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Marie-Antoinette : non, le Sofia Coppola ne méritait (vraiment) pas tant de haine

Par Axelle Vacher
11 juin 2023
MAJ : 24 mai 2024
4 commentaires
Marie-Antoinette : photo non, le Sofia Coppola ne méritait (vraiment) pas tant de haine

Hué à l’issue de sa diffusion au Festival de Cannes en 2006, le Marie-Antoinette de Sofia Coppola dissimule pourtant derrière son apparente vacuité une belle substance.

Dix ans après Jane Campion et sa Leçon de piano, Sofia Coppola est devenue en 2003 la troisième femme a être nommée aux Oscars dans la catégorie meilleur.e réalisateur.ice. Et si la célèbre statuette a finalement été attribuée à Peter Jackson, l’héritière de Francis Ford Coppola a malgré tout décroché l’Oscar du meilleur scénario original… ainsi que trois Golden Globes, et pléthore d’autres récompenses pour son Lost in Translation.

Avec un précédent succès aussi retentissant, c’est sans trop réfléchir que le Festival de Cannes a décidé d’accueillir trois ans plus tard le nouveau film de Sofia Coppola en compétition officielle. Dans le jargon, il existe une expression pour ce genre de situation : le début de la fin. Hué suite à sa projection, Marie-Antoinette accuse une réception désastreuse – pour le dire poliment. Moult critiques ont notablement argué que l’esthétique du projet n’avait d’égal que sa vacuité. En proposant un film superficiel, la cinéaste a pourtant proposé l’une de ses oeuvres les plus complexes, et les plus fascinantes.

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstPlus complexe que la tapisserie

 

Crime et châtiment

Initialement inspirée par le roman Marie-Antoinette : la Dernière Reine de l’historienne française Évelyne Lever, c’est finalement celui de la Britannique Dame Antonia Fraser, Marie Antoinette : The Journey qu’a choisi de transposer à l’écran Sofia Coppola. Celle-ci est alors séduite par la caractérisation de feu la reine, non seulement décrite comme une personne plutôt qu’un personnage historique, mais surtout, comme l’adolescente qu’elle a été – après tout, Marie-Antoinette d’Autriche n’avait que quatorze ans lors de son entrée à la cour royale de France.

Selon l’autrice et sa propre préface, il était question de « relater le drame de Marie-Antoinette sans trop précipiter son dénouement difficile. […] L’élégie se devait d’occuper tout autant d’espace que la tragédie ; les fleurs et la musique, autant que la Révolution« .

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstLa maîtresse du Haut Château 

 

Une démarche qu’a bien entendu souhaité réemployer Coppola, attachée à l’idée de rendre à « Madame Déficit » un semblant d’innocence, voire, de juvénilité. À l’occasion d’un entretien accordé à Vogue en 2021, la cinéaste a ainsi confié : 

« Je me suis sentie comme obligée de traduire combien son histoire a été déformée par le temps. J’avais pour idée de figurer sa vie d’une façon qui soit fraiche et féminine, plutôt qu’académique. […] Je voulais me concentrer sur sa jeunesse au sein du palais de Versailles, sur la façon dont elle y a pris ses marques. Une fois que la Révolution éclate, c’est un peu comme si la bringue prenait fin, et que tout le monde était contraint de rentrer chez soi. »

  

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstLendemain de soirée difficile

 

Si la reine de France fascine encore plus de deux siècles après son décès, l’intérêt que lui porte Sofia Coppola transcende le simple attrait historique, et semble au demeurant sous-tendu par quelque chose de plus inné, plus organique. Un bref coup d’oeil à l’oeuvre de la cinéaste suffit à discerner une abondance de jeunes filles aussi désenchantées que pétries de privilèges divers. Aussi, il n’est pas bien difficile de déceler entre Lux (Virgin Suicide), Charlotte (Lost in Translation) et Marie-Antoinette une sorte de connexité spirituelle. 

Ingénue, oscillant perpétuellement entre allégresse et déréliction, riche à ne plus savoir qu’en faire, incomprise par ses pairs et contrainte de meubler son ennui par mille et une frivolités, Marie-Antoinette dispose de toutes les qualités attendues d’un personnage Coppolesque. Mais plus encore qu’une petite adolescente pathologiquement triste, la jeune reine est avant tout une héroïne tragique, condamnée d’avance par une issue connue de tous. 

