Souvent déconsidérée, la bande-originale de John Williams sur Star Wars 7 : Le Réveil de la Force est pourtant géniale à plus d’un titre.
Avec la réception très mitigée de la postlogie (pour faire dans l’euphémisme), on en oublierait presque que Star Wars : Le Réveil de la Force a été un phénomène lors de sa sortie en 2015. Au-delà de l’attente démesurée provoquée par la renaissance de la saga de George Lucas, le film de J.J. Abrams a finalement été accueilli avec un certain enthousiasme. Un enthousiasme estompé au fil du temps, ne serait-ce qu’à cause de la conclusion en eau de boudin de L’Ascension de Skywalker.
Pourtant, on ne saurait enlever à l’épisode 7 sa fougue aventureuse, en particulier dans sa première heure, où le dynamisme de la mise en scène d’Abrams (ses travellings et panoramiques rapides, ses compositions complexes passant avec fluidité d’un personnage à un autre) s’accorde à l’entrée en matière fracassante de ses nouveaux personnages. Bien sûr, on pourrait lui reprocher la facilité nostalgique qui découle de cette introduction (Han Solo, la Starkiller Base…), mais le film se cherche une forme d’équilibre précaire – et pas toujours tenu – entre le passé (justifié par le monomythe cyclique de Joseph Campbell) et le renouveau.
Or, s’il y a bien une personne qui sublime cette balance, c’est John Williams. Le compositeur légendaire des six premiers épisodes aurait pu se contenter de remixer ses classiques, mais il est indéniable que sa gestion de l’orchestre a évolué depuis La Revanche des Sith. Plus posé et analytique, le style de l’artiste se veut plus discret, sans pour autant perdre de sa virtuosité dévastatrice. J.J. Abrams l’a bien compris, et a embrassé cette complexité musicale pour l’intégrer au mieux à sa réalisation. Et c’est peut-être ce dont avait le plus besoin cette nouvelle trilogie, dont la bande-originale reste l’atout majeur.
Mention spéciale pour la réorchestration du thème de Han et Leia
La BO la plus attendue des années 2010 ?
A la sortie du Réveil de la Force, certaines critiques ont reproché à sa musique de ne pas retrouver le panache entêtant des thèmes de la prélogie, à commencer par le fameux Duel of the Fates de La Menace fantôme. Si la réorchestration pétaradante du thème principal redresse immédiatement les poils sur l’épiderme (Main Title and The Attack on the Jakku Village), elle est aussi la clé de voûte de toute la BO. Tandis que Williams s’amuse à mieux faire ressortir ses diverses couches d’instruments, il incite à une écoute plus active de ses motifs.
Plutôt que de s’offrir de nouveaux tubes en puissance, il se tourne vers une simplicité de façade, qui permet à ses nouveaux thèmes d’être plus modulables selon les besoins des scènes et l’évolution des personnages qu’ils représentent. Par sagesse et humilité, le compositeur s’adapte à l’écriture méta du Réveil de la Force. J.J. Abrams a beau réaliser un rêve d’enfant, il met aussi en scène la crainte de marcher dans les pas d’un tel monument de la pop-culture. Ses héros et méchants, tous incertains sur leur identité, sont à leur manière des orphelins en quête d’une place dans un monde hanté par des légendes.
Le thème de Kylo Ren est en cela l’exemple parfait d’une épure faussement décevante. Certes, Williams ne convoque pas l’énergie militaire de la Marche Impériale, mais quoi de mieux que ce court leitmotiv de cuivres pour définir ce jeune Sith encore perturbé par le Côté lumineux de la Force ? C’est bien ce qu’est le personnage : une ébauche, un wannabe Dark Vador, d’où le fait que le thème complet repose d’ailleurs sur la répétition du même motif, dont le second élan se prive de la dernière note.
La musique joue de la frustration de ses protagonistes, de leur sentiment d’incomplétude. D’une certaine façon, on pourrait pointer du doigt le manque de préparation de la trilogie, parasitée par les sorties de route subversives des Derniers Jedi, et le rétropédalage maladroit de L’Ascension de Skywalker. Puisque Lucasfilm n’avait pas de plan précis pour leurs arcs, John Williams a concentré tout son savoir-faire dans des thèmes suffisamment uniques pour être identifiables, tout en y cachant des réminiscences du passé. Comme un magicien qui prépare son tour de magie, l’auteur a caché plus d’une carte dans ses manches, afin de pouvoir s’adapter à toute possibilité narrative.
