The Loved Ones de Sean Byrne n’est pas seulement un modeste torture porn, c’est aussi le passionnant terrain de jeu de sa protagoniste campée par Robin McLeavy.
Le cinéma n’a pas toujours été tendre avec ses personnages féminins. Demoiselles en détresse, femmes fatales castratrices et autres manic pixie dream girls sont autant d’archétypes auxquelles se sont réduites les partitions proposées aux actrices. À contrario, l’horreur est un genre qui, sans se revendiquer unilatéralement féministe, leur aura permis de s’affranchir desdits carcans.
Certes, slashers et autres torture porn ne rechignent guère à érotiser la souffrance de leurs victimes féminines ; néanmoins, l’horreur a également offert aux femmes – interprètes et spectatrices – une subversion des dynamiques traditionnelles en proposant des portraits de femmes aussi complètes que complexes, mais surtout en leur permettant d’endosser le rôle de l’antagoniste.
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pretty when you die
Le rapport qu’entretient l’horreur à la figure féminine jouit d’une ambivalence plus complexe encore que n’importe quel autre genre. Si de nombreux récits relatifs au registre se sont effectivement pliés aux stéréotypes de la pauvre jeune femme en mal de héros, la deuxième vague féministe a impulsé la naissance d’un nouveau genre de personnages.
C’est ainsi que naît la « final girl » au crépuscule des années 70, un archétype dont le concept repose sur le massacre de chaque protagoniste, à l’exception de la fameuse « dernière survivante ». Bien entendu, celle-ci a quelques casseroles qui l’empêchent aujourd’hui de s’ériger en symbole progressiste ; on lui reprochera par exemple son appel sous-entendu à la chasteté – la final girl étant plus souvent que non une jeune blonde virginale à la conduite impeccable. L’incursion de ce personnage dans le paysage audiovisuel et son évolution subséquente ont toutefois laissé à pléthore d’actrices l’occasion de camper le nerf de l’action, de déjouer l’antagoniste, mais surtout de transcender l’impératif d’un chevalier blanc à gros bras.
Ci-joint, la plus badass des final girls
En parallèle, un autre mouvement gagne lui aussi en importance. Théorisé par Barbara Creed en 1993, le « monstrueux féminin » définit la femme comme une entité autre, cantonnée à deux dynamiques bien spécifiques : celle de la victime et celle qui, en s’affranchissant des normes sociales patriarcales, en devient abjecte. De cette idée découle ainsi plusieurs sous-genres tels que le rape and revenge (J’irais cracher sur vos tombes, La Dernière Maison sur la gauche), ou encore celui associant puberté et surnaturel (Carrie, Ginger Snaps).
À l’instar de la dernière survivante, le monstrueux féminin se confond en lectures diverses et variées, et selon les oeuvres, sous-tend un constat pouvant flirter avec l’archaïsme. Plus souvent que non toutefois, il convient de réfléchir à son approche pour mieux savourer tout le sel de certains arcs narratifs, tels que celui du The Loved Ones de Sean Byrne.
Modeste torture porn diffusé en 2009, le film se joue allègrement d’une frontière ténue entre figuration féministe et réductrice. Certes, l’amalgame entre féminité et abomination y est si criant qu’il en serait presque risible. Lola, incarnée avec brio par Robin McLeavy, multiplie ainsi les attributs de genre gentiment clichés pour mieux se présenter comme la fifille dérangée par excellence. Et si la chambre recouverte de poupées Barbie plus ou moins déchevelées, la robe de bal rose fuchsia et le complexe d’Électre ne suffisaient pas à indiquer le pète au casque manifeste de la douce, son attitude oscillant entre l’ingénue et la prédatrice sexuelle hystérique finira immanquablement de s’en charger.
Face à tant de panneaux indiquant en grosses lettres lumineuses le danger à venir, le spectateur n’a que peu le loisir de s’identifier au personnage ou lui témoigner une quelconque sympathie, contrairement à Bret, le pauvre chou qui finira par lui tomber entre les griffes. Là où Lola exhibe toute la panoplie de la cinglée de service, le personnage de Xavier Samuel semble lui avoir été conçu pour susciter l’empathie. Il n’y a donc rien de bien étonnant à ce que le public, conditionné pour s’inquiéter du sort de ce dernier, anticipe tout du long la défaite de cette antagoniste détestable.
les monstres du vagin
À première vue, The Loved Ones semble donc traduire un rapport gentiment ambivalent entre Sean Byrne et sa vision des femmes. Après tout, le susmentionné monstrueux féminin est effectivement régulièrement employé par les cinéastes pour y projeter leurs propres angoisses sexuelles, associant leur personnage à l’idée d’une impitoyable entité castratrice.
De par sa fâcheuse tendance à kidnapper n’importe quel joli garçon ayant le malheur de trouver grâce à ses yeux (sans compter l’affreux journal intime/trombinoscope auquel l’expression « digne d’un film d’horreur » ne saurait mieux convenir), Lola se positionne d’office comme un personnage dont les pulsions sont synonymes de corruption.
