Le Dernier des Mohicans, Heat, Collateral, Ferrari… retour exhaustif sur la filmographie impressionnante de Michael Mann.
Ferrari le prouve une nouvelle fois : Michael Mann est l’un des cinéastes américains les plus passionnants en activité. Que ce soit par son approche romantique du thriller, son esthétique vibrante ou encore par l’évolution de sa mise en scène de la pellicule au numérique, le réalisateur a une filmographie aussi aboutie que cohérente.
La sortie de son nouveau long-métrage est donc l’occasion parfaite de replonger dans cette carrière, en auscultant l’évolution d’un cinéma foisonnant, et ses thèmes majeurs. On aurait pu étendre à la version télévisée de Miami Vice ou aux autres exercices de Mann sur le petit écran (le pilote de Tokyo Vice, la série Luck), mais les longs-métrages en disent déjà beaucoup.
Le Solitaire
- Sortie : 1981
- Durée : 2h02
On dit toujours des premiers longs-métrages qu’ils sont essentiels pour comprendre un auteur, ses thèmes de prédilection ou encore ses ambitions esthétiques. C’est on ne peut plus vrai pour Michael Mann, qui renouvelait déjà le film de braquage avec Le Solitaire. En bon cinéaste obsessionnel, il y dépeint le premier de ses héros perfectionnistes, pour lequel il s’attarde sur la précision de la méthode et des gestes.
En plus d’avoir fait appel à de véritables braqueurs pour l’aider au tournage, Mann a plongé son acteur James Caan dans une expérience immersive, où le comédien en profite pour crever l’écran. Frank est déjà l’archétype mannien dans toute sa splendeur : un professionnel doué, qui cherche un autre sens à sa vie, quitte à bouleverser un équilibre jusque-là idéal.
Un film à la photographie légendaire
Mais surtout, Le Solitaire symbolise autant une certaine idée du cinéma de Michael Mann que l’esthétique du cinéma des années 80. Dans la profondeur de la nuit, les néons et les étincelles percent l’image de couleurs vives, tandis que l’électro diffuse de Tangerine Dream donne à l’ensemble un aspect cotonneux.
Non seulement le film est profondément ancré dans son époque, mais son impact sur le thriller américain est encore tangible, au-delà de la filmographie du cinéaste. C’est même le seul défaut du Solitaire : comment ne pas revoir à la baisse le Drive de Nicolas Winding Refn après avoir découvert son modèle principal, que le réalisateur de Pusher a plus ou moins pompé de tous les côtés ?
La Forteresse noire
- Sortie : 1983
- Durée : 1h36
Les aventuriers de la forteresse perdue
La Forteresse noire est le deuxième long-métrage de Michael Mann, mais surtout sa première et dernière incursion dans le fantastique. Si le film fait certainement partie des moins connus du cinéaste, il est aujourd’hui encore une de ses expérimentations les plus envoûtantes malgré ses nombreuses imperfections. Difficile en effet de ne pas regretter les gros angles morts du scénario (le village qui sombre dans la folie, typiquement) ou les hiatus dans la narration avec ses ellipses et raccourcis indélicats.
Mais difficile aussi de ne pas être happé par l’atmosphère lugubre, quasi lovecraftienne que dégage le film, par sa noirceur (au sens propre comme figuré), et évidemment sa forteresse labyrinthique et occulte. À l’origine, l’histoire était moins précipitée, plus titanesque et ambitieuse, ce qui a conduit Michael Mann à faire un premier montage de 3h30, ce qui a amené la Paramount à mettre le holà. Après un tournage de 22 semaines (reshoots compris) déjà bien éreintant, notamment à cause d’une météo capricieuse, le temps passé en salle de montage a été plus éprouvant encore.
D’abord parce que la Paramount a plusieurs fois revu la durée du film à la baisse, ce qui a obligé à minimiser et charcuter l’histoire, mais aussi parce que le superviseur des effets spéciaux Wally Veevers est décédé deux semaines après le début de la postproduction. Forcément, du fait d’avoir été remanié dans l’urgence, le film a des relents d’inachevé, ne serait-ce qu’avec son final à bout de souffle.
