Les Trois Mousquetaires : Milady – un gros échec qui fait mal au cinéma français ?

Après que Les Trois Mousquetaires : Milady, deuxième volet du diptyque de Martin Bourboulon tiré de l’œuvre de Dumas, ait mené son petit bout de chemin en salles, il est désormais temps de rendre les comptes. Comment s’en est sortie cette figure de proue du réarmement cinématographique de Pathé ?

C’est en décembre 2023 que la suite des aventures des quatre chapeautés et de leur Milady a fait son arrivée sur les écrans français pour faire durer le plaisir. 10 mois après la sortie du premier volet, Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan, ce deuxième film, également scénarisé par Alexandre de La Patellière et Mathieu Delaporte, devait confirmer ou infirmer le succès de ce package en costumes.

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Avec Eva Green à leur tête, François Civil, Romain Duris, Pio Marmaï et Vincent Cassel étaient aussi de retour pour donner vie aux escrimeurs les plus connus de la littérature française. Mais le panel de stars, l’ambitieuse campagne de promotion et le nouveau système de financement (incluant des investisseurs privés) auront-ils suffi à faire de cette entreprise le renouveau du cinéma français imaginé par Jérôme Seydoux ?

Rien n’est moins sûr. Analyse d’un cas particulier.

l’ambition de pathé

Pour replacer rapidement les objectifs de Milady, il faut rappeler que ceux-ci ne sont pas que financiers, ou en tout cas pas seulement à la simple échelle du film. En effet, le diptyque dumasien était la locomotive, aux côtés d’Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, de l’inauguration d’un nouveau type de production lancé par Pathé. Pour suivre un modèle plus américain et s’affranchir du circuit fermé des financements du CNC, l’entreprise de Jérôme Seydoux a signé en janvier 2023 un accord avec Logical Pictures permettant d’ouvrir aux investisseurs privés le financement de ses films produits ou acquis entre 2022 et 2024.

L’objectif ? Réunir plus facilement des moyens conséquents pour monter des projets de grande envergure, des blockbusters à la française, et peut-être réussir à s’en mettre plein les poches par la même occasion. Pour frapper fort tout en minimisant les risques de déficit, la duologie des Mousquetaires était la bonne idée : réunir un budget conséquent (72 millions d’euros, environ le même que celui des Trois mousquetaires de Paul W. S. Anderson sorti en 2011), et tourner les deux films en même temps.

À cheval gendarme, À pied Bourguignon

De cette manière, les dépenses étaient optimisées comme celle d’un seul gros film, mais c’est bien les recettes de deux opus, sortis à presque 1 an d’écart, qui promettaient de rentrer dans les caisses de Seydoux. Avec ce potentiel succès minutieusement orchestré, Pathé pouvait espérer prouver le bien-fondé de son américanisation et de l’accord avec Logical Pictures, tout en ouvrant les portes d’un Dumas Cinematic Universe comme nouvelle manne (une adaptation du Comte de Monte-Cristo avec Pierre Niney étant prévue pour juin 2024).

Flatter son portefeuille et le patrimoine de papa dans le même geste, quel beau pari, non ? Pourtant, il avait suscité une juste indignation lorsque Jérôme Seydoux avait affiché son ambition en posant pour la couverture du Film Français, flanqué de tous les hommes blancs indéboulonnables des écrans et futurs héros de ce DCU (Civil, Niney, Cassel, Marmaï, etc), arborant un slogan à la connotation très zémmourienne. Mais peu importe la polémique et les détracteurs si le succès est à la clef, pas vrai ? Pas vrai, hein ?

La « reconquête » (mais pas le renouveau) du cinéma français

tout se cassel la figure

Sur son exploitation en salles, D’Artagnan avait fait un score mitigé : 3,3 millions d’entrées en France. Si le film n’avait pas été un diptyque, il aurait même été un échec, ne rapportant pas tout à fait 32 millions de dollars dans le monde (selon Box Office Mojo), à savoir pas même la moitié du budget global des deux films. Toutefois, s’étant plutôt bien maintenu dans le temps face au bulldozer Super Mario Bros. et pouvant compter sur son exploitation télévisuelle sur le long terme, le bilan n’était pas totalement mauvais et pouvait laisser espérer que le résultat de l’opération totale soit positif. Alors, qu’en est-il ?