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstMelancholia, Lars Von Trier (2011)

 

Troisième long-métrage de la filmographie de Sofia Coppola, Marie-Antoinette est à concevoir comme le dernier acte d’un drame inauguré sept ans plus tôt par l’acclamé Virgin Suicide. Avec Lost in Translation, les trois films traitent frontalement de la désintégration progressive de la femme au sein de sociétés qui en reconnaissent les usages plutôt que la valeur. Dans un entretien accordé à Télérama en 2005, la cinéaste et autrice confirmait ainsi :

« Il y a un lien évident entre ce film-ci et ses deux prédécesseurs, » avant d’ajouter :Mais il temps pour moi de cesser les histoires de jeunes filles mélancoliques et solitaires repoussant l’âge adulte ». Ainsi soit-il.

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten Dunst« Just girly things »

 

Lost in reception

À quel genre appartient réellement Marie-Antoinette ? Selon IMDb ou Allociné, il s’agit d’un drame historique et biographique. Toutefois, au vu des libertés narratives prises par la cinéaste, le spectateur est en droit de s’interroger sur le bien-fondé de cette catégorisation. À moins que le film ne fasse moins cas de retracer le parcours de la dauphine et reine que de Sofia Coppola elle-même. 

S’il est donc plus ou moins convenu que Virgin Suicide, Lost in Translation et Marie-Antoinette constituent une même trilogie, le caractère autobiographique de ces films-ci est également sans appel. Certes, chaque auteur tend à injecter une part de sa propre essence au sein de son oeuvre (et c’est en cela qu’il est bien ardu de « séparer l’homme de l’artiste », mais qu’importe). Loin de faire exception à la règle, Sofia Coppola tend plutôt à disséminer généreusement myriade d’éléments intimes à ses récits, Marie-Antoinette en étant peut-être l’exemple le plus probant.

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstLa cour des grands sans effort

 

Si Marie-Antoinette d’Autriche appartient à l’une des lignées les plus royales de l’Histoire, il ne serait pas exagéré d’affirmer que la cinéaste appartient à une tout autre forme de royauté. Fille du réalisateur du Parrain ou encore d’Apocalypse Now – pour ne citer que deux de ses films les plus iconiques –, Sofia Coppola a elle aussi connu l’ennui, l’excès, la solitude, et autres apanages concomitants à la célébrité. Aussi, les parallèles entre le luxe de son expérience d’enfant privilégiée à Hollywood et celui inhérent à la cour de Versailles sont légion.

Pareille confusion entre cinéaste et sujet a bien entendu confondu le public à la sortie du film. Loin d’être le récit historique auquel les spectateurs pouvaient s’attendre, Marie-Antoinette se rapproche davantage d’un coming-of-age. Mais là encore, pas n’importe lequel, la protagoniste royale étant désormais hissée au rang d’icône populaire gavée au sucre et jouissant sans réserve des plaisirs de la cour (et occasionnellement, du Comte de Fersen).

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstMacaron ou éclair ?

 

Scandalisée par l’absence de toute notion politique, pourtant chère à la véritable Marie-Antoinette, la critique a semblé unanime à l’issue de la projection cannoise : le film de Sofia Coppola est une vaste farce, un récit abyssal, son personnage est insipide et pourri gâté. Les comparaisons entre Paris Hilton – dont la réputation se réduisait à l’époque à celle d’une bimbo écervelée sans que personne ne sourcille, merci la misogynie – et le rôle campé par Kirsten Dunst se multiplient.

Certes, il serait facile d’arguer que les pauvres petites filles riches et blanches ne méritent pas davantage de sympathie qu’elles n’en ont déjà eu à travers les âges. Mais il s’agit là d’une des nombreuses notions venant justement nourrir les innombrables paradoxes du cinéma de Sofia Coppola. Forte de ses propres souvenirs rythmés par les passe-droits élitistes et les restrictions propres aux cages dorées, la cinéaste parvient à humaniser des personnages pourtant difficiles à plaindre, et encore plus à aimer. 

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstCottagecore

 

« Qu’ils filment de la brioche »

Le suresthétisme du film, et par extension, de Sofia Coppola, a bien entendu été le principal reproche avancé par leurs multiples détracteurs. Les incontestables qualités plastiques mises en avant par Marie-Antoinette ont beau transformer chaque plan en tableau finement composé par le corps technique impliqué, elles sont malgré tout accusées de dissimuler une vacuité narrative affligeante. Plus simplement, Coppola est accusée de travestir l’absence de fond par une forme exacerbée – crime manifestement capital en 2006.

Pourtant, il n’y a rien de bien révolutionnaire à objecter que le style peut être une substance en soi. L’objet film est avant tout un véhicule, un prisme par lequel communiquer un récit, une émotion, une sensibilité au spectateur. En cela, le style excessif de Marie-Antoinette narre à lui seul les états d’âme de sa protagoniste et amplifie l’écho des faux-semblants propres à la cour royale.  

