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« L’autre » Labyrinthe de Pan : le triste flop d’un film fou qui méritait mieux

Par Axelle Vacher
12 octobre 2023
MAJ : 20 novembre 2024
13 commentaires
The Fall : dossier "L'autre" Labyrinthe de Pan triste flop

Projet titanesque tourné sur quatre ans et dans plus d’une vingtaine de pays, The Fall de Tarsem Singh a malgré tout souffert d’une distribution inexistante en 2006.

S’il y a une leçon à retenir de la pandémie, c’est bien que l’Homme a besoin de fiction pour s’assurer un certain réconfort en temps de crise. Si ce postulat semble donc plus proverbial que jamais, The Fall en prêchait déjà l’évidence à sa diffusion en 2006. Avec son genre indistinct, ses visuels grandiloquents et son double récit d’une poésie presque outrancière, ce film-anomalie se conçoit comme une ode à la nécessité de l’imaginaire.

Néanmoins, en dépit de l’engagement de son auteur à signer une fresque contemplative à moult égards, le projet accuse une diffusion discrète, pour ne pas dire inexistante. Un constat désolant au vu du produit fini, mais surtout des moyens titanesques engagés par la production – laquelle s’est aussi bien étalée dans le temps que l’espace. 

 

The Fall : photo, Lee Pace, Marcus Wesley, Leo Bill, Jeetu Verma, Robin Smith Fine équipe

 

money, money, money

À l’exception d’un premier long-métrage aux retours mitigés (The Cell, porté par Jennifer Lopez), Tarsem Singh s’est principalement illustré à travers une ribambelle de clips musicaux et autres spots publicitaires en tout genre. Bien que plus épanoui créativement que peuvent l’être certains de ses pairs cinéastes, le réalisateur entretient depuis plusieurs décennies le désir de réadapter – très librement – le film bulgare Yo Ho Ho (Zako Heskiya, 1981) dont il s’était empressé d’acquérir les droits suite à un premier visionnage. 

Cela n’aura toutefois échappé à personne : impulser un projet qui ne soit pas rattaché à une propriété intellectuelle bien connue, une franchise préexistante, ou quelques gros noms à exhiber fièrement tout en haut de l’affiche est loin d’être une mince affaire dans le monde merveilleux d’Hollywood. Au diable l’originalité là où le Saint Dollar prévaut.

 

The Fall : photo, Daniel Caltagirone Ci-gît l’innovation et le sans précédent 

 

Tarsem souhaitant de surcroit conformer une majeure partie de son récit à son actrice principale – une enfant roumaine en bas âge empêchée par un anglais dont elle ne maîtrisait que quelques mots –, s’assurer le soutien de producteurs flirte gentiment avec la chimère. Qu’à cela ne tienne. Plutôt que de renoncer à son magnum opus ou pire encore, l’aliéner à grands coups de compromis, le cinéaste décide de prendre les choses en main et de financer lui-même son film.

Ce faisant, il s’assure une liberté créative que nombre de ses pairs officiants dans l’audiovisuel ne sont réduits qu’à fantasmer –  liberté au demeurant nécessaire à la démesure de ses ambitions visuelles et narratives.

 

The Fall : photo, Catinca Untaru Jamais mieux servi que par soi-même

 

Lors d’un entretien accordé au critique Roger Ebert en 2008, Tarsem a admis se moquer éperdument de l’argent, arguant vivre simplement et ne savoir que faire des sommes accumulées grâce à ses cachets précédents. De fait, quel meilleur investissement que la réalisation du projet d’une vie ? En 2007, il confiait déjà au LA Times : 

« C’est une obsession que j’aurais souhaité ne pas avoir. Mais c’était quelque chose que j’avais tout simplement besoin d’exorciser. Je pense qu’il vaut mieux faire ses films les plus personnels lorsque nous sommes encore jeunes. Je savais que je ne si ne le faisais pas là, maintenant, alors je ne le ferais jamais ».

 

The Fall : photo, Lee Pace Seul contre tous

 

tout vient à point

Si découvrir le film suffit amplement à se faire une idée du caractère atypique de l’entreprise, son historique de production n’en demeure pas moins mirobolant ; certes, quatre ans et pas moins de vingt-quatre pays ont ainsi été nécessaires au tournage, ce qui est déjà remarquable en soi. Néanmoins, les divers procédés employés par Tarsem Singh toutes ces années durant sont loin d’être en reste au département de l’insolite. 

