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Shin Godzilla : pourquoi la sortie du film en France est un évènement monstrueux après Minus One

Par Mathieu Jaborska
27 janvier 2024
MAJ : 16 avril 2024
Shin Godzilla : pourquoi c'est un évènement

L’excellent Shin Godzilla sort en France, en 4K chez Spectrum et en VOD chez Filmo. Il a donc fallu attendre plus de sept ans avant de contempler le film de Hideaki Anno et Shinji Higuchi.

L’éditeur Spectrum Films s’est mis sur son trente-et-un pour le trente et unième film Godzilla : une grosse édition avec le film en 4K HDR, en Blu-ray et en DVD, un livret, un commentaire audio, une séance spéciale filmée… Le tout dans un packaging de toute beauté et quasiment épuisé avant même sa sortie. Un travail à la hauteur de l’évènement.

En effet, non seulement Shin Godzilla est désormais devenu un véritable phénomène culturel, rehissant le roi des monstres sur le trône de la pop culture japonaise, mais ça fait des années que des passionnés bataillent pour permettre sa diffusion en France. Un long processus dont cette double sortie (il est aussi disponible en VOD chez nos amis de Filmo) est l’ultime accomplissement.

  • A découvrir sur le même sujet : notre vidéo (passionnée) sur les versions américaines de Godzilla

 

 

LE RETOUR DE GODZILLA

Au Japon, le retour de Big G a fait grand bruit. Les métropoles de l’archipel n’avaient pas été ravagées par la grosse bestiole de la Toho, studio tout puissant derrière la légendaire saga débutée en 1954, depuis des lustres. Au début des années 2000, conséquence d’un déclin de popularité, la dernière ère de son règne s’était achevée avec fracas dans le complètement foutraque Godzilla Final Wars. Les responsables de la firme avaient décidé d’accorder des vacances bien méritées à leur Kaiju-star. 

Vacances qui ont pris fin une dizaine d’années plus tard, lors de la sortie du Godzilla américain. Doté d’un budget conséquent estimé à 160 millions de dollars, le film de Gareth Edwards en a remporté 529 millions à travers le monde. Mieux encore, il en a amassé près de 30 millions sur le territoire japonais, où il est resté à l’affiche 7 semaines consécutives. Big G a retrouvé une place dans la culture populaire, à l’échelle mondiale. La Toho a donc décidé de sauter sur l’occasion pour concrétiser ses plans de relance de la franchise à domicile.

 

Godzilla Resurgence : photoLe retour du roi

 

Et elle n’a pas fait les choses à moitié. Shin Godzilla (littéralement « le nouveau Godzilla » ou « le dieu Godzilla ») est une superproduction à destination du grand public, vouée à dominer le box-office et le marché des produits dérivés tout en flattant la critique. D’où l’autre composante qui en a fait un projet atypique : l’embauche du duo formé par Shinji Higuchi et Hideaki Anno. Le premier est un vétéran du tokusatsu, célébré, entre autres, pour la trilogie Gamera Heisei. Le second est extrêmement populaire chez les amateurs de manga et d’animation, ayant créé l’une des séries les plus commentées de son temps : Neon Genesis Evangelion.

Premier Godzilla conçu entièrement en CGI (contrairement aux précédents, qui utilisaient la technique d’un homme en costume), sortie en IMAX et 4DX, érection d’une statue en plein Tokyo et d’une tyrolienne surréaliste à Kobe, budget compris entre 10 et 15 millions de dollars, promotion omniprésente… Le nouveau Godzilla a piétiné le pays en grande pompe.

 

Godzilla Resurgence : PhotoQuand on arrive en ville

 

Le résultat était à la hauteur : il a généré l’équivalent de 75,3 millions de dollars américains pendant 14 semaines, battant à plates coutures son homologue yankee. Il a également profité d’une excellente presse, plusieurs critiques locaux et fans de tokusatsu se répandant en louanges. Perspective inimaginable chez nous, il a braqué le Japan Academy Prize, équivalant japonais des Oscars ou des César, avec 7 prix, dont celui du Meilleur réalisateur et celui du Meilleur film. Un véritable carton plein, qui ne demandait qu’à s’exporter à travers le monde

 

Godzilla Resurgence : PhotoLe vrai antagoniste du film : la bureaucratie

 

TRAVERSÉE DU DÉSERT

En juillet 2016, la Toho signait l’accord de distribution le plus important de son histoire avec une centaine de territoires visés, c’est-à-dire bien plus que pour Godzilla Final Wars, qui avait immigré dans 67 pays. Le 11 octobre 2016, Shin Godzilla s’invitait dans les salles américaines. Toutefois, il s’agissait d’une sortie limitée : il n’a bénéficié que de 490 salles maximum (uniquement le premier jour) et a engendré moins de 2 millions de dollars de recette sur son mois d’exploitation.

