Le joli Second tour est le huitième film d’Albert Dupontel. Retour sur une carrière qui détonne, dans tous les sens du terme, au sein du paysage cinématographique français.
En plus de 30 ans de carrière en tant que réalisateur, Albert Dupontel est devenu – chose rare – le chouchou d’un large public et de la critique. Et pour cause : dès son premier long-métrage Bernie, il mettait en scène un univers très singulier, qui est devenu au fil de sa filmographie une véritable marque de fabrique. Du coup d’éclat punk aux contes oniriques touchants, itinéraire d’un artiste unique en son genre, dans l’ordre chronologique de ses œuvres.
Des coups de pelle aux coups d’État
Bernie
Sortie : 1996 – Durée : 1h27
Il est ironique que celui qui est sur le point de malmener un peu le milieu du cinéma comique français soit remarqué par Patrick Sébastien. C’est bien grâce au roi télévisuel des chansons de mariages pourries qu’il rencontre le succès sur scène. Mais son objectif a toujours été le grand écran, si possible derrière la caméra. Après un court-métrage, Désiré, il saute le pas avec Bernie, énorme pavé balancé du haut d’un HLM décrépi dans la marre de la culture populaire française, inspiré notamment par le Délits flagrants de Depardon. L’itinéraire meurtrier de son antihéros trouvé dans une poubelle et parti à la recherche de ses parents défraye la chronique et devient instantanément culte.
Bernie est résolument punk, explorant son petit monde sale et méchant à travers le regard des laissés pour compte les plus teigneux, des alcooliques et des camés en quête d’aventure, des parents démissionnaires et des petits bourgeois vicieux. Contrairement à ce qu’ont pu avancer des médias locaux décontenancés face au succès d’un tel film indépendant, qu’ils ont vite fait de comparer à C’est arrivé près de chez vous, l’idée est moins de dénoncer tel ou tel aspect de la société française que de la déformer au maximum pour mieux la défigurer à coups de pelle. Et qu’est-ce qu’on se marre !
Le Créateur
Sortie : 1999 – Durée : 1h32
Devant les résultats du box-office
La frénésie de Bernie n’est pas passée inaperçue, y compris chez les Anglo-saxons. Plusieurs membres des Monty Python lui ont déclaré leur amour et Terry Jones en personne apparait dans le deuxième film du réalisateur, Le créateur, sous les traits de… Dieu. Eh oui : pour son deuxième essai, Dupontel ne s’assagit pas forcément, même s’il choisit de raconter la pression qui vient après le succès. Clairement influencé par les frères Coen de Barton Fink, il imagine les combines d’un dramaturge auréolé d’une réputation de génie et forcé d’enchainer. Ah, et il assassine quelques chatons au passage.
Difficile de ne pas y voir une réflexion personnelle, évidemment, bien que le sujet soit finalement moins sa situation que l’acte de création en lui-même, naissant forcément d’une forme de détresse. Il faudrait être torturé pour écrire et il ne va pas se gêner pour chahuter un peu ses protagonistes. Le ton oscille entre l’humour noir et une vraie tendresse pour un héros cabossé, parfois grâce à une mise en scène plus stylisée encore. L’univers Dupontel prend complètement forme. Ironiquement, le film est un énorme bide, qui lui imposera un hiatus et le marquera beaucoup. Il lui faudra attendre encore quelques années avant d’imposer son macrocosme dans la culture populaire.
Enfermés dehors
Sortie : 2006 – Durée : 1h30
Le prestige de l’uniforme
La logique aurait voulu que le cinéaste abandonne son univers décalé pour se conformer un peu plus aux exigences du public. Toujours affligé par l’échec du Créateur, il songe d’abord à réaliser le film aux États-Unis avant de se raviser et d’opter pour la France. Enfermés dehors n’est certes pas le film le plus apprécié de Dupontel, mais il le remet sur le devant de la scène en attirant plus de trois fois plus de spectateurs que son œuvre précédente.