Rey Mysterio
En cela, la BO du Réveil de la Force est fascinante à décortiquer, tant elle arbore une aura de mystère, magnifiquement symbolisée par le thème de Rey. Loin des fanfares de la trilogie originale, Williams privilégie ici des sonorités plus légères et éthérées, portées par les flûtes traversières, le glockenspiel, le marimba, le célesta et la harpe. Le compositeur cherche avant tout à instiguer une empathie immédiate pour la pilleuse de Jakku, et une forme de mélancolie accentuée par le choix du mode mineur.
Moins héroïque qu’aventurier (selon la description de l’artiste), le thème est avant tout un appel (de la Force ?) vers le futur du personnage, comme s’il matérialisait par sa musique l’un des premiers stades du monomythe campbellien (l’appel à l’aventure) pour mieux le faire évoluer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les phrases musicales se répondent dans une forme d’écho permanent, alors que les cuivres et les violons donnent petit à petit de l’ampleur au morceau.
Si certains analystes n’ont pas manqué de comparer cette approche à celle que Williams a eue sur Harry Potter, il est surtout passionnant de voir comment le génie musical du compositeur a déchaîné les passions suite à la sortie du film. A vrai dire, le thème de Rey regorge de subtilités et d’une belle ambiguïté, qui a donné lieu aux interprétations les plus folles. Sa mélodie peut facilement être mixée avec le thème de la Force (le medley qui conclut le dernier morceau de l’album est somptueux), mais une partie de son motif peut aussi être connecté à celui de Kylo Ren s’il est joué à l’envers. Le Côté obscur n’est jamais loin, et John Williams semble convoquer tour à tour la Marche Impériale et le thème de Yoda.
Pour sûr, le maestro s’est laissé un maximum de portes ouvertes, et cette stratégie lui a permis à la fois de composer l’un de ses plus beaux thèmes récents, et de retomber sur ses pattes lorsque Rey est devenue la “synthèse de tous les Jedi” (sic).
« Oh non, des cors et des trompettes, ce n’est pas bon signe… »
*The Force Theme Intensifies*
Pour aller plus loin, cette maîtrise de la porosité des thèmes reflète toute la complexité de l‘album. Avec beaucoup de fluidité, Williams relie ses leitmotivs pour connecter les personnages et leurs émotions au sein du rythme trépidant du montage. Les morceaux d’action y trouvent la matière parfaite pour un renouvellement des enjeux à chaque mesure (The Falcon, I Can Fly Anything). Par la même occasion, la musique lâche les chevaux, et mixe avec une énergie débordante les inspirations classiques et jazzy du compositeur – ses jeux sur les contre-temps, toujours aussi merveilleux – dans de purs élans épiques (Scherzo for X-Wings).
Néanmoins, cette réussite est aussi à prendre en considération au sein du film. A vrai dire, il s’agit même de l’argument principal en faveur de cette bande-originale. Bien sûr, les premiers Star Wars ne seraient rien sans la partition de John Williams, mais George Lucas n’a pas toujours su magnifier la matière qui lui était donnée. Cadenassé à son montage (en particulier sur la prélogie), le réalisateur a parfois intégré au chausse-pied certains morceaux, quitte à tronçonner dedans sans vergogne pour les accorder à ses images.
On le constate d’ailleurs en écoutant les génériques de fin des épisodes I, II et III, qui se contentent d’enchaîner comme un mauvais DJ les différents thèmes des films. A l’inverse, Le Réveil de la Force sublime tout le travail de Williams avec sa piste terminale : The Jedi Steps and Finale. Il faut déjà revenir sur sa montée lyrique introductive, se réappropriant les sonorités mystérieuses du thème de Rey jusqu’à la réutilisation bouleversante du thème de la Force pour révéler Luke. Puis, une fois le traditionnel End Credits passé, la partition s’amuse de transitions élaborées pour naviguer entre les divers leitmotivs du long-métrage.
L’importance de J.J. Abrams
Cette élégance, elle doit finalement beaucoup à la latitude laissée par J.J. Abrams à la bande-originale. Nul doute que le réalisateur était conscient de la chance (et de la responsabilité) de collaborer avec une telle légende de la musique de films, mais ce serait sous-estimer sa capacité à faire d’une BO un élément majeur de sa mise en scène.
Dès Star Trek : Into Darkness et le magnifique morceau London Calling de Michael Giacchino, le cinéaste avait permis à la musique de porter toute l’émotion sonore d’une séquence muette et étonnante, présentant le quotidien d’un couple emporté malgré lui dans les machinations de Khan. Il en fait de même avec Le Réveil de la Force, qui introduit Rey sans aucune parole de sa part pendant près de 4 minutes. Au fil des panoramas et des inserts sur la routine de sa vie sur Jakku, c’est bien la BO qui évoque ses rêves d’aventure.
