qu’en dépit de sa dernière scène qui semble promettre une suite inclusive des plus intrigantes, Sidekicks n’est pas entré à la postérité. Ce n’est donc finalement pas l’inflexion familiale qui assura la pérennité de notre karatéka républicain préféré, mais bien d’avoir devancé la peak TV en misant sur le petit écran pour se ménager une place au chaud dans les foyers pendant de longues années. Et s’il était là, le plus spectaculaire des Chuck Norris Fact ?

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Prisonnier

@Ange

J’imagine la scène, Geoffrey, Ange et Chuck Norris assis devant une table. Geoffrey le pouce en l’air, Ange le pouce en bas et Chuck, au bout d’un suspens incroyable, par lever le pouce… Écranlarge, même pas mal

Ange Beuque

@cidjay

D’ailleurs à partir de fin 2023, ce sera Chuck Norris qui sera chargé de la modération.

Morcar

J’ai souvenir à l’époque de mon grand frère qui avait acheté la VHS du film en me disant que ça allait être un film terrible ! Personnellement, j’avais trouvé ça très moyen. Lui avait d’avantage aimé. Peu après, il passait ses dimanches après-midi à somnoler devant Walker. ^^

Geoffrey Crété

@cidjay

On vous a déjà répondu un paquet de fois, je vous ai encore répondu personnellement y’a quelques jours après votre commentaire-réflexion sur l’équipe et son état d’esprit, et vous commentez très régulièrement en étant très souvent en désaccord avec nous, nos articles, nos réponses etc, donc on se détend. J’ai plusieurs fois parlé ces dernières semaines des problèmes qu’on avait sur la modération, notamment quand on nous a vivement reproché de ne pas assez modérer. On fait au mieux, et clairement on a hâte de pouvoir changer le moyen de gérer les commentaires (fin 2023) parce que c’est beaucoup trop chronographe et désagréable, notamment d’être accusé de trop modérer / pas assez modérer au quotidien.

Cidjay

@écran Large. Pourquoi vous vous sentez obligés de supprimer un commentaire où on vous envois une petite pique (vraiment pas méchante)
Franchement vous commencez à vous la jouer Gestapo… ça me plaît pas beaucoup.
Si vous avez quelques chose à me dire, achetez vous du courage et rentrez moi dans le lard !
Je préfère ça que la lâcheté avec laquelle vous opérez.
vous êtes pas des mauviettes ? vous agissez vraiment comme des précieuses parfois…
Marty Mc fly, serait d’accord avec moi…

Cidjay

Bon souvenir d’enfance, c’est un peu le « Last Action Héro » version kids.
oui, il fait clairement partie du haut du panier des « Norris ».

Prisonnier

En clair, on est tous d’accord que ce film c’est un peu une madeleine des 80’s 90’s même si on sait que c’est pas forcément bon.

Du coup, vu la quasi unanimité, on parle ici d’un Norris agréé

John Spartan

Un film que j’affectionne toujours avec autant de tendresse, car vu dans ma jeunesse.
Un méchant super caricaturale limite Tex Avery.
Jonathan Brandis vraiment excellent et attachant.
Julia Nickson-Soul tellement mignonne que j’en étais limite amoureux depuis
Rambo 2.
Chuck qui joue Chuck à la perfection. (Sait-il jouer un autre rôle que Chuck Norris ?)

Ray Peterson

Bon ben c’est pas très bon. vu au cinoche avec mon grand frère (merci à lui, merci à Chuck, merci à Norris). Maiiiiiiis en même temps, il tenta de damner le pion à Last Action Hero.

Par contre y a le Jonathan Brandis de Ça (version tvfilm), de l’Histoire Sans Fin 2 (oui) et surtout de SeaQuest! Un sacré bon comédien. Quel malheur.
Bref capsule 80/90’s !!!!!!

Flash

M’en souviens aussi, un peu naze comme film, mais pas désagréable à suivre.