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The Flash et le scandale Ezra Miller : petite leçon de gestion de crise à Hollywood

Par Judith Beauvallet
17 juin 2023
MAJ : 24 mai 2024
8 commentaires
The Flash : photo

C’était l’une des plus grosses attentes de 2023, autant pour son sujet que pour la production infernale et le scandale qui l’accompagnent. Comment The Flash s’est-il vendu auprès d’un public qui ne sait plus quoi penser de cette galère ambulante ?

Notre critique du ratage The Flash

On ne compte plus les innombrables changements de scénaristes, les décalages de date à répétition et les multiples agressions signées Ezra Miller  qui font monter la sauce autour du film The Flash réalisé par Andy Muschietti. Si l’idée d’un film centré sur le super-héros super rapide fut évoquée chez la Warner dès les années 80, il aura donc fallu attendre jusqu’en 2023 pour que Barry Allen devienne le personnage principal de son propre film DC, après des apparitions dans Batman v Superman et Suicide Squad, et un rôle dans Justice League/le Snyder Cut.

Entre attente fébrile et exaspération, où se situe réellement la fanbase DC quant au film censé redresser la barre et moucher le MCU sur le terrain du multivers ? Et surtout, comment s’est organisé la campagne promotionnelle pour maintenir l’intérêt de ladite fanbase ?

ATTENTION SPOILERS SUR THE FLASH

 

 

 

Super-ego

Un film de super-héros est, par essence, un film misant sur une sorte de micro-culte de la personnalité. Le choix de l’interprète central est d’autant plus crucial que la satisfaction des fans peut décider du succès d’une adaptation de comics – que l’on trouve ça stupide ou non. Quand Ezra Miller hérita du rôle de The Flash et devint un futur visage de l’écurie DC, iel devint, comme de juste, le nouveau produit à vendre pour la Warner.

C’est la star en personne qui présenta, lors du DC FanDome d’octobre 2021 (un événement en ligne à la gloire de l’univers DC), le tout premier teaser du film. Celui-ci était destiné à prouver au public que oui, le film The Flash était enfin sur les rails, même si peu d’images étaient déjà tournées. La première vraie bande-annonce, quant à elle, fut présentée pour la première fois au Super Bowl en février 2023. Événement sportif incontournable aux États-Unis, le Super Bowl est un énorme show, alimenté de concerts spectaculaires et de la diffusion de bandes-annonces inédites.

 

The Flash : photo, Ezra MillerLe téléphone au volant c’est encore un délit

 

Si le budget marketing du film n’a pas été révélé, la promotion faite lors de ce genre d’événements ainsi que la diffusion de trois bandes-annonces laisse penser que celui-ci est dans la norme des grosses productions de la Warner. Un film comme Dune de Denis Villeneuve, par exemple, avait également eu droit à trois bandes-annonces pour étaler sa promotion et faire grimper l’attente. Et celui-ci n’avait coûté “que” 165 millions de dollars contre les 200 millions de The Flash. Une source anonyme citée dans un article de The Hollywood Reporter rapporte que les dépenses liées au marketing seraient “énormes”. Il faut dire que la stratégie rivalise d’ingéniosité pour contourner les problèmes…

Car The Flash, d’abord marketé avec le visage d’Ezra Miller, est devenu indissociable des sorties de route de la star. En 2022, Miller est en cavale et les forces de l’ordre sont à ses trousses suite à de multiples agressions, des faits de cambriolage et même du détournement de mineur. Panique chez la Warner, dont l’image du nouveau super-héros prend un gros coup sur la tronche. Le cas de Miller semble tellement irrécupérable que la rumeur se répand vite : The Flash pourrait être, en toute logique, sa dernière collaboration avec Warner et DC…

Mais en attendant, comment faire la promotion du film au milieu du scandale ?