Outre le marché américain, le film fut très loin de rencontrer le même succès à l’internationale qu’au Japon. Un écart qui s’explique par un décalage assez commun pour les industries asiatiques : bien qu’il s’agisse d’une superproduction dans son pays de naissance, en occident, il reste une oeuvre de niche, beaucoup trop différente des blockbusters Legendary pour vraiment attirer le grand public.

 

Godzilla Resurgence : Photo Godzilla ResurgenceAlors qu’il n’y a pas photo

 

Et la France, dans tout ça ? Elle faisait face au même problème. Dès avril 2016, un passionné créait le groupe « Pour une sortie de Shin Godzilla en France », militant pour sa diffusion dans nos contrées. Si au début, l’espoir y était de mise, il a vite laissé place à la résignation. Malgré son acquisition dans plusieurs pays européens et sa projection au célèbre festival de Stitges, Big G restait persona non grata au pays de Christian Clavier. Pour contrer la malédiction, il fallait une persévérance monstre.

La première projection en France de Shin Godzilla a eu lieu plus d’un an après la sortie japonaise, au Paris International Fantastic Film Festival. Acmé de la manifestation, le film était proposé en clôture, dans une séance assez mémorable, puisque le projecteur de sous-titre a claqué entre les doigts des organisateurs juste avant l’heure H, retardant l’échéance. Sur scène, le programmateur Cyril Despontin n’était pas peu fier d’avoir rempli la grande salle du Max Linder à cette occasion. Six ans et cinq PIFFF plus tard, il reste selon lui parmi les films les plus difficiles à obtenir de l’histoire du festival.

 

First screening of Shin Godzilla (Hideaki Anno x Shinji Higuchi) in Paris (PIFFF festival). #kaiju https://t.co/AQD8d8KRmC pic.twitter.com/S0Qy2Di0So

— Catsuka (@catsuka) December 10, 2017

 

« Dès 2016, j’avais vu le film à Stitges sur grand écran […] J’ai contacté la Toho […], c’était le point d’accès obligatoire pour Shin Godzilla. » En effet, le studio a produit le film, mais il le distribue également et s’occupe des ventes à l’internationale (c’est loin d’être toujours le cas). Il garde le contrôle sur tous les maillons de la chaîne. Et c’est l’un des gros obstacles. « Tu les contactes, et ils te disent non, parce que c’est la Toho et que la Toho c’est gigantesque. C’est le plus gros studio japonais donc l’international, ce n’est pas prioritaire. En 2016, on a perdu espoir de montrer le film. Je les ai relancés en 2017 et c’était toujours non. »

 

Godzilla Resurgence : PhotoDe la nécessité de sortir l’artillerie lourde

 

Pour aller au bout, il a fallu s’accrocher… et négocier. « La personne avec qui je discutais n’était pas commode. En fait, elle me parlait d’un autre film à chaque fois, qu’elle voulait à tout prix qu’on passe […]. Il se trouve qu’à mon boulot, mon boss, qui contacte souvent la Toho pour des éditions, me dit : « Tiens, c’est marrant, la personne de la Toho veut vraiment que ce film-là soit montré en France ». Et c’était le film dont elle me parlait tout le temps ! Donc ça m’a un peu servi de cheval de Troie. J’ai pris le risque d’un peu hausser le ton, ce qui n’est pas commun avec les Japonais. Et j’ai dit : « Vous me refusez Shin Godzilla, mais vous me proposez ce film-là, pourquoi j’accéderais à votre demande ? » »

Les débats ont abouti à une proposition : si le festival projetait ledit film, l’adaptation Ajin : Demi-Human, il aurait le droit de projeter Shin Godzilla. Après visionnage, la proposition fut acceptée et malgré « une sinécure » et des problèmes d’organisation, la séance a eu lieu en décembre 2017. Une bataille de remportée, restait la guerre.