Reste l’intrigant et fascinant Molasar, la représentation d’un mal et non du Mal qui a eu beaucoup de mal (sans mauvais jeu de mots) à prendre forme étant donné les incertitudes de Michael Mann quant à l’évolution de son apparence. Cette figure mythologique qui interroge le bien et le mal des Hommes, ainsi que le quasi-pacte faustien entre elle et le personnage d’Ian McKellen sont ensuite réapparus dans la filmographie du réalisateur, de façon plus terre-à-terre, ne serait-ce qu’avec son film suivant, Le Sixième Sens.
Le Sixième Sens
- Sortie : 1986
- Durée : 1h58
Aujourd’hui, Le Sixième Sens (qui a en plus le malheur en France de porter le même nom que le célèbre film de M. Night Shyamalan) est relégué dans l’ombre du Silence des Agneaux, adaptation du deuxième tome de la saga de Thomas Harris sortie en 1991 et ayant pris toute la place dans la culture populaire, grâce entre autres à la performance d’Anthony Hopkins. En 1986, Michael Mann s’inspirait lui de Dragon Rouge, le premier tome, qui est revenu au cinéma en 2002 sous la direction de Brett Ratner.
Un sac de noeuds qui ne saurait étouffer la force du film de Mann. En apparence très classique, celui-ci fait preuve d’une méticulosité qui rend honneur au cannibale Hannibal Lecteur, ici campé par un Brian Cox déjà au sommet de son art. Le travail abattu par un réalisateur qui devait encore se relever de la production de La Forteresse Noire est impressionnant : plusieurs années durant, il s’est plongé dans le milieu criminel et policier avec ferveur. Pourtant, le long-métrage est tout sauf un exercice de scénario.
Sans avoir à composer avec les nombreux problèmes de son précédent long-métrage, Mann peut enfin laisser libre cours à son style et ça se voit. Le cadrage emprisonne les personnages dans des décors reflétant leur état mental au-delà de la logique architecturale (la prison est en réalité… un musée d’Atlanta). La photographie de Dante Spinotti (qui sera réemployé pour Dragon Rouge… sans Mann pour cultiver son talent) fait baigner le film dans une ambiance bleutée qui deviendra l’une de ses marques de fabrique.
Dans Le Sixième Sens, comme dans beaucoup de ses films suivants, ces dimensions visuelles surréelles traduisent une forme de désespoir face à un monde saturé par la violence, qu’elle soit à grande échelle (Heat), à échelle numérique (Hacker) ou, dans ce cas, à échelle plus intime. En nous berçant de ses illusions, le film nous plonge dans la confusion d’un homme quittant progressivement la réalité qu’il s’était toujours figurée. Jonathan Demme le fera aussi quelques années après, peut-être pas aussi bien.
Le Dernier des Mohicans
- Sortie : 1992
- Durée : 2h02
Michael Mann et le bleu : la vraie histoire d’amour
Après le polar et le fantastique, Michael Mann a touché au drame historique avec Le Dernier des Mohicans, qui a marqué une autre étape charnière dans sa filmographie. Au-delà de lui faire essayer un autre registre, le film était à ce moment le plus ambitieux de sa carrière, ne serait-ce que pour la reconstitution des costumes du milieu du XVIIIe siècle, des armes et des infrastructures, sans oublier le nombre de figurants qui le ferait presque passer pour une immense fresque hollywoodienne.
Forcément, Le Dernier des Mohicans a bénéficié d’un plus bien gros budget que les précédents films du réalisateur : 40 millions de dollars, contre 5 millions pour Le Solitaire, 6 millions pour La Forteresse Noire et 15 millions pour Le Sixième Sens.
Mieux encore : Le Dernier des Mohicans a été un premier (petit) succès commercial pour Michael Mann avec ses 75 millions de dollars récoltés au box-office. Mais plus qu’une réussite pécuniaire, le long-métrage est aussi une belle réussite artistique, malgré ses airs ronflants sur la fin.
