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David Bowie, l’ultime alien : le tout premier rôle de la star dans une pépite de science-fiction

Par Axelle Vacher
2 janvier 2024
MAJ : 20 novembre 2024
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L'Homme qui venait d'ailleurs : abonné

David Bowie n’aurait pu rêver mieux pour son premier rôle au cinéma que L’Homme qui venait d’ailleurs, dont le récit se juxtapose à sa propre expérience.

Il y a des interprètes qui semblent venus au monde spécifiquement pour prêter leurs traits à un personnage bien particulier. Bien sûr, il y a les grands classiques dont la presse rabat les oreilles de ses lecteurs tels que Robert Downey Jr. et Iron Man, Leonard Nimoy et Spock, ou encore Anthony Hopkins et Hannibal Lecter, mais il existe d’autres évidences ayant échappé au radar du grand public.

Avec son Homme tombé du ciel, Walter Trevis propose un récit largement conçu comme une réinterprétation du mythe d’Icare. Lorsqu’il choisit de le transposer à l’écran, Nicolas Roeg appelle toutefois à une tout autre grille de lecture, paradoxalement plus ancrée dans le réel et plus relative aux intentions initiales de l’ouvrage original. En choisissant David Bowie comme l’interprète de son personnage principal, le cinéaste entremêle intimement son récit à sa tête d’affiche.

 

L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, David BowieGatsby believed in the blue light

 

ground control to major roeg

Quiconque connaît un tant soit peu l’imagerie propre à David Bowie sait pertinemment que son incursion dans le septième art n’était qu’une question de temps. À ce sujet, l’auteur David Buckley écrit dans son livre David Bowie, une étrange fascination : 

« Ses spectacles et chansons possédaient une indéniable qualité cinématographique. Il était aussi extrêmement séduisant, et, au début des années 60, avait tenté quelques incursions dans le cinéma sous la houlette de Ken Pitt, qui voulait faire de lui un artiste complet. En outre, Bowie s’intéressait énormément au cinéma en tant que moyen d’expression, possédait une vaste quantité de films, en particulier expressionnistes, et voulait apprendre les techniques de réalisation et de production ».

 

L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, David Bowie Movie star

 

En dépit du caractère inéluctable de ce premier rôle, le personnage ne revient pas de suite au chanteur. En lieu et place, le cinéaste s’imagine plutôt confier son Thomas Jerome Newton à Peter O’Toole, ou encore, et c’est peut-être plus surprenant, à l’auteur Michael Crichton – ses 2m06 se prêtant au physique dégingandé du personnage. Néanmoins, après un visionnage du documentaire Cracked Actor d’Alan Yentob, Roeg jette finalement son dévolu sur Bowie.

La note d’intention semble toute faite ; réputé pour sa tendance à se réinventer visuellement et multiplier les alter ego, le chanteur exsude ce que Bucley décrit comme « une authentique étrangeté », ainsi qu’une « attitude naturellement extraterrestre ». Mais ce n’est pas tant pour son univers empreint de science-fiction et de glam rock, ou encore son personnage de Ziggy Stardust – messager d’une parole interplanétaire – que le cinéaste perçoit en l’artiste son candidat idéal.

 

 

Le documentaire par lequel Roeg découvre son acteur dresse le portrait d’un individu marqué par la dépendance et la paranoïa ; Bowie y apparaît émacié, pâle, confus. Autant d’attributs relatifs à Newton, et par extension, Walter Trevis lui-même. Dans un entretien accordé au magasine littéraire Brick, l’auteur confiait que son Homme tombé du ciel se rapportait principalement à une « autobiographie déguisée », laquelle s’est appliquée à traduire son sentiment récurrent de « provenir d’une autre planète ». À travers son personnage, Trevis relate son propre mal-être après s’être échoué dans le Kentucky, sa noyade dans l’alcool et son aliénation subséquente.

Un ressenti que partage alors David Bowie, qui, harassé par son passage prolongé à Los Angeles, se languit désespérément de sa Grande-Bretagne maternelle. En dépit de ses engagements auprès du réalisateur, le chanteur entretient diligemment sa cocaïnomanie lors du tournage, ce qui, aussi terrible ce constat puisse-il être, confère à son jeu un réalisme difficile à feindre autrement. De cette expérience, il retient par ailleurs « ne pas avoir eu besoin de jouer la comédie », tel qu’il le confie à Rolling Stones en 1983. « Je n’étais pas de ce monde à cette époque-là ».

 

L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, David BowieIl fait soif

 

thin white duke vs. earthlings

Si Bowie s’est longtemps intéressé au Septième art, cela ne signifie nullement qu’il ne cherche pas à conditionner sa participation au projet de Roeg. Il impose sa propre garde-robe au personnage, ainsi que la chevelure flamboyante qu’il arbore depuis janvier 1972 – un parti pris esthétique aux antipodes de Newton, lequel est décrit dans le roman comme un humanoïde aux boucles blanches.

Lors du tournage, fiction et réalité se brouillent par delà le visuel : outre une consommation de drogue et d’alcool définie par l’assistant caméra Tony Richmond comme « massive« , plusieurs mesures sont mises en place pour assurer le confort (physique et mental) de la star.