 

The Flash : photo, Michael KeatonBatman de cœur

 

LES ERSATZ D’ezra

Dans un premier temps, profil bas fut fait, et l’enjeu est devenu clair : faire la promotion de tout ce qui n’est pas Ezra Miller dans le film. D’ailleurs, la bande-annonce présentée au Super Bowl de 2023 a attiré l’attention sur sa manière de se concentrer davantage sur les personnages secondaires, Batman et Supergirl. Le retour de Michael Keaton dans le rôle du justicier pour la première fois depuis Batman : le Défi en 1992, ainsi que celui de Ben Affleck sous la même cape, ont fait diversion tant bien que mal.

Furent ajouté à ça les annonces de caméos surprises-plus-si-surprises : en mars 2023, Ben Afflleck a laissé échapper que la Wonder Woman de Gal Gadot ferait une apparition dans The Flash. En mai de la même année, c’est Andy Muschietti lui-même qui a révélé la présence de Nicolas Cage au casting dans le rôle de Superman, rôle qu’il avait failli tenir devant la caméra de Tim Burton dans les années 90.

Fausses erreurs ou vrais effets d’annonce ? Les spoilers ont été disséminés tout au long du calendrier promotionnel, attisant la curiosité du public et donnant progressivement l’impression qu’Ezra Miller n’était qu’une présence anecdotique dans le film.

 

The Flash : Photo Michael ShannonLe Shannon manquant

 

Au milieu du chaos présent chez Warner et DC, difficile de savoir à quel saint se vouer. Une rumeur veut même qu’Henry Cavill fasse lui aussi une apparition en Superman dans le film, info si tenace que même son prétendu salaire a fuité. Pourtant, l’apparition en question n’aura jamais lieu : autre chapitre du parcours mouvementé de Cavill chez DC après Justice League, entre l’apparition anonyme de Superman à la fin du premier Shazam, un vrai retour dans le décrié Black Adam qui semblait annoncer de futurs films, puis… son éviction pure et simple par DC. Son caméo dans The Flash a-t-il été coupé pour éviter de rajouter de l’huile sur le feu de son départ mal reçu par les fans ? Possible.

Les voix ont plus que jamais besoin de s’accorder alors, de leur côté, James Gunn et David Zaslav, respectivement co-PDG de DC Studios et président de la Warner Bros. Discovery, ont chacun déclaré publiquement que The Flash est l’un des meilleurs films de super-héros jamais faits (selon eux, bien évidemment). Est-ce que la panique se ressent dans un teasing qui en fait trop ? Peut-être. Une solution ? Multiplier les avis positifs pour noyer le poisson.

  

The Flash : photo, Jeremy IronsJeremy ironise

 

traitement de faveur

C’est ainsi qu’une salve de projections privées pour certaines stars a, a priori, été mise en place : un procédé de recrutement d’influenceurs VIP qui se développe ces dernières années. Le film Smile en 2022 avait bénéficié d’un commentaire enthousiaste de la part de Stephen King, qui donne régulièrement un coup de pouce aux productions de genre. La même année, Edgar Wright avait, quant à lui, chanté les louanges de The Batman et contribué à faire grossir le phénomène.

Dans le cas de The Flash, non seulement Stephen King est sorti de son domaine d’expertise pour déclarer qu’il avait trouvé le film drôle et touchant (et pareil pour Edgar Wright), mais Jaden Smith a aussi clamé son amour pour le film sur Instagram. Et si Tom Cruise ne s’est pas exprimé publiquement, les producteurs ont affirmé qu’il l’avait adoré, les appelant près de 15 minutes uniquement pour les féliciter pour leur travail. De quoi renforcer les effets d’annonce et faire office de véritable campagne promotionnelle annexe et officieuse.

 

The Flash : photoQuestions pour une baston

 

Et dans le cas où toutes ces stratégies ne suffiraient pas à faire oublier le personnage principal du film, le marketing a été consacré beaucoup plus que de raison à Sasha Calle et à son rôle de Supergirl : si l’actrice n’est pas encore une star et que son importance au sein du film est relativement modeste, elle a été propulsée en première ligne des photos de tournage et des interviews promotionnelles. À noter que Michael Keaton est, quant à lui, plutôt absent de la promotion du film. Même s’il a fait une apparition-surprise à Paris pour l’avant-première de The Flash.