En bref, Abrams a adapté sa mise en scène et son montage à la partition de Williams, plutôt que de la considérer en vernis applicable sur ses choix visuels. C’est pour cette connexion organique entre la bande-originale et le film que Le Réveil de la Force impressionne autant, surtout lorsque cette gymnastique sert les prouesses régulières des scènes d’action (ce mini plan-séquence qui suit à la fois Finn se battant au sol au premier plan, et Poe dans son X-Wing à l’arrière-plan).
L’occasion de conclure sur le thème de la Résistance, fanfare épique qui débarque en trombes lors de la bataille de Takodana. John Williams y mélange ses meilleurs tics de composition (des cuivres puissants, une ligne de basse qui leur répondent pour complexifier la rythmique) et Abrams exploite cette piste galvanisante pour donner le tempo de la scène.
Alors que chaque phrase de la mélodie se conclut sur le contre-temps, le cinéaste en profite pour tirer des lasers sur les Stormtroopers exactement sur le temps laissé silencieux. La mise en scène se transforme temporairement en ballet, et c’était sans doute la meilleure façon de rendre hommage à l’un des plus grands compositeurs de l’histoire du cinéma, et à son retour sur sa saga la plus célèbre.
Arf… vaste sujet.
J’ai apprécié redécouvrir des subtilités de cette BO en lisant l’article. Je pense que le rapport de JJ Abrams à son score et celui de George Lucas sont finement analysés. J’imagine que JJ n’est pas sans savoir à quel point John Williams avait peu apprécié que George Lucas découpe ses compositions sans lui demander son avis (ou une autre proposition). D’où une certaine révérence, et un espace donné au score dans cet épisode VII.
Après je pense que ce score souffre tout de même des références constantes au passé illustre de la saga autant que de la comparaison à cette même saga. A l’image du film, d’ailleurs. Bref. Il y a tout de même des petits bijoux ici, merci de nous les faire redécouvrir.
Un article qui vraiment plaisir à liure !
Un grand merci, ça fait du bien 🙂
Tout est dit dans les autres commentaires.
C’est écoutable, John Williams fait un bon travail.
Quelques passages sortent du lot.
Mais ce n’est en rien au niveau des 6 films de la saga, et pour cause, la postlogie n’est pas au niveau de la saga…
« Fougue aventureuse »… Elle est très drôle celle-ci ^^
Mis à part un thème ou deux je n’ai aucun souvenir de cette BO.
Rien à voir avec les BO des la première trilogie qui sont des chefs d’oeuvre qu’on peut écouter en boucle.
Non ce n’est pas la meilleure bande originale de la saga. Et de très loin.
Aucun nouveau leitmotiv ne s’approche de ce qui a pu se faire dans les six autres films de la saga.
Le theme de la résistance est loin d’égaler les thème de l’armée droïde (« the droid invasion and the appareance of darth maul ») ou de l’armée des clones (« love pledge and the arena »).
Aucun nouveau thème mémorable relatifs à une bataille ou un combat au sabre laser comme on a pu l’entendre dans les épisodes 1, 3 et 6 (« duel of the fates », « battle of the heroes »).
Le thème de rey, bien que sympa, mais desservi par une écriture du personnage raté ne vaut pas non plus le thème de Luke, de Leia ou de Yoda.
On ne retrouve pas non plus des compostions aussi réussies que « Across the stars » ou « Han solo and the princess ».
D’ailleurs si on devait faire un classement des meilleurs bande-originales des 7 premiers films, le réveil de la force serait probablement dernier.
Les six premières bande originales sont réussies. Peut être que celle du retour du jedi est un peu moins innovantes que celles des 5 autres films.
Mais celle de la postlogie est assez quelconque.
Et non, la bande originale du réveil de la force n’est absolument pas la meilleure de la saga.
Sans George Lucas star wars c’est quand même compliqué…
Non, la meilleure c’est celle de la Revanche des Sith
@Eomerkor +1
C ça! Quand on pense à SW ce sont les thèmes de la première trilogie qui s’imposent dans l’imaginaire collectif, et aucun autre. À titre perso, à ces derniers, j’y ajouterai « Duel of the Fates » de la Menace fantôme
Jolie BO. Toujours Williams. Mais la meilleure ? A part le thème/motif de Rey et celui qui accompagne Kylo Ren je me souviens juste de l’accompagnement ampoulé pour la résistance. La déclinaison reggae de la cantina est bien fade. Rien qui reste en tête dès la première séance comme ceux des deux premiers films (certains seront déclinés dans pratiquement tous les films comme le thème de la force, le thème de la princesse, l’attaque des Tie, le thème de Yoda, la marche impériale), Duel of the Fate ou Battle of Heroes. Je préfère même la Bo de Giacchino sur Rogue One.
Le thème de Rey est le seul truc que j’arrivais à sauver dans ce film. Mais en effet, le reste de la BO n’est pas… en reste 😀