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Avant Godzilla, Star Wars et The Creator, le premier miracle de science-fiction de Gareth Edwards

Par Mathieu Jaborska
8 octobre 2023
MAJ : 8 avril 2024
Monsters : Avant Godzilla et Star Wars, le premier miracle de Gareth Edwards

Bien avant d’impressionner avec les effets de The Creator, Gareth Edwards avait sidéré la planète science-fiction avec le micro-budget Monsters.

Lors de sa sortie, le sympathique The Creator a beaucoup fait parler de lui. En effet, doté d’un budget de 80 millions de dollars, il a l’air d’en avoir coûté le double. Une performance d’autant plus remarquée au sein d’une industrie hollywoodienne qui a relégué l’importance des effets spéciaux aux dernières places de sa liste des priorités, redoublant au passage de mépris envers les artistes VFX.

Le film distribué par la Fox (et donc par Disney) doit beaucoup à une armée de techniciens et artistes compétents, mais également à l’expérience de son réalisateur, le très estimé Gareth Edwards. Le cinéaste britannique navigue tranquillement à Hollywood. Il y a eu sa version de Godzilla, laquelle a inspiré un univers étendu dont la dernière émanation sera dévoilée dans les mois à venir. Puis, il y a surtout eu son Star Wars, Rogue One, dont la production fut émaillée d’incidents, mais qui reste l’un des seuls films de la franchise Disney à avoir trouvé sa place dans le coeur des aficionados. Comment est-il parvenu à s’attirer tant de bonnes grâces des studios ? Grâce à son premier long-métrage, le fascinant Monsters, une véritable démonstration.

 

 

Un nouvel espoir

Comme nombre d’enfants avant et après lui, le jeune Gareth Edwards est obsédé par Star Wars, qu’il a déclaré avoir vu au moins 200 fois à The Guardian, à raison d’une fois par jour à partir de ses 6 ans :

« En fait, Star Wars m’a donné envie d’aller détruire l’Étoile de la mort et rejoindre l’Alliance rebelle, mais quand j’ai progressivement compris que ça n’existait pas et qu’il s’agissait juste d’un énorme mensonge appelé un film, je me suis dit : si je ne peux pas partir faire ces choses, alors la deuxième meilleure option est de devenir un menteur et je ferai des films aussi. Je raconterai ces mensonges aux enfants et ils pourront me haïr comme j’ai haï George Lucas. »

Étudiant, il continue à se nourrir des déceptions hollywoodiennes. Il ne reconnait qu’un seul défaut à Jurassic Park : les dinosaures n’atteignent jamais le continent et ne se baladent pas dans les villes américaines. Pour son film de fin d’année, il raconte donc une invasion monstrueuse dans son jardin. « C’est nul. Vous ne voudriez même pas voir ça. Je brulerais chaque copie si je pouvais », précisera-t-il à Den of Geek, « mais c’était un film de monstres se déroulant en banlieue ».

 

 

Adulte, il participe activement à la création dudit mensonge. Bien conscient que personne ne lui donnera sa chance d’entrée de jeu, il commence sa carrière dans l’infographie et travaille sur de nombreux programmes télévisuels, dont quelques documentaires à lourds effets. Il passe même déjà à la réalisation sur des épisodes de Perfect Disaster et Heroes and Villains pour la BBC. Frustré par cette expérience, il participe au concours « En 48 heures » de la chaîne Sci-fi, où il met en scène un court-métrage amateur en deux jours. Celui-ci remporte le concours et impressionne les dirigeants de Vertigo Films, qui acceptent par conséquent de financer un projet de plus longue date : Monsters.

Monsters est bien entendu né de son amour pour les films de monstre et des envies qui le motivent depuis son enfance. À l’origine, il a l’idée de réaliser un found-footage (technique alors en vogue et très pratique pour les petits budgets), écrit un traitement et compte le vendre comme « Blair Witch qui rencontre La Guerre des Mondes« . Malheureusement, en 2008, Cloverfield lui coupe l’herbe sous le pied. Un jour, sur la plage, il observe des pêcheurs tirer un filet de l’eau. Il les imagine remonter une créature à tentacules sans s’en émouvoir et réfléchit à une histoire se déroulant des années après une invasion, quand les monstres n’effraient plus outre mesure les humains.