 

The Flash : photo, Sasha CalleSasha Calle en Supergirl

 

tout est pardonné ?

Dans les dernières semaines avant la sortie du film, après que tout a été déployé pour entretenir l’attente autour du film en contournant le cas Ezra Miller, un autre scénario a commencé à se mettre en place, comme pour lisser le discours et unifier l’image de la production. Pour commencer, la productrice Barbara Muschietti a démenti la rumeur selon laquelle Miller aurait représenté une quelconque menace pour la sortie du film, allant jusqu’à affirmer que Warner n’avait jamais été envisagé de l’annuler.

À une époque où de nombreux projets avaient été annulés pour des raisons bien moindre, comme Batgirl, il serait bien surprenant que la solution n’ait pas été envisagée du tout. Mais il s’agit, en tout cas, de la nouvelle version officielle de l’histoire. En écho à ces propos, Andy Muschietti a renchéri en assurant que si The Flash devait avoir une suite, Ezra Miller reprendrait à coup sûr le rôle principal, le réalisateur affirmant que personne d’autre ne saurait aussi bien incarner cette version du personnage.

 

The Flash : photo, Ezra MillerAlors si en plus il y en a deux…

 

Et pour dire, lors de l’avant-première américaine du film le 12 juin 2023, Miller a fait une apparition publique pour la première fois depuis deux ans et le début de ses sorties de route. Iel en a profité pour remercier chaleureusement la Warner pour leur “élégance”, leur “sens du discernement” et leur “sensibilité”, laissant penser qu’iel faisait référence à la tolérance du studio envers les problèmes qu’iel a pu causer. À voir si ses victimes jugeront qu’il s’agit effectivement de “sensibilité”.

Miller avait déjà présenté des excuses via les médias en août 2022, annonçant qu’iel avait conscience de souffrir de problèmes de santé mentale, et ce fut sans doute la première pierre nécessaire à l’édification de ce parcours de rédemption, toutefois assez étrange en comparaison d’autres cas hollywoodiens.

 

The Flash : Photo Sasha CalleLes yeux revolver

 

injustice league

Par exemple, l’acteur Ray Fischer a été évincé par Warner de l’univers DC après avoir dénoncé le racisme induit par Joss Whedon, Jon Berg et Geoff Johns sur le plateau de Justice League. Loin d’être soutenu par la production “sensible” qui a excusé Miller, Fischer a payé sa prise de parole de son avenir au sein de la franchise et Cyborg est par conséquent absent de The Flash. La différence de traitement interroge donc beaucoup, car à ce stade, la seule sanction dont Miller ait écopé est de ne pas faire la promotion du film.

En effet, à ce stade, il n’est pas prévu que l’interprète de Barry Allen participe aux interviews, et l’avant-première du 12 était conçue pour que les journalistes ne puissent pas poser de questions à l’équipe. En simple élément de parade, Miller a donc fait la réapparition la plus prudente possible pour maintenir le statu quo d’une promotion louvoyante.

 

The Flash : photo, Ezra MillerBad buzz l’Eclair

 

Est-ce que ce compromis fonctionnera jusqu’à la fin de l’exploitation du film en salles, et surtout, est-ce qu’il assurera au film le succès escompté ? Car finalement, les résonnances de l’affaire Miller et de l’embarras marketing qui s’en est suivi dépendront beaucoup de la réussite du film. Dans le cas d’un film comme World War Z (2013), par exemple, dont le développement et le tournage furent très compliqués et dont le scénario fut réécrit maintes fois, l’enfer de la production fut vite oublié et pardonné devant le parcours du film en salles. A contrario, un film comme Les Quatre Fantastiques (2015) est encore “connu” aujourd’hui pour les montagnes russes de son tournage, notamment parce que son score médiocre n’aura pas réussi à les faire oublier.

