Films

Pulp Fiction version comédie de Noël : le meilleur film du réalisateur de La Mémoire dans la Peau

Par Geoffrey Fouillet
9 décembre 2023
MAJ : 14 décembre 2023
Go : Comme Pulp Fiction mais comédie de Noël adolescente

Jouer avec le feu et rouler à tombeau ouvert, voilà le double programme de Go de Doug Liman, relecture adolescente des films criminels à la sauce tarantinesque.

Les malfrats ont toujours taillé le bout de gras au cinéma, et à plus forte raison encore avec l’avènement du Nouvel Hollywood. Que ce soit chez Brian De Palma, Martin Scorsese, ou plus tard chez Quentin Tarantino (là, vous avez l’embarras du choix), la petite criminalité comme le grand banditisme ont été immortalisés dans toute leur cinégénie. Mais on aurait tort de se limiter aux incontournables du genre tant il reste des trésors cachés qui ne demandent qu’à être exhumés. 

Et au rayon des néo-noirs trop vite oubliés, Go réalisé par Doug Liman, sur un scénario de John August, rafle la mise. Plutôt que de choisir des gueules cabossées habituées aux rôles de gangsters, le réalisateur jette son dévolu sur les nouveaux visages de la génération 90 (Sarah Polley, Katie HolmesTimothy Olyphant…), et offre au genre criminel une cure de jouvence frénétique et jubilatoire. Alors à vos marques, prêts, go !

 

Go : photo, Katie Holmes, Sarah PolleyC’est par ici la fête ?

 

NON-STOP

Quand certains fêtent le réveillon de Noël au coin d’un feu de cheminée avec un chocolat chaud à la main, d’autres préfèrent se geler dehors, perdre gentiment les pédales et foncer droit dans le mur (oui, on appelle ça la sélection naturelle). Go s’intéresse évidemment aux têtes brûlées du lot, et à ce compte-là, on tient de vrais champions. Allez, c’est parti pour les présentations !

Ronna (Sarah Polley), une caissière menacée d’expulsion, tente d’escroquer Todd (Timothy Olyphant), un dealer de drogue. Simon, lui, un collègue de Ronna, part avec des amis à Las Vegas et devient la cible d’un mafieux et de son fils. Quant à Zack et Adam, deux acteurs de seconde zone secrètement en couple, ils sont recrutés en tant qu’appâts par Burke (William Fichtner), un agent de la brigade des stupéfiants prêt à boucler Ronna, Todd, et la boucle en passant.

 

Go : photo, Sarah Polley« Bah quoi frérot, tu veux ma photo ? »

 

N’ayez crainte, si vous avez l’impression de prendre le train en marche alors que le film vient tout juste de commencer, c’est parfaitement normal. En tant que pur produit de son époque, Go file à toute allure, profite d’une bande-son aux sonorités techno qui rappelle celle de Trainspotting ou de Cours, Lola, cours, et chatouille la rétine grâce à une mise en scène dopée aux accélérés et flous de mouvement. Une approche clippesque qui en rebutera certains, mais au diapason de toute cette culture des « free-parties », où la drogue et le son des synthétiseurs fusionnaient en toute clandestinité.

L’euphorie des personnages sert alors de carburant au récit, comme un fix d’adrénaline qui viendrait constamment électriser le cours des évènements. Et au-delà des situations ubuesques que le film égrène, on a droit à quelques dérapages bien délirants, dont une séquence de danse hallucinée dans un supermarché sur un remix de La Macarena. Cette juxtaposition d’informations et d’inspirations fait de Go un ambassadeur certes modeste, mais solide, d’un cinéma « patchwork » ultra généreux.

 

Go : photo, Nathan Bexton « M’accorderez-vous cette danse, gente dame ? »

 

WHAT’S IN THE BOX

« Tu sais ce que je préfère à Noël ? Les surprises ! Devant toi, il y a cette boîte et tu es sûr de savoir ce qu’il y a dedans. Tu la secoues, tu la soupèses et tu es certain d’avoir deviné (…) mais quand tu l’ouvres, tu t’es planté, ça n’a plus rien à voir », raconte Claire (Katie Holmes), une amie de Ronna, dès l’ouverture du film. Bien sûr, cette seule réplique a valeur de note d’intention générale, introduisant le spectateur à la nuit de galère que s’apprêtent à vivre les personnages. Et réjouissons-nous puisque la promesse est tenue !

S’il repose sur une construction en tryptique déjà exploitée dans Pulp Fiction de Tarantino et reprise plus tard par exemple dans Amours chiennes d’Alejandro González Iñárritu, Go suscite malgré tout l’étonnement en créant son propre puzzle, plus tordu que prévu. Et il faut rendre à John August ce qui lui revient de droit, spécialiste des « films gigogne » qui signera ensuite, entre autres, les scénarios de Big Fish et de son premier long-métrage en tant que réalisateur, le génial et trop méconnu The Nines avec Ryan Reynolds.