Ici se dessine particulièrement une autre de ses passions : le splastick, cette technique comique gestuelle et exagérée dont les grands comiques des débuts d’Hollywood sont devenus les ambassadeurs et que les réalisateurs de film d’horreur des années 1980 se sont totalement réappropriée à la sauce trash. C’est ainsi qu’il collabore régulièrement avec des acteurs extrêmement expressifs, partisans d’une comédie outrée, tels que Nicolas Marié, bien sûr, collaborateur de toujours, mais aussi, dans une moindre mesure, Bouli Lanners et Philippe Duquesne, tous excellents ici, dans cette farce qui vient presque compléter Bernie 10 ans plus tard.
Le Vilain
Sortie : 2009 – Durée : 1h26
Et le rajeunissement pas numérique de Catherine Frot
Dupontel persiste dans le burlesque avec un récit qui pourrait presque résumer en toute simplicité les histoires qu’il affectionne : un personnage immoral trouve refuge chez sa mère, qui tente de corriger son éducation. Outre cette obsession à défenestrer toutes sortes d’animaux domestiques (en l’occurrence, ici, une tortue), le long-métrage explicite encore un peu plus l’intérêt du cinéaste pour les relations filiales. Elles sont au coeur de quasiment tous ses films et évoluent en même temps que lui.
La dernière scène voit notre antihéros assurer au volant d’un fourgon volé qu’il restera toujours « un sale gosse », promesse fascinante à cette période charnière de sa carrière, laquelle s’apprête à prendre un léger virage vers la poésie onirique. Dans Le Vilain transparaît déjà une volonté de s’éloigner de l’âpreté de ses débuts, sans pour autant déroger à sa méthode : raconter des drames avec humour. Un humour qui passe par une cascade d’idées visuelles (le mouvement de caméra sur le médecin dans l’escalier), loin de disparaître de sa filmographie.
9 Mois ferme
Sortie : 2013 – Durée : 1h22
Faites des gossses… mais pas bourrés sur un trottoir, de préférence
Après s’être inspiré de Délits flagrants de Raymond Depardon pour Bernie, Albert Dupontel s’est nourri de 10e chambre, instants d’audience, un autre documentaire du réalisateur et reporter pour écrire le scénario de 9 mois ferme. Il s’est aussi et surtout nourri des motifs de plus en plus évidents et récurrents de son cinéma : la famille, la quête du lien et l’amour, toujours sur une note dramatiquement comique qu’on pourrait résumer à cette si belle réplique de Sandrine Kiberlain : « La famille est une tragédie écrite par les parents et jouée par les enfants« .
Ainsi, tout le but sera d’éviter à l’enfant à naître la tragédie mise en scène par ses parents : une partie de jambe en l’air en pleine rue entre une juge asociale et un cambrioleur multirécidiviste en cavale, suivie d’un déni de grossesse et d’une tentative d’avortement des plus cérémoniales. Et là où on aurait pu craindre un pamphlet pro-vie sous couvert de badinerie, c’est plutôt un doigt d’honneur fièrement dressé à la magistrature, à ses jugements hâtifs et son aveuglement inconscient (qui n’est d’ailleurs pas sans rapport avec l’énucléation dont est accusé Bob Nolan).Et puis, comment ne pas succomber face à cette séquence de slapstick qui rejoue plusieurs fois le démembrement d’un vieil homme ?
Au revoir là-haut
Sortie : 2017 – Durée : 1h57
Après avoir connu son premier vrai succès populaire massif en salles avec 9 mois ferme, Albert Dupontel s’est essayé pour la première fois à l’adaptation avec Au revoir là-haut, tiré du roman éponyme de Pierre Lemaitre (Prix Goncourt 2013). L’exercice aurait pu phagocyter l’inventivité et le burlesque du cinéaste, mais celui-ci a ingénieusement mélangé son art au récit original dans lequel il a trouvé le terreau nécessaire : une relation père-fils déchirante, des personnages aux failles émouvantes et un discours plus désenchanté sur la société (cette fois d’entre-deux-guerres).