 

 

The Flash tombera-t-il du côté des projets fous et miraculés, ou rejoindra-t-il au contraire la liste des films maudits ? Les délits commis par Miller auront-ils un réel impact (et des conséquences pour la star), ou le pardon de la Warner suffira-t-il à faire passer la pilule auprès du grand public ? Des questions auxquelles les chiffres devraient rapidement répondre.

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Kilikamars

@robindesbois Certaines stars (quelque soit le domaine) de part leurs célébrités ne risquent rien ou pas grand chose (en gros ils ne passent pas par la case prison) et c’est de ça que je parle quand je parle d’impunité en mode « Les gens s’en fiche de ce que j’ai fais avant et en plus ma popularité a augmenté suite à mon film, alors je peux continuer » et il n’est pas nécessaire qu’il y ait jugement pour voir ce qu’Ezra Miller a fais c’est mal et les faits sont avérés ce ne sont pas des rumeurs ou des bruits de couloir.
Après perso s’il y a un nouveau film flash (ou apparition de flash dans le DCEU) ce film est la bonne occasion de changer d’acteur pour Flash car Miller reste je pense un caillou dans la botte de Warner (tout comme amber heard au moment de son procès contre depp) car même si le grand publique ne vont trop se rappeler certains ne vont pas se gêner pour rappeler à warner leurs mauvaises décisions

@tlantis

La plus part des personnes qui vont au cinéma ou regardent les films en vod ne connaissent pas tous les scandales autours des films , il y a que le micro cosme de Hollywood et ses fan base qui y portent attention .

Arnaud (le vrai)

Pour Gadot ce qui fait polémique ces dernières années (ou en tout cas qui lui vaut pas mal d’insultes sur les RS), c’est ses prises de position en faveur de l’armée israélienne (elle est d’origine israélienne) dans le conflit Israélo-palestinien.

J’imagine que c’est à ça que Argan fait référence

RobinDesBois

@Argan et elle t’a fait quoi Gal Gadot ? D’ailleurs même Miller qu’est-ce qu’il t’a fait ?

Et si les frasques de la vies privées ou les polémiques qui entourent (je ne vois pas quoi tu parles pour Gadot) les artistes t’empêchent de voir leurs films tu ne dois pas en voir beaucoup des films…

RobinDesBois

@Kilikamars Un sentiment d’impunité parce qu’il n’est pas cloué en place publique ? C’est vis à vis de la justice qu’il doit répondre pas de nous.

Argan

Même sanction pour Miller que pour Gadot, boycott ! Non, on ne sépare pas la personne de l’artiste. Ils choisiront mieux leur acteur principal pour une production à 200 millions de $ !

Kilikamars

Je suis en partie d’accord avec Robin que pour le grand publique s’en fiche un peu des histoires privées de Miller car « OSEF on veut voir un film de super-heros (ou d’action) pour se détendre pas pour réfléchir », mais le problème c’est que ça occulte (ou fait oublier) les actes de la personne (dans notre cas Ezra Miller) en les minimisant ce qui s’est passé, ce qui pourrait produire chez la personne un certain sentiment d’impunité

RobinDesBois

« Les délits commis par Miller auront-ils un réel impact (et des conséquences pour la star), ou le pardon de la Warner suffira-t-il à faire passer la pilule auprès du grand public ?  »

Je suis persuadé que tout ça n’a que très peu d’influence auprès de la majorité du grand public. Et quand ça en a c’est en parti à cause des journalistes qui font plus que de relayer brièvement (ça ne mérite pas plus d’attention que ça voir aucune couverture) ce genre d’informations mais qui en font des tonnes et j’inclus évidemment les journalistes et critiques ciné. Les gens veulent juste aller voir un bon film, ils s’en fichent que l’acteur principal a dérapé dans sa vie privée. Et les « opérations sauvetage » des studios provoquent souvent l’inverse avec un effet Streisand.