Eh bien… Malheureusement, Milady n’aura pas pu sauver D’Artagnan. En effet, à cette date (et donc à 7 semaines d’exploitation domestique), les recettes du deuxième volet sont en dessous de celle du premier. Avec 2,4 millions d’entrées (loin des 3,3 millions de D’Artagnan), et même pas 20 millions de dollars engrangés dans le monde selon Box Office Mojo, cette suite se tient fait nettement moins bien.

Pourtant, le plus gros concurrent du film sur la même période était Wonka, qui, s’il a réalisé un joli score en France et à l’international (535 millions à cette date), était un adversaire bien moins redoutable que le Mario affronté par le précédent volet.

Milady près du corbillard de ses performances en salles

Mais ici encore, la prudence est de rigueur, car l’exploitation de Milady n’est pas terminée : comme le rapporte le site Unifrance, si D’Artagnan a bénéficié d’une sortie quasiment simultanée sur l’ensemble des territoires qui distribuaient le film, sa suite connaît une distribution beaucoup plus échelonnée dans le temps. Et pour cause : de nombreux pays d’Europe et d’Amérique latine ne découvrent ce second volet qu’en ce début d’année (le Portugal ayant même à attendre jusqu’au mois d’avril) et vont peut-être faire évoluer son score.

La France restera très probablement le 1er marché du film, aussi ces nouvelles sorties ne changeront probablement pas cette déception en succès, mais elles pourront peut-être limiter la casse. De plus, la vie à la télé et en VOD de cette suite a encore toutes les chances d’être belle. En d’autres termes, si la performance des deux films a forcément déçu Pathé (tout comme l’avait fait l’Astérix de Guillaume Canet), peut-être que les graines plantées sont suffisamment prometteuses pour permettre à Seydoux et Cie de continuer à espérer.

Canet incitant le public à aller voir Astérix

Seydoux ça pique

Récemment, il a été annoncé que Le Comte de Monte-Cristo (aussi produit par Pathé, donc, et réalisé, cette fois-ci, par les deux scénaristes des Trois Mousquetaires : Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte) verrait sa sortie en salle avancée de 6 mois par rapport à la date initiale. Le Dumas Universe va donc s’étendre dès juin 2024 sur nos écrans. Par ailleurs, la fin du film Milady s’écarte fortement du roman pour, semble-t-il, annoncer une suite.

De fait, deux séries spin-off avaient été annoncées dès 2022 : Milady, Origins et Black Musketeer. Aux dernières nouvelles, c’est Disney+ qui devrait accueillir ces productions. La fin du second volet visait-elle seulement à faire le lien avec ces projets, ou laissait-elle la porte ouverte à un troisième film en cas de gros succès ? Si la deuxième hypothèse est désormais plus qu’improbable à la lumière du box-office décrit plus haut, les séries n’ont pour le moment pas été annulées, aussi le grand projet dumasien de Pathé ne semble pas autrement ébranlé par ses tièdes performances.

Les décors, c’est clairement mérité

D’ailleurs, Milady n’arbore aujourd’hui pas moins de 6 nominations aux César 2024 (meilleure musique originale, meilleur son, meilleure photo, meilleurs costumes, meilleurs décors et meilleurs effets visuels). Certaines sont des catégories presque obligatoires pour un film français d’époque de ce calibre, mais d’autres sont plus inattendues, comme celle de la photographie. Ces nominations, à la fois nombreuses, mais ne concernant aucune catégorie dite majeure, ont-elles avant tout un but politique ? Il y a évidemment celui, bien normal, de soutenir les productions nationales ambitieuses.

Mais s’agit-il aussi de saluer l’entreprise de Seydoux, ou de l’aider (sur sa suggestion ou non) à remporter quelques médailles pour ce film, à défaut d’avoir su convaincre le public ? L’échec en semblerait ainsi moins cruel et l’honneur serait en partie sauvé. Un effort suffisant pour pallier la lassitude manifeste du public envers cet univers ?

Rendez-vous dans quelque temps pour voir si Seydoux avait raison, in fine, de faire confiance à ses mousquetaires. À moins qu’il ne lui faille avouer l’échec de sa reconquête, qui, pour le moment, n’a pas reconquis grand-chose.