 

Monsters : photoFresque militaire

 

Monstres et compagnie

Bien conscient du sens de la débrouille de l’artiste, Vertigo n’accorde qu’un budget dérisoire à Monsters. Plus tard se répandront des rumeurs selon lesquelles il serait de 15 000 dollars. En réalité, il s’agit du prix du matériel évalué par Best Buy. Le nombre final n’est même pas connu du réalisateur, qui l’estime à « bien moins que 500 000 dollars » dans un entretien accordé à MSN. Largement de quoi le qualifier de micro-budget, étant donné ses ambitions, à savoir raconter le voyage de deux personnes à travers la frontière mexicaine, où une guerre entre aliens et humains fait rage depuis des années. Évidemment, elles finiront par se rapprocher.

Les producteurs insistent pour embarquer une caméra supplémentaire et un tripode. Ironiquement, la seule scène filmée avec sera coupée. Edwards tourne en mode guérilla, uniquement muni de son traitement (tous les dialogues sont donc improvisés) et en autonomie quasi totale sur place, parfois accompagné d’une escorte policière.

 

Monsters : photoScoot à court de carburant

 

« On avait une minuscule équipe », racontera-t-il à Empire. « Pour 90% du film, on voyageait avec un seul van qui pouvait contenir 7 personnes », soit cinq techniciens (lui inclus), ainsi que Scoot McNairy et Whitney Able, authentique couple et seuls véritables comédiens de l’expédition. Les autres rôles sont tenus soit par des opérateurs, soit par des cascadeurs, soit par des locaux rencontrés le jour même. 

Le soir, une fois de retour à l’hôtel, le monteur Colin Goudie et son assistant se chargent de télécharger les dailies (les plans tournés en journée) pour libérer le peu d’espace de stockage disponible. L’aventure n’est pas de tout repos :

« On a eu plein de problèmes quand on y était. Il y avait des fusillades en dehors de l’hôtel, on s’est retrouvé au milieu de l’attaque d’un voleur par un marché de rue, une prison locale a subi une émeute, a décapité certains prisonniers et exhibait leurs têtes sur la clôture, un gang a massacré à la mitraillette tout le monde dans le café d’un village une semaine avant notre arrivée, il y a eu une épidémie de grippe porcine… »

 

Monsters : photo

 

Et le plus dur est à venir. Au retour, en Angleterre, l’équipe se retrouve avec 100 heures de rushs sur les bras. Edwards et ses monteurs en tirent un ours de 4 heures, qu’ils se forcent à réduire à 1h30. Le cinéaste se retrouve alors seul avec ce montage final et entreprend de concevoir et incruster dans sa chambre les 250 plans truqués. Un travail titanesque qui participera largement à la réputation du long-métrage, qui ne va pas tarder à se faire repérer par les festivals du monde entier.

 

Monsters : photo Et une super photo signée… Gareth Edwards

 

Dark Continent

Monsters fait son avant-première au célèbre festival South by Southwest (SXSW pour les intimes), puis s’engage dans une tournée de manifestations cinéphiles, où il gagne progressivement en popularité. À Sitges, il remporte le prix des meilleurs effets spéciaux. À Trieste, le prix du meilleur film. Et la presse ne tarit pas d’éloges envers ce savant mélange de cinéma indépendant guérilla, mumblecore diront même certains et science-fiction contemplative aux relents politiques évidents. Entertainment Weekly et Empire s’extasient devant la performance et ô miracle, le film a droit à une sortie technique aux États-Unis, dans une grosse vingtaine de salles.