Le désir féminin est ainsi exposé au spectateur comme menaçant, ou pire encore, avilissant. Les personnages précédemment capturés ont ainsi été mutilés jusqu’à la régression à un état primaire, quasi animal tant l’emprise exercée par Lola est totale. Et c’est bien là qu’est la vraie terreur : ce n’est pas que le corps du masculin qui est menacé par le sexe et la perversion de ce monstrueux féminin, sa psyché l’est aussi ; en d’autres termes, ce qui assure son autonomie et son individualité.
Si ce portrait d’une sexualité simultanément angoissant et angoissé participe bien entendu à une certaine interprétation du récit, il s’agirait néanmoins de prendre en compte le genre auquel il se rapporte afin d’en nuancer les tenants et aboutissants. C’est que depuis la diatribe de David Edelstein en 2006 (savamment nommée « Now Playing at Your Local Multiplex: Torture Porn »), le torture porn a eu l’occasion de tracer son petit bonhomme de chemin.
Démocratisé sans l’être, ce sous-genre bien bis comme il le faut pousse à son paroxysme la notion de « body genres », ou genres corporels, théorisé par Linda Williams en 1991. Dans son essai Film Bodies: Gender, Genre, and Excess, l’enseignante étudie l’exploitation par le cinéma du lien mimétique entre la monstration d’un corps soumis à d’extrêmes sensations et celui du spectateur. Elle distingue alors trois genres relatifs à cette expérience spectatorielle spécifique : la pornographie, le mélodrame, et bien entendu l’horreur.
En axant la majorité de son intrigue sur la mise au supplice d’un ou plusieurs personnages, le torture porn se joue davantage de l’organique que de l’intellectuel. Tel que Susan Sontag l’a écrit dans Regarding the Pain of Others, « il semblerait que l’appétit relatif aux images figurant des corps martyrisés est presque aussi vif que le désir de les voir nus ». Puis : « toute image exposant la violation d’un corps attirant se veut, d’une certaine façon, pornographique ». Voilà pour la note d’intention.
sympathy for the devil
De fait, peu importe que Lola apparaisse sympathique ou non. Peu importe que le public soit en mesure de s’identifier à elle, ou non ; car ce n’est nullement l’effet recherché par ce cinéma sciemment provocateur. Non, là où The Loved Ones se soustrait aux impératifs émotionnels, c’est pour mieux se positionner en catharsis bête et méchante. Un postulat qui renverse alors la dynamique initialement engagée par Sean Byrne : si le public masculin (hétérosexuel) tremble à l’idée que Lola puisse être réelle, le public féminin se délecte lui d’un rapport de force qui, une fois n’est pas coutume, joue en sa faveur.
Selon cette disposition, Lola s’inscrit donc moins dans la lignée d’une Annie Wilkes 2.0, mais plutôt, dans celle du susmentionné Ginger Snaps, voire, de Gone Girl. Certes, les registres diffèrent d’un point de vue formel, mais le personnage d’Amy Dune présente toutefois son lot de similitudes avec le personnage de Robin McLeavy. Outre ses prédispositions à se jouer allègrement de sa victime, elle appartient surtout au club très fermé des femmes complètement siphonées et manifestement heureuses de l’être.
En dépeignant une protagoniste qui aime à torturer gratuitement plutôt qu’en représailles d’un mal qu’il lui aurait été fait par le passé, The Loved Ones offre d’une part à Lola l’opportunité d’être aussi dérangée que ses congénères masculins Freddy, Leatherface et autres Michael Myers, et à son public, celle d’en profiter.
Bela Lugosi, l’interprète du vampire le plus célèbre de la littérature, aurait ainsi argué que « ce sont les femmes qui adorent l’horreur ; qui s’en réjouissent ; s’en nourrissent ; tremblent et s’y cramponnent et s’exclament et y reviennent ». Un constat qui n’est que trop souvent oublié des théories féministes telles que celles de la susnommée Barbara Creed.
Car si l’horreur a notamment ouvert à ses rôles féminins tout un nouveau champ des possibles, c’est aussi pour ses spectatrices que le genre propose du renouveau. Il n’est plus question d’être le témoin de personnages opprimés, apeurés, ou persécutés, mais de découvrir des femmes auxquelles il a été permis d’être abjectes, exécrables, folles à lier… sans jamais avoir à se justifier ou s’en excuser.
Aussi étonnant ce constat puisse être, le film de Sean Byrne s’impose donc comme une proposition plus atypique qu’elle n’y parait. Par le prisme de Lola, sa caractérisation, sa mise en scène, et bien entendu, la performance de Robin McLeavy, The Loved Ones bouleverse de nombreux clichés de genre et propose à son public féminin une antagoniste joyeusement psychotique. Et c’est tant mieux.
Vu et vraiment apprécié par contre j’ai du mal a comprendre ce que vient faire l’histoire de son pote qui sort avec la gothique en parallèle je comprends pas ce que ça apporte au film
Le film a 15 ans et c’était déjà très mauvais à l’époque
Je ne connais pas ,je me le mets sur ma liste en espérant éviter le trauma d audition 🙂
Merci.
Javais commencé a le regarder, mais la mode du torture porn etait déjà passée. Je n’étais pas dans le move ( ne sachant pas trop a quoi mattendre) je me suis endormi devant et je ne lai jamais relancé.
Je lui donnerais peut-être une seconde chance.
Je tremble comme une feuille