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstV pour Vendetta

 

La qualité plastique du film fait ainsi partie intégrante du dispositif cinématographique de la cinéaste. Celle-ci rend alors au personnage de Kirsten Dunst un semblant de contrôle sur son propre univers, et suscite le ressenti par le débordement. 

Qu’il s’agisse de la bande originale aux tonalités pop-rock (là aussi, vivement réprouvée par la critique), des centaines de costumes dessinés par Milena Canonero (lauréate de l’Oscar des meilleurs costumes à quatre reprises), des souliers de Manolo Blahnik (oui, celui de Sex and the City), du château de Versailles, où Coppola a été exceptionnellement autorisée à tourner, de tous les autres décors luxueux magnifiés par Véronique Melery (Phantom Thread, Mourir peut attendre), jusqu’à la célèbre paire de Converses faussement oubliée sur le plateau… chaque détail a été minutieusement pensé en vue de rendre le quotidien de ce personnage débauché aussi palpable que possible.

 

Marie-Antoinette : photo, Kirsten DunstGuy Bourdin pour Charles Jourdan, automne 1977

 

L’historienne Évelyne Lever, dont la cinéaste devait initialement adapter l’ouvrage avant de lui préférer celui de Dame Fraser, l’a reconnu bien volontiers lors d’un entretien accordé à L’Internaute en 2006 : « C’est une Marie-Antoinette revue et corrigée par Hollywood. » Et de préciser quelques lignes plus tôt : « Sofia Coppola et moi, nous ne faisons pas le même métier. C’est une créatrice. Elle a sa propre vision de Marie-Antoinette. Cette vision n’est pas la même que la mienne. »

Et c’est effectivement autour d’une vision que s’articule Marie-Antoinette. La vision d’une jeune fille à travers laquelle la cinéaste a mi-découvert, mi-fantasmé son propre reflet. Aussi, il n’y a rien de surprenant à apprendre que Coppola a pioché dans le scénario de son film précédent, Lost in Translation, pour mieux résoudre les impasses rencontrées en cours de rédaction.

 

Marie-Antoinette : photoApocalypse now (version française)

 

Avec Marie-Antoinette, Sofia Coppola n’a jamais eu vocation à rendre compte d’une quelconque vérité historique. Plutôt que de proposer le récit politique de l’accomplissement d’une reine, la cinéaste a cherché à rendre à l’Autrichienne dénaturalisée une forme de candeur – quitte à compenser par l’excès. Saisir et embrasser cette démarche est ainsi nécessaire à la bonne lecture du film, et c’est finalement ce qui lui a fait défaut à sa sortie en 2006.

L’année est alors propice aux récits plus graves, plus réfléchis, tels que Casino Royale, Les Infiltrés, Le Prestige, ou encore V pour Vendetta. D’autant plus qu’avec le krach des prêts immobiliers et les prémisses omniprésentes de la crise financière de 2008, les spectateurs n’avaient probablement que faire des déboires d’une jeune reine mésestimée pour ses dépenses abusives, et guillotinée par le Tribunal révolutionnaire.

Aujourd’hui, le film a toutefois su profiter d’un second souffle, grâce, notamment, à l’émergence d’un public prêt à saluer l’hyperféminisation de son esthétique, et reconnaître la tragédie de son récit… indépendamment du funeste destin de son personnage.

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Axelle Vacher

@vive sophia | n’étant pas une grande fan de Somewhere (et encore moins des œuvres suivantes), je plussoie de bon coeur

Vive Sophia

Ce film est excellent avec le recul ; probablement le dernier grand film de son auteur(e)

steve

oups, je voulais bien dire « Somewhere » mes plus plates excuses….

steve

Vive la Reine ! Toujours fan de cette période de Sofia Coppola qui s »achèvera avec « Nowhere » où comment émanciper des figures féminines dans des contextes hostiles. Pas d’accord sur le terme de trilologie officieuse qu’achèverait ce film.
A part ça, clin d’oeil à Phoenix, très bon groupe français qu’on voit le temps d’un trip musical avec la Reine (put… de scène qui fait la vraie sève du film en dehors de son apparat historique finalement superflu) et qu’on retrouve en bande son du suivant (tiens, tiens).
A part ça, ce film a emm… votre prof d’ Histoire? Bah, il ravira tous les autres, sensible à la cause d’un cinéma organique attaché à raconter l’histoire de ses personnages avant l’Histoire.