 

Godzilla Resurgence : Photo Satomi IshiharaEt c’est pas fini

 

SPECTRUM D’ABSORBTION

Suite à cette grande première, quelques projections furent organisées ici et là, notamment à la cinémathèque en 2019, en présence du réalisateur Shinji Higuchi et de l’auteur Fabien Mauro, qui a largement accompagné la diffusion du film en France. Elles furent toutefois rares. Quant à la perspective d’une sortie officielle, elle restait inatteignable, des années après la sortie japonaise. Qu’est-ce qui coinçait ? Le prix.

« Pourquoi il n’est pas sorti avant ? Parce qu’ils demandaient très cher » explique Cyril Despontin « Souvent, les films japonais de la Toho ne sortent pas en France parce qu’ils demandent trop cher […] La Toho, c’est compliqué. » Lui qui travaille aussi dans l’édition, chez Wild Side, il a eu l’occasion d’accompagner des films de Kurosawa, eux aussi distribués par le studio. « C’est cher parce qu’ils ont des films de valeur, qu’ils connaissent leurs tarifs et que surtout des fois, ils sont un peu déconnectés du marché. »

 

Godzilla Resurgence : Photo Godzilla ResurgenceArriver à pied par la Shin

 

Spectrum Films a donc cassé la tirelire pour proposer une sortie inespérée, 7 ans après la sortie initiale. L’éditeur est très transparent sur l’importance de la somme déboursée et les difficultés rencontrées. Antoine Guérin travaillait sur un autre film de Hideaki Anno lorsqu’il a décidé de sortir Shin Godzilla. Selon lui, si personne ne l’a fait avant, c’est à cause de « la thune à débourser ». Il a payé tous les droits de diffusion extrêmement cher, en espérant faire une vente TV. Mais ce n’est même pas le seul problème rencontré.

Il qualifie le processus de négociations avec la Toho de « long, laborieux et pénible ». Le studio avait beaucoup d’exigences : « La thune et donner le moins possible d’éléments, les garder pour eux. Au début, ils ne voulaient pas donner le 4K et les bonus. Il a fallu monter le ton et revenir à l’origine de la négociation en prouvant que le deal n’avait un sens qu’avec ces spécificités techniques. Il y a une vraie forme de protectionnisme et un refus de partager une culture. » Sur le compte Twitter de l’éditeur, on apprend que les Japonais ont refusé de valider le gros livre prévu initialement.

 

Voici le visuel définitif de notre coffret dédié à la bête. Nous sommes fiers d’avoir travaillé avec l’intouchable ⁦@Gokaiju
Les clients uniquement qui ont / vont précommander, auront en exclusivité un livret collector. pic.twitter.com/zMYUw4lv1v

— SPECTRUM FILMS (@SpectrumAsie) November 15, 2023

 

Un parcours du combattant qui s’est désormais achevé avec la salve de projections organisées par Splendor et la dilapidation express des 1000 exemplaires du coffret (la structure est trop petite pour assumer une distribution plus large, si l’on en croit sa communication). Espérons que ce laps de temps ait permis au maximum de cinéphiles de s’y intéresser… et que le succès mondial de Minus One convainque la Toho du potentiel de son lézard radioactif à l’internationale. Car actuellement, le roi des monstres est très loin d’être à bout de souffle nucléaire.

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Flo1

Nouvelles bases avec ce remake de l’original, par Hideaki Anno et Shinji Higuchi (qui aiment bien s’interroger sur les icônes culturelles).
Dès le début on comprend où on a mis les pieds : une règle non écrite veut que si on traite Godzilla en solo, comme unique menace, c’est donc l’équivalent d’un film catastrophe, centré d’un point de vue humain – et si c’est avec plusieurs créatures c’est de l’action, puisque une menace qui écope d’un adversaire de même taille, c’est de la résistance, donc quasiment du super-héroïsme, donc un point de vue plus haut.
Pourtant ici on n’est pas au niveau des gens simples qui fuient le danger et protègent leurs êtres aimés, et à peine avec les sempiternels scientifiques et militaires. Là on est tout en haut de la chaîne décisionnelle, des ronds de cuirs en costards-cravate, ambitieux et dialoguant avec les américains.
Et paradoxalement composées d’êtres moyens et faillibles, en pleine déconfiture devant un danger à la fois naturel (c’est habituel au Japon) et vraiment belliqueux. Métaphore évidente des évènements récents de Fukushima… Anticipation de ce que sera la Pandémie mondiale.

