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Trop extrême pour Hollywood : Bully, le film ultra provoc sur les (vrais) ados tueurs

Par Ange Beuque
7 mars 2024
MAJ : 2 juin 2024
3 commentaires

Après Kids, Larry Clark a créé un nouveau scandale avec Bully, l’histoire d’un véritable meurtre incarnée par de jeunes acteurs très dénudés.

Bully : Une Scandale pornographie adaptation meurtre Larry Clark

De Kids à Ken Park, le réalisateur américain Larry Clark est un habitué des controverses. Avec Bully, qui revient sur le véritable meurtre d’un jeune homme par ceux qu’il martyrisait, il a fait fort : outre le scénariste vert de rage et l’acteur principal Brad Renfro qui commence le tournage au poste, le film a été accusé de complaisance envers la nudité de ses interprètes mineurs.

Le 14 juillet 1993, Bobby Kent est assassiné en Floride par sept adolescents, dont son meilleur ami Marty Puccio. Celui-ci lavait dans le sang plusieurs années d’humiliations et de brimades. Un sujet en or pour le réalisateur américain Larry Clark. Après le triomphe de Kids, il pouvait poursuivre le portrait au vitriol d’une jeunesse consumée par la violence, qu’elle soit subie ou exercée.

L’ancien photographe à succès semblait prédestiné pour le cinéma : il revendique avoir conçu son célèbre recueil Tulsa comme un film, et ses clichés en noir et blanc ont notamment servi d’inspiration au Taxi Driver de Martin Scorsese. Mais le septième art est collectif par nature, et la production de Bully s’est avérée très tumultueuse.

 

Bully : Bijou Phillips Grand Theft Auto VI

 

Un scénariste bullied

Bully (nom commun) : personne cruelle envers les plus faibles ; brute, tyran. Cette histoire de meurtre revanchard constitue un excellent moyen d’ausculter la complexité des dynamiques adolescentes. Le projet d’adaptation est lancé début 1999 par le producteur Don Murphy (Tueurs nés), qui en confie l’écriture au scénariste David McKenna, remarqué pour son travail sur American History X.

L’objectif était de parvenir à une sortie avant la fin de l’année. La fusillade au lycée de Columbine le 20 avril lui met un premier coup d’arrêt : le sujet des violences exercées par des adolescents, déjà sensible, devient épidermique. Les producteurs hésitent. Pour McKenna, ce drame prouve plutôt la nécessité de confronter ces sujets : « il est temps d’ouvrir les yeux sur ce que vivent nos enfants« .

 

Bully : Rachel Miner, Bijou Phillips Lose Yourself

 

Malgré ce faux départ, le projet reprend un an et demi plus tard, grâce notamment à l’implication de StudioCanal. Larry Clark a une idée très claire de ce qu’il souhaite. S’il assume quelques libertés par souci d’efficacité, il compte coller aux faits tels qu’ils sont rapportés dans le livre à succès du reporter Jim Schutze, A True Story of High School Revenge.

Le réalisateur entend utiliser ce drame pour s’immerger dans les violences larvées d’une jeunesse prompte à se réfugier dans l’alcool, la drogue et le sexe. Pas question de sombrer dans le moralisme ou la psychologisation facile : Clark veut reconstituer les événements sans prétendre les expliquer. Pour éviter le piège du manichéisme, il n’escamotera ni les souffrances endurées par les futurs meurtriers ni la lourdeur des peines prononcées à leur encontre.

 

Bully : Rachel Miner, Bijou Phillips, Brad Renfro La fameuse méthode de la préoccupation meurtrière partagée

 

Clark poussera le mimétisme jusqu’à s’entourer de consultants ayant connu les protagonistes du meurtre. Le tournage est prévu au plus près des lieux du drame, avec en guise de figurants de vrais policiers (dont celui qui a interpellé Marty Puccio) ainsi que le juge qui a instruit l’affaire.

Ce souci de coller aux faits l’incite à favoriser le livre au détriment du scénario de David McKenna et Roger Pullis. Clark en rejette les multiples versions l’une après l’autre, les estimant trop lisses, trop hollywoodiennes, expurgées des ambiguïtés de caractère qui rendent l’engrenage si fascinant.