 

Go : photo, Timothy Olyphant, Sarah PolleyBad Santa, pour vous servir !

 

Remonté comme une pendule, Go change de braquet et de point de vue toutes les trente minutes, en se donnant pour mission de condenser un maximum de péripéties invraisemblables dans le temps imparti. Cet effet d’accumulation joue pour beaucoup dans le plaisir que l’on éprouve à voir les choses empirer à vitesse grand V, sans compter la nature même des mésaventures dépeintes ici, qui slaloment entre le film d’arnaque, de braquage voire d’espionnage.

C’est cette capacité à jongler d’un registre à l’autre en conservant une harmonie de ton et d’esprit sur l’ensemble des trois chapitres qui impressionne. Parce que oui, la farce tragi-comique reste le fil conducteur de ce grand bazar organisé. On rit beaucoup, souvent aux dépens des personnages, parfois même pour décompresser d’une séquence un peu trop gênante ou survoltée, d’où un sentiment ambivalent, mais fécond, de ne jamais savoir sur quel pied danser.

 

Go : photo, Scott Wolf, Jay Mohr, William FichtnerEn voilà un trio de choc (ou pas)

 

AU BOUT DE LA NUIT

« Cela ne s’arrêtait pas au fait que j’aimais cette histoire. Il y avait quelque chose de très personnel pour moi. Cela parlait du fait d’avoir 18 ans et d’avoir un passe-droit pour tout (…) Il y avait cette vision très privilégiée du monde, d’être un individu blanc, de 18 ans, qui a toujours les moyens d’éviter la case prison », expliquait Liman dans le podcast du magazine Now Toronto à l’occasion des vingt ans du film.   

C’est en ce sens que les personnages de Go semblent tendre le bâton pour se faire battre. Alors qu’ils ont a priori tous les privilèges de leur côté, ils s’obstinent à se mettre en danger par inconscience, voire arrogance. On contemple ainsi le portrait d’une jeunesse dorée désenchantée, comme représentée dans certains romans de Bret Easton Ellis – Moins que zéro en est un parfait exemple – mais sans la dimension éminemment sulfureuse qui va souvent avec (cela étant, on n’est pas chez Les Bisounours non plus).

 

Go : photo, Taye Diggs, Desmond AskewÀ trop jouer les flambeurs, on se brûle les ailes

 

Braver l’interdit reste le suprême défi à relever pour Ronna, Simon et les autres, et pour ce faire, le monde de la nuit et ses lieux de débauche (rave-party, hôtel de luxe, club de strip-tease…) sont tout désignés. C’est alors l’occasion pour Liman d’égratigner l’image BCBG d’une partie du casting en la confrontant, chapitre après chapitre, à plusieurs criminels endurcis ou bien à des figures d’autorité imprévisibles – l’ironie étant qu’un policier comme Burke paraît nettement plus dérangé que n’importe quel autre gangster.

Tous ces profils bigarrés, entre gueules d’ange et mines patibulaires, renvoient à l’idée que la vie est un cirque perpétuel, et le resserrement temporel de l’intrigue renforce cette sensation d’urgence et de chaos, un peu à la manière d’After Hours de Scorsese. Alors quand le film s’achève après une nuit de folie, sur cette réplique : « Alors, qu’est-ce qu’on fait pour le nouvel an ? », on se dit qu’on a affaire à un pur trip rebelle, et devant tant d’insolence, on s’incline.

 

Go : photo, Katie Holmes, Nathan BextonD’un air de dire : « Alors, on remet ça ? »

 

Malgré ses emprunts à plusieurs références illustres du genre, Go a surtout l’immense qualité de ne jamais s’essouffler en cours de route. S’il le considère encore comme son meilleur film plus de vingt ans après sa sortie, Doug Liman a bien pris son envol depuis, quittant le circuit indépendant pour l’industrie du blockbuster (de La Mémoire dans la peau à Jumper, en passant par Edge of Tomorrow). Et désormais, le voilà en lice pour peut-être envoyer Tom Cruise dans l’espace pour les besoins d’un prochain film. Qui dit mieux ?

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Joey Joe Joe Jr Shabadoo

Nous voyant refuser l’entrée de « peur bleue » car trop jeunes, nous dûmes choisîr un film au hasard : « Go ». Quelle claque pour de jeunes ados !

Film désormais culte pour mes amis et moi, au même titre que « Human Traffic » ou « Les lois de l’attraction ».

Le film a effectivement un aspect un peu foutraque avec tous ces personnages déjantés, façon Snatch de Guy Ritchie (autre film référence). Je me souviens encore de la barre de rire sur la scène de la Macarena.