Profitant par exemple de la réputation encore méconnue de Lee Pace, lequel prête ses traits à un cascadeur désormais paralysé, le cinéaste a choisi de se délester de son équipe habituelle – trop au fait des tenants et aboutissants du récit – et de convaincre ses nouveaux collaborateurs que l’acteur souffrait réellement d’un handicap moteur. On en conviendra, la démarche est douteuse. Mais, selon le cinéaste, il s’agissait d’un mal nécessaire à la crédulité de son actrice.

 

The Fall : photo, Catinca Untaru Quand tu te dis que Jared Leto a de qui tenir

 

L’ensemble des séquences figurant les personnages de Roy et Alexandria ont ainsi été tournées entre les murs d’un hôpital psychiatrique sud-africain quelque douze semaines durant. À l’issue de quoi, le secret fut bien entendu éventé, et Tarsem eut tout le loisir de commencer à planifier l’autre versant de son récit, à savoir, les séquences fantaisistes que se figurent la jeune fille selon les contes narrés par son aîné.

Dunes de sable orange, labyrinthe ensanglanté, et autres monuments aux architectures grandioses sont autant d’imageries destinées hanter l’esprit du spectateur longtemps après visionnage. En vue de réaliser ces différents visuels, Tarsem a choisi d’adapter son tournage à différents contrats publicitaires, lesquels nécessitent pléthore de déplacements aux quatre coins du monde en compagnie de ses techniciens. 

 

The Fall : photo Les comédiens en chemin

 

Un projet auprès de l’entreprise Coca Cola lui a ainsi permis de rapatrier ses comédiens sur le Butterfly Reef des îles Fidji. Un projet similaire pour la boisson Mountain Dew l’a poussé à poser ses bagages dans le désert du Rajasthan ainsi qu’aux îles Andaman près de Sumatra. Quant à la ville recouverte de pierres bleues, il s’agit en réalité d’une ville Brahmin où les habitations sont censées être traditionnellement peintes de cette couleur.

Tarsem a donc proposé à la ville de lui fournir gratuitement de la peinture afin d’en rafraichir les façades pour les caméras. Et bien entendu, ses voyages subséquents en Namibie, en République tchèque, en Italie, en Turquie ou encore en Inde ont assuré aux cinéastes une variété de décors plus spectaculaires les uns que les autres – au hasard, le Taj Mahal – sans jamais avoir eu recours aux effets numériques ni à quelconque fond vert.

 

The Fall : photo, Marcus Wesley I got the blues

 

la chute de la maison de Tarsem

Pour une raison obscure, ce seront justement ces séquences à l’esthétique apothéotique qui feront défaut au film. Suite à une première diffusion au Festival de Toronto en 2006, The Fall fera l’objet d’une critique acerbe du journaliste Dennis Harvey pour Variety. Celui-ci qualifie l’objet de « projet vaniteux », tandis le reste de sa diatribe se résume peu ou prou à une condamner des excès de forme effectués, selon ses dires, au détriment du fond.

Ironiquement, le Marie-Antoinette de Sofia Coppola a souffert des mêmes remontrances après sa projection au Festival de Cannes la même année. Autrement dit, 2006 n’est guère propice aux récits jouissant de visuels excessifs. Pourtant, arguer que le style peut être une forme de substance en soi n’a rien d’inédit. Mais gangréné par les prémisses de la crise financière de 2008, le paysage social y est toutefois indifférent, voire même, réfractaire.

 

The Fall : photo, Justine Waddell Toujours l’heure d’apprécier les costumes d’Eiko Ishioka

 

Peu convaincus par l’attractivité du projet auprès d’un public privilégiant alors un cinéma plus grave (on pense bien entendu à Casino Royale, Les Infiltrés, Le Prestige, V pour Vendetta ou encore Les Fils de l’Homme), les acheteurs se détournent de Tarsem et son film, au plus grand désarroi de certains.