Le plus impressionnant reste le chaos des batailles savamment orchestré (Michael Mann n’ayant pas acquis sa réputation de réalisateur exigeant pour rien), mais aussi les nombreuses scènes filmées dans la forêt. La lumière ajourée lui offre ainsi une atmosphère à la fois paisible et dangereuse, les ennemis pouvant surgir de la pénombre à tout instant. N’oublions pas non plus l’implication de l’acteur Daniel Day-Lewis dans le rôle de Nathanael alias Oeil-de-Faucon, qui a dormi à la belle étoile et vécu au plus près des coutumes anciennes pour s’imprégner de la culture des Mohicans.
Heat
- Sortie : 1995
- Durée : 2h51
Scène mythique parmi les scènes mythiques
Pour beaucoup, Heat est le Michael Mann ultime, en plus d’être l’un des polars définitifs de la fin du XXe siècle. On ne saurait dire le contraire, tant la rencontre titanesque entre Robert De Niro et Al Pacino est un sommet de tension et d’immersion. C’est bien simple : malgré sa durée de quasi-trois heures, le long-métrage passe à une vitesse folle, à la manière de la voiture de Vincent Hanna pourfendant la nuit sur l’autoroute de Los Angeles. Michael Mann transcende ici ce qui va devenir l’un des motifs majeurs de sa filmographie : faire d’une mégapole un espace électrique et hypnotisant, labyrinthe de lumières que chacun essaie (en vain) de s’approprier.
Le rythme faussement lancinant du film s’accorde ainsi avec son attraction principale. S’il met en scène deux monstres du cinéma américain (avec toute la dimension méta que cela suppose), leur confrontation ne se joue physiquement que dans deux séquences mythiques : le diner, et l’affrontement final.
Meme mythique parmi les memes mythiques
On pourrait rappeler que la première prive les deux acteurs d’un plan commun, alors que la précision du champ contre-champ les dépeint comme un paradoxe ambulant, les deux faces d’une même pièce qui sont pourtant opposées. Ils ne peuvent pas exister dans le même espace, et Mann s’amuse à tirer sur cet élastique jusqu’à la dernière minute.
C’est par ce genre de détails que le cinéaste démarque son chef-d’oeuvre, au point où sa maniaquerie (partagée par ses personnages) transparaît dans chaque plan. Heat est avant toute chose un diamant noir de réalisation, entre ses passages éthérés, ses instants de suspense insoutenables, et sa séquence de braquage mythique, dont le découpage rend compte à chaque coupe des enjeux spatiaux de la fusillade. La route envahie par les braqueurs devient cette nouvelle frontière de l’Ouest, cette métonymie d’une Amérique en pleine mutation. L’occasion pour Mann d’interroger la fin mélancolique d’une époque par la figure du gangster, ce qu’il prolongera dans ses films suivants.
révélations
- Sortie : 2000
- Durée : 2h38
La nuit, toujours magnifiée par Michael Mann (et son fidèle chef op Dante Spinotti)
On pourrait dire qu’il y a eu un avant et un après Heat dans la carrière de Michael Mann suite à cet énorme succès critique (et commercial). Une bascule assez visible dans l’excellent Révélations. Mené par Russell Crowe et Al Pacino, le film suit l’enquête journalistique tentaculaire cherchant à faire éclater les mensonges de l’industrie du tabac sur les méfaits de la nicotine (entre autres) aux yeux du monde. Un sujet passionnant pour un film à la fois dans la droite lignée des précédentes œuvres de Michael Mann et capable de renouveler pleinement sa filmographie et son style.
Car si Révélations commence au Liban dans une atmosphère guerrière, il s’éloigne rapidement de ce climat et ne comptera ni fusillades ni grandes scènes d’action. Tiré d’une histoire vraie, le film prend le contrepied de Heat dans une longue introduction rigoureuse établissant l’épaisseur du récit qui attend les spectateurs : le monde de la criminalité… en col blanc. Exit les gangsters et la fiction, le cinéaste filme le réel et la vérité. Il expérimente avec une mise en scène proche du reportage et une caméra à l’épaule qui rend l’ensemble plus instinctif, authentique et même engagé.