Son exploitation DVD va accélérer encore plus la reconnaissance de son auteur, crédité à une bonne moitié des postes. La critique ne manque pas de souligner l’implication et le sens de la débrouillardise du réalisateur, Empire et The Guardian consacrant même de longs articles au tournage du long-métrage. Le décalage entre le budget et l’esthétique du résultat alimente les théories les plus folles et Edwards devient un dieu des effets visuels. Il n’en faut pas plus aux studios hollywoodiens pour se pencher sur son cas, exactement comme ils sont en train de le faire avec le collègue Neill Blomkamp, au parcours étonnamment similaire.

 

Monsters : photoUne question de districts

 

À Den of Geek, l’intéressé confie ses hésitations : « C’est le problème. Voulez-vous rester ce cinéaste qui fait des films que personne ne regarde vraiment ou voulez-vous être sur le devant de la scène, mais avec toute la pression des compromis parce que vous avez atteint une population bien plus large ? C’est le dilemme ultime pour n’importe quel réalisateur débutant ».

Cela ne l’empêche pas d’enchainer les réunions à droite à gauche à Los Angeles, jusqu’à ce qu’un entretien avec les exécutifs de Legendary le pousse à faire un choix. C’est notamment ce qu’il racontait en pleine promo de son deuxième long-métrage :

« Quand Monsters est sorti, il est apparu sur le radar de certaines personnes à Hollywood et par conséquent j’ai fait toutes ces réunions à Los Angeles. Je pense avoir vu à peu près 100 personnes en deux semaines. L’une de ces réunions était avec Legendary Pictures et ça s’est très bien passé. […] Six mois sont passés, j’ai reçu un appel téléphonique et c’était mon agent qui m’a dit : « On a eu les mecs de Legendary. Tu es assis ? ». J’ai dit oui. Et il a dit : « Ils veulent savoir si tu veux réaliser Godzilla. » Ok… Bien sûr ! »

 

Godzilla : photoDes monstres au roi des monstres

 

Assorti d’une romance monstrueuse (entre MUTO) qui fait inévitablement penser au super final de Monsters, Godzilla 2014 a lancé à la fois le fameux Monsterverse et sa carrière américaine, laquelle se poursuivra chez Disney. D’aucuns diraient que c’est chez les artistes VFX que réside la porte de sortie de l’ère des blockbusters moches. La Carrière d’Edwards est en tout cas un bon argument en leur faveur.

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Kyle Reese

Je viens de découvrir Monsters. Superbe toute petite production qui parait bien plus grande. L’ingéniosité du réa est incroyabel. J’aime le coté documentaire. J’aime la relation qui se noue très doucement entre les persos, on y croit. Tout à l’air authentique, crédible. Un road movie intriguant, avec une belle poésie des images et des persos attachants. Tout Edwards est déjà concentré dans ce film, surtout les qualités. Malheureusement il n’a pas encore su corriger ses défauts, on le voit avec The Creator, superbe, mais avec de nombreuses incohérence et un manque d’émotion qui gache un peu l’ensemble. En espérant qu’une version longue puisse voir le jour d’une manière ou d’une autre pour combler les trous et raccourcis scénaristiques.

Gros sourcils

Un film formidable, à la fois un film d’introspection et un film d’aventure, avec en plus un Lore et une histoire autour des créatures, et l’ensemble est incroyablement poétique.
Et je ne suis pas d’accord, je n’ai pas trouvé le personnage masculin antipathique, j’en ai un très bon souvenir. Et quand bien même vous l’auriez trouvé antipathique, c’est parfois une volonté narrative. Le personnage féminin n’est pas plus stupide que n’importe quel autre protagoniste.

Nico1

@zetagundam
Bien d’accord, c’est par ailleurs une constante sur tout ses films.

zetagundam

Techniquement rien à dire mais j’ai rarement vu des personnages aussi antipathiques (le personnage masculin) et aussi stupides (le personnage féminin)

Marc

Monsters ( 2010 ) ☆☆☆☆☆
Godzilla ( 2014) ☆☆☆
Rogue One ( 2016) ☆☆☆☆
The Creator ( 2023) ☆☆☆☆☆

steve

Merci pour l’article ! Film quasi culte (et quelle BO !!)