Comme dans un film politique à la « Walk and Talk », on y voit la gestion de la situation, désordonnée mais s’efforçant tout de même de respecter un ordre protocolaire aussi bureaucratique que traditionnellement nippon… et tout ça devient vite absurde (un intertitre pour chaque personnage, chaque réunion, chaque engin – prévoyez d’être sur-stimulé par les images). Du sarcasme à la « Dr Folamour », en plus discret et moins cartoonesque…
Sauf que au fur et à mesure, ça devient moins grinçant, plus amer. Pour ensuite chercher une autre voie plus optimiste, via une jeunesse moderne, aux plans inventifs – Japon oblige, c’est suffisamment didactique pour identifier très vite le héros principal et ses alliés.
Quant à la bête, elle passe elle aussi d’une représentation grotesque (mais dans une logique darwinienne), pour évoluer ensuite vers une horreur vraiment effrayante et surpuissante… On a quand-même là des types qui ont bossés sur « Evangelion » et « L’attaque des Titans » !
Bref c’est intelligent, c’est très bien joué, c’est ultra bavard mais si rythmé que ça n’est jamais rasoir…
Un petit chef-d’œuvre, hélas passant pour trop élitiste en France – jamais distribué en salles, il n’y a qu’à voir la rareté des éditions Blu-ray VF (hors de prix) pour regretter que sa grande réputation le rende aussi peut accessible.

Gogozizou

Relecture très sympathique dans l’ensemble, malgré tout mon amour pour Spectrum je garde ma version bluray import UK de l’époque d’avant le brexit et que j’avais payé une misère en soldes.

Sur le fond je trouve que le film a 2 traitements inégaux, autant la partie monstre + critique sociale post Fukushima sur l’immobilisme du gouvernement japonais en période de crise est très bien autant le binôme de jeune prodiges est hyper caricatural et limite hors contexte tellement ils font cliché. Mais bon faut bien contrebalancer, mais pour le coup c’est un peu trop extrême.

Tuco

Beaucoup apprécié ce film vu il y a deux semaines sur Filmo. Pas beaucoup de scènes d’actions, n’y allez pas pour ça, ça parle énormément, on suit plus le gouvernement japonais tenter de gérer une situation de crise et leur course contre la montre avec les Etats Unis qui sont décidés à tout péter pour être les grands vainqueurs. J’ai trouvé le scénario malin.
Il y a quand même quelques scène ultra impressionnantes comme au milieu du film où Godzilla s’énerve (cette musique !!).

Morcar

J’avoue que le succès de ces X versions de Godzilla m’échappent. D’un côté on reproche (à juste titre) à Marvel de répéter la même recette sur une trentaine de films, et d’un autre on acclame le 30è Godzilla qui répètent inlassablement la même histoire…

Vroom

C’est justement parce que ce film n’est pas un morceau de « boom boom » pour adolescent prépubère qu’il est réussi. Ici, on a (enfin) une vraie réflexion sur l’implication à tous les niveaux d’un tel événement et c’est bien ça qui fait monter la sauce à chaque apparition du grand lézard. On n’a pas besoin de voir le monstre et des bâtiments s’écrouler pendant 1h30 pour créer de la tension : c’est même a priori tout l’inverse. Le dernier Godzilla, pas désagréable, n’évite lui pas les pièges d’une écriture banale et sans finesse.

Article débile

Shin Godzilla, le n à pas voulu se mettre

Article débile

Votre article je le trouve nul, vous avez parlé de Godzilla comme si il était en déclin à un moment alors que c’était complètement faux. C’est juste que en France si le film apparaît pas en Amérique bah il apparaît pas chez nous (de vrai mouton). Au Japon Godzilla à toujours été au ciné même après le film de final Wars qui était très bien. En même temps Godzilla fait partie de la culture des japonais alors que en France on pense à l’argent et à imiter les États-Unis donc votre article est nul et vraiment n’importe quoi, minus one fait succès du coup et si on passé aussi Shi Godzilla pfff

Prisonnier

@Gizmoket

Té, bien vu. J’arrive pas à accéder via Google a la critique. C’était C. Foltzer qui l’avait écrite 1/5

Gizmoket

On parle du film noté une seule étoile par les rédacteurs de ce site? N’est ce pas ?

Donc, dans 7 ans vos films notés 1 en vaudront 4, ou ça se passe comment ?

Prisonnier

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Kyle

Et encore tu n’as pas dû revoir la version de 1984. Dans mes souvenirs c’était plus rythmé. Le revoir c’était limite chiant