La tension d’un coup de téléphone
Il est d’ailleurs passionnant de voir Michael Mann opérer une quasi-mise en abyme de la dépendance de la nicotine qu’il souhaite pointer du doigt à travers le parcours de son duo. Comme les fumeurs, les deux personnages principaux tentent de se défaire de leurs asservissements respectifs (l’industrie du tabac pour Wigand, le monde médiatique pour Bergman) tout en étant conscients qu’ils leur sont indispensables pour tenir debout, les enfonçant inexorablement dans un cercle vicieux très dangereux tendance paranoïaque.
Mann filme ainsi la toute-puissance d’un capitalisme prêt à tout écraser en suivant la manière dont le lanceur d’alerte Jeffrey Wigand va voir son monde s’écrouler à cause de son ancienne entreprise. Ou comment nos vies personnelles dépendent de nos tyrans professionnels. Comment la machine capitaliste se rend essentielle et finit par s’immiscer dans notre intimité, contre notre gré, au point de nous menacer pour mieux nous asservir – élément qui revenait déjà dans Le Solitaire avec le personnage de James Caan. En résulte un immense film dossier d’une densité assez folle, peut-être le plus riche de la carrière de l’Américain.
ali
- Sortie : 2002
- Durée : 2h38
Will Smith, impressionnant dans la peau d’Ali
C’est indiscutablement un des films les moins estimés de Michael Mann et un des plus gros échecs de sa carrière avec 87 millions de dollars récoltés dans le monde pour un budget de 107 millions (le plus gros de sa filmographie à l’époque). Pourtant, Ali est un incroyable joyau, prouvant l’habileté de Michael Mann à continuer ses expérimentations visuelles (sa première incursion dans le numérique) et narratives. À l’origine, le film était censé parcourir la vie de Cassius Clay (devenu Mohamed Ali) de son enfance aux années 2000, ce que Michael Mann et Eric Roth ont heureusement stoppé net.
En reprenant le scénario, les deux hommes ont décidé de se concentrer uniquement sur une dizaine d’années de la vie du célèbre boxeur (de 1964 à 1974 environ). Une idée judicieuse permettant au film de s’attarder sur une période intense du sportif (trois énormes combats pour le titre de champion du monde poids lourd) et du citoyen (son changement d’identité, sa conversion à l’Islam, ses combats politiques, ses relations amoureuses…). Loin de tomber dans le biopic classique, Ali est une vraie fresque qui se refuse à dépeindre uniquement la légende Ali.
Le film prend en effet le temps de raconter comment le boxeur Ali est devenu le symbole d’une lutte sociale et politique en dehors du ring, mais aussi comment l’homme était parfois rude et déplacé dans l’intimité (en particulier avec les femmes). Autant dire que, derrière la gloire, Michael Mann n’a pas peur de se confronter aux affres de son protagoniste, tout en retraçant l’évolution d’une certaine Amérique en fond. Alors, bien sûr, en 2h39 et en abordant autant de sujets, le film cafouille à plusieurs reprises, mais difficile de ne pas souligner l’audace et l’ambition de Michael Mann.
Ali se regarde presque comme une danse complexe, à l’image de sa première demi-heure, peut-être l’un des plus grands tours de force de sa filmographie. Entre un montage foisonnant, la musique de Sam Cooke et la photo somptueuse d’Emmanuel Lubezki, le cinéaste parvient à mêler passé et présent, combat social, ethnique et sportif, entrainement et match… dans un seul et même mouvement. Une parenthèse presque hors du temps d’une maestria à couper le souffle, comme un uppercut asséné avant même le début des hostilités, et d’une vivacité aussi impressionnante qu’un jeu de jambes mythique. Brillant.
COLLATERAL
- Sortie : 2004
- Durée : 2h
La marque d’un grand : s’approprier un film au point où il semble avoir été conçu pour et par lui. C’est le cas de Collateral, passé entre de nombreuses mains (Frank Darabont, Mimi Leder, Fernando Meirelles) avant d’atterrir dans celles de Michael Mann. La route a en plus été semée d’embûches, du départ de Russell Crowe (qui avait ramené le réalisateur sur le projet et voulait incarner Vincent) à celui du directeur de la photo Paul Cameron au bout de trois semaines de tournage. Dans une autre vie, le film devait même se passer à New York, avec Adam Sandler en chauffeur de taxi.