 L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, Candy Clark, David BowieLes yeux révolver

 

Son garde du corps personnel est ainsi employé pour prêter ses traits à Arthur, le chauffeur du protagoniste, et la limousine qu’il conduit est justement celle utilisée par le chanteur pour se déplacer au quotidien (et dont la banquette arrière est par ailleurs le décor de nombreuses scènes du documentaire de Yentob). Selon les dires de Candy Clarke pour Variety en 2016, c’est même toute une équipe de production britannique qui a été dépêchée au Nouveau-Mexique par le cinéaste afin de soulager le mal du pays dont souffrait sa star.

Mais c’est surtout par delà les prises de vues que l’amalgame entre l’acteur et son personnage se manifeste le plus. En acceptant de figurer dans L’Homme qui venait d’ailleurs, David Bowie se doit également d’en signer la bande originale. Il est alors question pour lui d’enregistrer les différentes musiques une fois le tournage terminé, et d’en user comme une suite directe à son album Young Americans (dont il est possible d’apercevoir la jaquette dans l’avant-dernière scène du film).

 

L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, Candy Clark, David BowiePulp fiction

 

L’artiste enregistre alors quelques pistes aux côtés de l’arrangeur Paul Buckmaster, mais le résultat final ne colle pas au film, et Roeg se tourne en urgence vers le musicien John Phillips, du groupe The Mamas and the Papas. C’est donc sur son propre album Station to Station que se retrouvent une partie des sons initialement conçus pour le film, et pour en illustrer l’univers visuel, Bowie choisit de réemployer la silhouette de son personnage.

Là où Newton se présentait en visiteur déraciné, presque apatride, rongé par la solitude et corrompu par les vices humains, le fameux Thin White Duke – pénultième alter ego du chanteur – brille par son insensibilité et son détachement. Il est le vide après l’angoisse, et se positionne subséquemment dans la continuité des abus soufferts aussi bien par Newton que son interprète.

 

L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, David BowieBottle to bottle

 

alien (n)ation

Si la détresse psychologique dans laquelle se trouvait David Bowie fait bien évidemment écho à celle de son personnage, les parallèles entre les deux individus ne s’y limitent aucunement. Aussi, la façon dont l’extraterrestre est tout d’abord érigé au statut d’entrepreneur visionnaire révéré de tous, puis réduit à l’état de proie à dépraver rappelle immanquablement l’expérience de l’artiste dans son rapport à la célébrité. Après tout, il est monnaie courante pour pléthore d’individus de considérer leurs personnalités favorites comme une commodité dont il est possible d’user et d’abuser à l’envi.

Newton est ainsi soudainement capturé dans le troisième acte après que son identité ait été trahie par ses proches ; retenu captif par le gouvernement, son quotidien se retrouve alors rythmé par l’alcool et les examens d’une équipe scientifique peu scrupuleuse. À la manière dont tabloïds, paparazzi et autres joyeusetés ne rechignent guère à s’immiscer dans l’intimité de n’importe quelle star, les blouses blanches retirent au personnage toute once d’autonomie pour mieux le disséquer à vif.

 

L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, David BowieSi peu pour le serment d’Hypocrate

 

Plus horrible encore, la démarche n’est pas motivée par le désir de percer à jour les éventuels secrets du personnage, qui avoue de lui-même leur avoir déjà tout dit ; les actions des geôliers semblent ainsi moins motivées par la perspective d’étudier une forme de vie extraterrestre que d’aliéner celle-ci. Et c’est exactement ce qu’il finit par arriver : alors que le médecin en chef prétend vouloir examiner les yeux de Newton aux rayons X, ce dernier proteste, arguant que la fréquence endommagera sa vue de façon irréversible.

Sans que trop de détails ne soient donnés au spectateur, il est effectivement établi que l’espèce à laquelle appartient le personnage jouit d’une vision particulièrement développée, laquelle lui permet de distinguer plusieurs champs magnétiques. Dans un geste moins motivé par la curiosité qu’une nécessité perverse d’assurer sa supériorité, l’homme fuse les lentilles de contact portées par Newton a ses yeux, et le prive à jamais d’une partie intrinsèque de son identité.

 

L'Homme qui venait d'ailleurs : photo, David BowieWindows to the fame

 

Au demeurant, impossible de ne pas rapprocher ce rapport particulier aux yeux du personnage à la mydriase (une dilatation de la pupille) distinctive dont souffrait Bowie à l’oeil gauche. Les yeux du chanteur ont ainsi toujours été l’une des particularités à lui conférer une apparence non seulement atypique, mais surtout à la lisière de l’humain.

Roeg a un jour confié au journaliste Tony Parsons : « en général, un acteur vient à un rôle, mais d’autres fois, le rôle sembler aller vers l’acteur ». Le fait est que L’Homme qui venait d’ailleurs n’aurait pas la même complexité ni la même profondeur si Newton avait été interprété par un autre que Bowie. L’artiste ne s’est pas seulement approprié le personnage, il l’a incarné, enchevêtrant récit et réalité pour mieux proposer une performance désespérément intime.

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Eraserhead

C’est littéralement mon film préféré, la performance de Bowie dans ce film aurait méritée infiniment plus de reconnaissance.
Ce film aurait du être culte mais malheureusement ce n’est plus qu’une obscure référence des années 70

Kyle Reese

Bowie c’était l’art fait homme par excellence. Je suis tombé sous le charme dés son morceau et clip Ashes to Ashes. Et quel classe il avait. Ce film est très étrange. Par certain côté je trouve une sorte de filiation avec Under the skin.

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La scène d’amour traumatisante avec l’alien. Brrrr

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Flash

Complètement barré ce film, à l’époque le beau David était cocainé au dernier degré d’où son physique fantomatique qu’il traine tout le long de ce métrage.