L’adaptation n’est pas aussi noire et pessimiste, mais le ton est une fois de plus faussement enjoué et léger, désespérément burlesque. Initialement, c’est Bouli Lanners qui devait camper le rôle d’Albert, mais après un empêchement, Dupontel a finalement pris le relais pour incarner ce personnage qu’il a su remanié pour en faire un autre bougre sympathique, benêt et délinquant, mais presque candide. Au revoir là-haut marque également un tournant technique pour le réalisateur, dont la mise en scène excelle et recèle d’idées brillantes, comme cette scène de vol de morphine qui mêle le comique au tragique dans un jeu de miroirs et de reflets subjuguant.
Adieu les cons
Sortie : 2021 – Durée : 1h27
Albert Dupontel a pris l’habitude de mettre en scène des histoires tristes et d’incarner des personnages en détresse, mais jamais de façon aussi transparente et simple qu’avec Jean-Baptiste Cuchas, un informaticien viré qui rate (pas qu’un peu) sa tentative de suicide et doit malgré lui accomplir les dernières volontés d’une mourante. Comme toujours, le ton est espiègle et vire souvent à l’absurde, mais la charge sociale est cette fois moins énergique et le dénouement plus mélodramatique et romanesque, quand bien même la mort et la fatalité y sont présentées plus sous le prisme de la tendresse et de l’apaisement que de la violence. Le fait que le film soit dédié à Terry Jones des Monty Python n’y est certainement pas pour rien.
Adieu les cons est aussi une nouvelle histoire de vie contrariée, un jeu de piste à la recherche de l’autre, et une autre fleur offerte aux marginaux de tout genre, ceux qu’on laisse au placard (en l’occurrence aux archives), qu’on écarte d’un revers de main ou dont on a dicté l’existence. La technique est peut-être moins affirmée que pour son précédent long-métrage, mais le coeur y est, avec une naïveté et une fidélité bienvenues.
Notre critique de Adieu les cons
Second Tour
Sortie : 2023 – Durée : 1h35
Dans son dernier film, le cinéaste n’aura jamais été aussi explicite quant à ses cibles : son personnage est un macroniste de base carburant à la pub et aux promesses en l’air et le scénario pioche allégrement dans l’actualité politique pour mieux la caricaturer. Un retour à un cinéma plus véhément ? Oui et non. Certes, il n’hésite pas à s’attaquer frontalement aux chargés de com’ qui nous servent d’élus, mais l’univers déployé ressemble plus à celui d’Adieu les cons qu’à celui de Bernie.
Une approche poétique qui fonctionne toujours autant, la galerie de personnages dont il sonde les faiblesses l’emportant largement sur la satire politique (mention spéciale au footix génie malgré lui campé par Nicolas Marié). Mais il s’agit aussi d’une bonne manière de faire passer un discours plus apaisé que prévu. Bien qu’il avait le champ libre pour faire péter l’Elysée, il choisit d’évoquer la nécessité de changer le système de l’intérieur. Et par la même, promeut enfin ses personnages marginalisés, désormais garants de la sauvegarde du drôle de monde dans lequel ils évoluent. Ils en ont fait, du chemin. Au fil des années, Dupontel ne s’est certainement pas assagi. En revanche, il s’est probablement adouci.
Qui confirme la règle.
À savoir tous les films de Dupontel sont d’une manière ou d’une autre défendable et estimable, tous sauf un nn/Second tour qui est à mon humble avis proche de la catastrophe industrielle. Heureusement petit budget enfin j’espère sinon c’est de l’ordre d’un Astérix version canet. Il faut régulièrement se pincer pour y croire et rester éveiller à la fois. Qu’est ce c’est que cette histoire totalement abracadabrantesque qui semble à peine digne d’un sketch de Groland étiré sur 1H40. Techniquement scenaristiquement et en terme de gaudriole c’est exactement du même niveau.
Ah ben j’apprends que « 2 jours à tuer » n’est pas réalisé par Dupontel, j’étais pourtant sur que c’était le cas ^^
Bernie et puis plus rien.
Mais comme on est une grande nation de cinéma forcément tout ce qu’il fait est mieux que le reste.
J’adore ce mec, j’adore ses films, mais perso mon top 3 c’est Bernie, Enfermés dehors, 9 mois ferme.
j’aime bien Dupontel. c’est quelqu’un qui propose à chaque fois quelque chose d’engagé. je n’avais as trop aimé Bernie, mais 9 mois ferme, c’était vraiment un film super