Que s’est-il donc passé ? Michael Mann a tout repris à sa sauce. « Je n’aimais pas le scénario. Je n’aimais pas les dialogues. Mais si on avait pris le scénario et qu’on l’avait passé au scanner, on aurait vu qu’il avait quelque chose de très beau« . Le cinéaste dit donc avoir réécrit le film (Stuart Beattie reste bien crédité), et même joué avec l’idée que Tom Cruise incarne Max face à une femme en assassin. Dans tous les cas, le film porte les traces de tous ces problèmes, avec une écriture un peu lourde (certains échanges très démonstratifs entre Vincent et Max, la sacrée coïncidence d’Annie en dernière victime).
Mais ce n’est pas ça qui compte réellement dans Collateral. Le film devait être tourné de nuit et Michael Mann voulait filmer Los Angeles, soit les pires conditions pour la pellicule. Le cinéaste a transformé cette contrainte en note d’intention en choisissant de tourner 80% du film en caméra numérique haute définition, hypersensible à la lumière, et surtout de soigner ce rendu et l’assumer plutôt que de le masquer. C’est de là que vient cette image si particulière, et cette patine qui habite chaque recoin des plans.
Au-delà du défi technique (beaucoup de plans auraient été impossibles en pellicule, que ce soit dans le taxi ou à l’extérieur), le numérique donne l’impression de redécouvrir ce décor pourtant si familier avec des yeux nouveaux, comme si les portes de la nuit avaient été ouvertes le temps d’une parenthèse hors du temps. Tout semble grouillant et vivant dans ce monde désolé, et particulièrement les lumières de la ville qui permettent de voir les coyotes (au sens propre et figuré) qui rôdent. D’où une ambiance magnifique, qui redéfinit le crépusculaire avec des couleurs et textures nouvelles.
Et si Tom Cruise a naturellement attiré toute l’attention avec ce rôle de prédateur grisonnant qui détone dans sa filmographie héroïque, Jamie Foxx mérite lui aussi les honneurs.
MIAMI VICE
- Sortie : 2006
- Durée : 2h15
Pourquoi Miami Vice est-il si souvent considéré comme le gros flop de Michael Mann alors que ce n’était pas la première fois qu’ils se plantait au box-office (Ali, Révélations) ? Peut-être parce que c’était son plus gros budget (135-150 millions), et son film le plus simple et grand public vu la popularité de la série – sachant qu’il était producteur exécutif de Deux flics à Miami, donc ça ne sort pas de nulle part.
C’est d’autant plus drôle que l’idée vient au départ de Jamie Foxx, qui lui avait dit après Ali que c’était un succès commercial en puissance (avec 165 millions au box-office, l’échec est indiscutable). Miami Vice est finalement resté en travers de la gorge Colin Farrell, qui a ouvertement dit qu’il n’aimait pas le film, et surtout de Michael Mann lui-même. Le réalisateur a répété qu’il n’a pas pu aller au bout de ses ambitions, notamment à cause de la fin originale qu’il n’a pas pu tourner (une scène de fusillade bien plus énorme, apparemment), et qu’il n’aurait probablement pas dû l’appeler Miami Vice.
Ça a donc tout d’un ratage officiel, sauf que non : c’est l’un des plus beaux films de Michael Mann, ce que le temps lui a peu à peu rendu grâce au public.
Là encore, la réussite vient moins du scénario très classique que de la manière dont Michael Mann le filme. Tout en creusant ses thématiques de prédilection, il trouve une nouvelle impulsion en s’accrochant aux histoires d’amour, et surtout celle entre Colin Farrell et Gong Li. Comme dans Heat avec Robert De Niro et Amy Brenneman, c’est en s’arrêtant sur des moments en suspens que le film devient souvent magnifique (la dernière discussion entre Sonny et Isabella). Et c’est parce qu’il filme aussi une violence extrême (la mort des indics du FBI au début, l’explosion avec Trudy) que le contraste en devient saisissant.