Le producteur Mark Urman, particulièrement indigné par la frilosité des distributeurs, s’est notamment désolé de la situation lors d’un entretien aux propos relayés par le LA Times : « Le film sous-tend le double tranchant de l’indépendance. Ce film n’aurait probablement jamais pu exister s’il avait été produit selon le procédé habituel, mais le fait qu’il ait été construit en dehors du système lui a valu un tas d’autres problématiques. »

 

The Fall : photo, Lee Pace « J’en ai assez vu »

 

Grâce aux soutiens de David Fincher et Spike Jonze, deux pointures de renoms et fervents défenseurs de l’oeuvre de Tarsem, The Fall a finalement eu droit à une sortie dans les salles obscures deux ans plus tard. Bien entendu, les exploitants ne furent guère nombreux, et le film cumulera en tout et pour tout la bagatelle de 3,6 millions de dollars au terme de son exploitation en 2008. Inutile d’être fin analyste du box-office pour savoir qu’il s’agit-là d’une somme désastreuse, mais ainsi va la vie.

L’invisibilisation du film auprès du grand public est ainsi le dommage collatéral d’une réticence maladive à valoriser des récits originaux. Pareille observation n’a tristement rien de révolutionnaire au sein du paysage audiovisuel, et se vérifie un peu plus à mesure que les années se succèdent. C’est que de l’Art à l’industrie, il n’y a qu’un pas – et manifestement, il chausse du 35.

 

The Fall : photo, Catinca Untaru, Lee Pace Ambiance « Gatsby believed in the green light »

 

The Fall faisait non seulement hommage aux histoires que se racontent les individus depuis la nuit des temps, mais aussi, au beau ; celui de la forme, du style, de l’exigence plastique et narrative. Et par les temps qui courent, c’est bien tout ce dont on a besoin.

Aussi, comme l’a écrit Larissa Tarkovsky en préface du Temps Scellé de son époux Adrei : « L’art nous donne la force et l’espoir devant un monde monstrueusement cruel et qui touche, dans sa déraison, à l’absurdité. Le véritable art moderne doit porter en lui une catharsis pour purifier les hommes en face des catastrophes, ou de la catastrophe à venir. Tant pis si cet espoir n’est qu’un leurre. Au moins, il offre la possibilité de vivre et d’aimer le beau. L’Homme ne peut exister sans espérance. »

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C.Kalanda

0_0 jamais entendu parlé de ce film, alors que je suivais déjà bien l’actu ciné à cette époque…Et jamais eu d’écho depuis….Il avait été distribué en France ?
Merci pour l’article.

Pat Rick

Très beau film.

Grey Gargoyle

Hello,
je ne connaissais pas ce film. Merci beaucoup pour cette information !
Je me demande si on peut le trouver facilement en DVD.
Bien cordialement

Steevo Steen

Tarsem Singh… Un réalisateur tellement sous estimé, The Cell et The Fall sont vraiment magnifiques

Ozymandias

Je ne connaissais pas du tout, je vais aller voir ça alors, merci !

Kawak300

The fall …. Je comprends pas bien pourquoi il est aussi peu connu , après la mise en scène est spécial et ne plaît sûrement pas à tout le monde, une petite réflexion en passant, l’intro de mélancolia (lars von trier) m’a énormément fait penser à the fall, c’était juste moi où il y a eu copiage

Axelle Vacher

Loin de moi l’idée de déchaîner les passions à propos de The Cell. Comme d’habitude, chacun a droit à son avis sur tel ou tel média ; on s’en doutera, le mien n’est pas mirobolant, mais comme je ne suis pas si vilaine, j’ai tempéré ma phrase et rajouté le lien vers l’article de Geoffrey !
Au demeurant, ce n’est pas le sujet de cet article, qui défend The Fall, et par extension, Tarsem Singh – que l’on aime manifestement tous d’amour. Aimez The Cell si le coeur vous en dit, je ne suis pas là pour dicter vos goûts. Mais revoyez The Fall quand même, hein.

Ju

Pour revenir à The Fall, c’est en effet un chef d’oeuvre à découvrir absolument !
Et j’aime beaucoup les visuels de The Cell même si le scénario n’est pas fou…

Geoffrey Crété

Axelle a donc créé un débat avec quelques mots au milieu d’un article complet. Je la laisserai défendre son avis sur The Cell, parce que moi je l’aime bien et effectivement je l’ai défendu.

Cela dit : on met continuellement en avant des avis différents sur Ecran Large, donc rien d’extraordinaire dans l’idée

Pseudonaze

The Cell est un pur joyau, pour moi c’est même le meilleur film de JLo (avec Hors d’atteinte et Queens)
Je l’ai vu en salle à sa sortie et j’ai acheté le dvd dès sa mise dans les bacs… j’hésite même à l’acquérir en blu-ray (JPP sort de ce corps ;))