Comme pour Collateral, Michael Mann a tourné en numérique avec le directeur de la photo Dion Beebe. Mais contrairement à Collateral, ils ne filment pas uniquement les lumières de la ville. Ici, il y a l’horizon sans fin de l’océan qui donne lieu à des scènes magiques, comme l’escapade vers Cuba sur One of These Mornings de Moby. Parce que comme dans n’importe quel Michael Mann, la musique est importante. De l’ouverture sur Numb de Linkin Park (qui arrive plus tard dans la version longue) à la magnifique fin sur Auto Rock de Mogwai, Miami Vice fait vibrer tous les sens, avec bien plus de douceur et finesse que le programme ne le laissait entendre.
public enemies
- Sortie : 2009
- Durée : 2h20
Ennemi public un jour, ennemi public toujours
Film de la diagonale du vide au sein de la carrière du réalisateur, Public Enemies représente pourtant une étape plus que logique pour le metteur en scène de la criminalité. Après les thrillers néo-noirs et les westerns urbains modernes, Michael Mann s’attaque à la source de ses inspirations : l’âge d’or du grand banditisme. C’est un livre de Bryan Burrough, initialement envisagé comme point de départ d’une mini-série, qui fut le terreau du film. Tiré de l’histoire vraie de John Dillinger, gangster estampillé “ennemi public n°1” par le FBI dans les années 30, le scénario de Public Enemies conjugue le destin de différents personnages autour de la cavale de Dillinger.
Entre sa propre histoire, présentée comme celle d’un Robin des Bois plus poète que cruel, celle de sa compagne et complice Billie Frechette, celle de l’agent trop zélé Melvin Purvis qui mènera l’opération décisive, celle du FBI de l’impitoyable J. Edgar Hoover… La crise Dillinger est l’occasion pour Mann de peindre le tableau de tout un système criminel et policier au sortir de la prohibition. Malgré l’effort et la présence de stars au casting (Johnny Depp, Christian Bale, Marion Cotillard…), le succès public et critique du film fut relativement modeste.
Il faut dire que tout n’est pas subtil dans ce film parfois trop classique, qui veut beaucoup jouer au vieil Hollywood : le gangster écrit comme le héros gominé d’un idéal de masculinité musclée mais douce, le coup de foudre avec une jeune femme qui tente de l’éconduire mais qui lui tombe dans les bras dès qu’il cogne un type, la toute dernière séquence très romancée et tire-larmes (quoique jolie)… Pourtant, Public Enemies est plus intelligent que ça, et c’est notamment visible au travers de l’écriture du rôle de Melvin Purvis. Moins glamour que le bandit incarné par Johnny Depp, l’agent torturé concentre en son personnage (pourtant relativement mutique) tous les dilemmes moraux soulevés par le film.
Tiraillé entre sa loyauté à une police dangereuse et son instinct beaucoup plus droit, Purvis est le négatif discret mais complexe de Dillinger. L’interprétation de Christian Bale mérite d’ailleurs d’être relevée, tant l’acteur injecte dans sa performance un fond tragique et faillible laissant imaginer le tempérament suicidaire de Purvis (la mort du véritable agent n’ayant jamais pu être confirmée comme ayant été un accident ou un suicide). Une nouvelle fois, la qualité du regard de Mann sur ses personnages familiers des morts violentes réside en une écriture sensible, presque tendre, soulignée par une mise en scène qui, dans les fusillades comme dans les dialogues, observe amoureusement leurs gestes révélateurs.
Hacker
- Sortie : 2015
- Durée : 2h13
De tous les échecs commerciaux essuyés par le cinéaste, qui s’est ensuite éloigné des plateaux de tournage pendant plusieurs années, c’est probablement le plus cuisant. Sur le papier pourtant, le projet avait tout pour lui : un budget très confortable de 70 millions de dollars, un casting prestigieux, un pitch très moderne et un Michael Mann sorti en position de force (un peu) de Public Enemies. Sauf que Blackhat, titré Hacker en France et accueilli tièdement par la critique américaine, s’est complètement ramassé au box-office, rapportant la somme misérable de moins de 20 millions de dollars.
En cause : le rythme lancinant de son enquête, menée par un archétype de BG mécheux hollywoodien en la personne de Chris Hemsworth, protagoniste qu’on croirait importé d’un blockbuster quelconque. C’est toutefois justement ce qu’on appellerait aujourd’hui ces espaces liminaux, où la guerre se joue par serveurs interposés, qui font du film non seulement une oeuvre majeure de la filmographie du maitre, mais aussi l’ultime démonstration de son étude du mal actuel.
Des zéros, des uns, et peut-être des gens aussi
Ses célèbres extérieurs nocturnes, ici plus obsédants que jamais, se font l’écho d’un monde où la violence est devenue complètement dépersonnalisée, du moins jusqu’à un prodigieux anti-climax remettant la multitude humaine et le regard dans le dispositif, comme pour se persuader que la prédominance de ces serveurs austères n’a pas complètement contaminé la société contemporaine. La désillusion mannienne atteint des sommets qui ont découragé jusqu’au spectateur venu prendre sa dose de techno-thriller : à l’origine décrite comme non intéressée, la mystérieuse combine que tente de saborder notre hacker révèle au fur et à mesure du récit son effrayante banalité.
Miraculeusement, Mann parvient à se réapproprier les images numériques de circuits tournant à plein régime popularisées par les Wachowski sans se ridiculiser au passage, et tire par la même une amère conclusion : c’est dans ces dédales informatiques abstraits que tout se joue désormais. Les hommes en sont réduits à courir après les LED dans des rues froides, feignant l’amour et la haine tandis qu’ils peuvent être carbonisés en un instant par un programme informatique, le tout sous surveillance globale d’acronymes vagues. Ce que le scandale de la NSA a produit de mieux… et de plus déprimant.
Ferrari
- Sortie : 2024
- Durée : 2h10
Michael Mann et Enzo Ferrari, c’est une longue histoire. Alors même que ce projet de biopic traîne dans ses tiroirs depuis longtemps, l’auteur a pendant un temps été rattaché à Ford v Ferrari (finalement repris par James Mangold avec le titre français Le Mans 66). En voyant son film avec Adam Driver, on comprend ce qui intéresse le cinéaste dans la figure du PDG de la célèbre marque de voitures. L’idée osée mais salvatrice de son approche, c’est de se concentrer uniquement sur l’année 1957, alors que la société bat de l’aile. Enzo Ferrari vient de perdre l’un de ses fils, et déconsidère un autre enfant qu’il a eu avec sa maîtresse.
La question de l’héritage est bien évidemment au centre du dispositif, d’autant que le nom Ferrari se confronte constamment au poids de la firme et du visage qui la représente. Caché derrière ses pilotes, qu’il traite comme autant d’autres fils, Enzo est une figure parentale hantée par la mort. A partir de là, le film se transforme en étonnant objet morbide, avec en son coeur la soif d’une transcendance de la vitesse qui se paye par un retour violent au réel, et à la physique terrestre. Ferrari est une tragédie larvée, où la fascination de Mann pour les véhicules fait surtout ressortir les tourments de ses personnages. Une oeuvre mal aimable, mais fascinante.
Enfin pu voir Thief et en salle, en plus. Vraiment bien ! (^ ^)
@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Mx, Morcar :
LA Takedown est un brouillon de Heat, une première version ou une version de travail, si tu préfères, sans vouloir être médisant de ce film que j’ai pas vu.
Mais vu que Mann y est revenu de manière aussi brillante, il est aisé de le penser.
De plus, Heat 2 est la suite de Heat, pas de LA Takedown.
Attention, sans LA TAkedown, on n’aurait jamais eu Heat. Donc, pas question de minorer son importance.
@M.X., Mann lui-même ne valide par La takdedown.
La takdedown, trop souvent oublier
Un cinéaste qui se fait bien trop rare. J’adore sa filmo (même The Keep) jusqu’à Collateral et suis un peu plus mitigé après. Le flop attendu de Hacker a ralenti ses ambitions. Hélas. Je reste fan de son style. Je prèfèrerai toujours voir un Micheal Mann moyen qu’un film réalisé par un néo-opportuniste comme la prod américaine actuelle sait si bien le faire.
Super de voir cette rétrospective, merci !