Logiquement, McKenna ne se reconnaît plus dans la direction que prend Bully. Il refuse d’être crédité sous son vrai nom et figure au générique sous le pseudonyme de Zachary Long. Il se serait de surcroît fendu d’une lettre incendiaire à destination de Clark et des producteurs pour tancer l’absence de développement des personnages du film, ainsi que la gratuité des scènes de sexe qui l’assimilent, d’après lui, à un porno. Un reproche qu’il ne sera pas le seul à lui adresser…

 

Bully : Rachel Miner, Kelli Garner, Michael Pitt Il y a Miner et mineurs

 

Cadence infernale et yacht encastré

Le tournage débute à l’été 2000 en Floride. Pour des questions budgétaires, les 40 jours prévus sont réduits à 30 sur décision de Lionsgate. Deux jours à peine avant le premier clap, on annonce à Clark qu’il n’en aura que 23. Celui-ci se demande si on tente de le décourager. Refusant de baisser les bras, il impose une cadence d’enfer à ses acteurs et renonce à revoir la moindre image avant la salle de montage.

Un autre désaccord l’oppose à ses producteurs au sujet de la distribution. Si Jake Gyllenhaal et Ashton Kutcher ont été envisagés, Brad Renfro et Nick Stahl, révélé par Mel Gibson, sont finalement engagés dans les rôles de Marty et Bobby. Lionsgate souhaiterait les intervertir, considérant que le premier a davantage le physique de la brute. Mais Clark conforte sa directrice de casting Carmen Cuba, préférant subvertir les attentes des spectateurs.

 

Bully : Brad Renfro, Nick Stahl Harcelé par un mec capable de tenir tête au Terminator

 

Zooey Deschanel a décliné le rôle d’Ali, mais l’engagement de Bijou Phillips a contribué à rassurer les producteurs. Sa carrière de mannequin l’a rendue très populaire auprès des jeunes. Hélas, la collaboration se passe mal : elle exige d’être logée dans un hôtel séparé de ses collègues, qu’elle considère comme de grands gamins.

Elle reproche à Clark de l’avoir forcée à fumer alors qu’un accident de voiture deux semaines avant le tournage lui avait perforé le poumon. Pas du genre à garder la langue dans sa poche, celui-ci riposte en salissant sa réputation, s’appropriant toute la réussite de sa performance et insinuant que le rôle de débauchée lui allait comme un gant.

 

Bully : Rachel Miner, Bijou Phillips Quand t’essaies de toucher ton nez avec ta langue

 

De son côté, Brad Renfro se signale par un coup d’éclat qui aurait pu couler le film. L’acteur, qui décédera malheureusement d’une overdose à 25 ans, fait le mur la veille du tournage pour aller festoyer. En fin de soirée, histoire d’enrichir son casier judiciaire, il lui prend la lubie de voler un yacht.

Seul petit souci : il oublie de le détacher. À la première accélération, le bateau s’encastre dans le quai. Les propriétaires goutent peu la plaisanterie. Le lendemain matin, c’est au poste que Clark va le chercher avant de le conduire sur le plateau. Comme le résumera pudiquement Leo Fitzpatrick, également au casting : « tourner Bully n’a pas vraiment été Apocalypse Now, mais nous avons eu notre lot de péripéties…« 

 

Bully : Nick Stahl, Brad Renfro, Leo Fitzpatrick Boring for Columbine

 

Un porno pédophile ?

Bully était censé bénéficier d’une sortie nationale, mais Clark refuse le verdict de la MPAA qui l’interdit fermement aux moins de 17 ans. Faute de compromis, le film paraît sans classification, ce qui restreint son exposition à une vingtaine de cinémas.

Présenté à la Mostra de Venise, Bully ne s’en fait pas moins remarquer, et pas seulement pour de bonnes raisons. S’il est jugé malaisant, ce n’est pas tant pour sa reconstitution frontale du meurtre ou ses réticences à proposer la moindre piste d’explication, mais en raison de sa propension à exhiber ses acteurs, dont certains mineurs, dans le plus simple appareil.

 

Bully : Nick Stahl See you never alligator

 

Qu’il cadre l’entrejambe de Bijou Phillips sans raison apparente ou enfile les scènes de sexe comme des perles, les choix de Clark crispent. La presse s’interroge sur la fascination d’un quinquagénaire pour des adolescents dénudés et tance son voyeurisme. Certains parlent d’un porno déguisé, d’autres d’une « rêverie éveillée de pédophile« . Des accusations que le réalisateur balaie : « certaines personnes sont si prudes« , tonne-t-il en interview.

Il faut dire que le sujet n’a rien de nouveau pour lui : il avait déjà fait de la jeunesse sa principale cible pendant sa carrière de photographe, consacrant sa célèbre monographie Tulsa à des adolescents marginaux. Il a logiquement prolongé cette obsession derrière la caméra, au point d’avoir fait sa marque de fabrique de ces chroniques adolescentes frontales et nihilistes.

Clark assume cette passion, expliquant compenser sa propre enfance malheureuse par une immersion dans leurs modes de vie. Le réalisateur plaide sa liberté artistique, son envie de capter cette atmosphère de débauche : « ces gamins n’arrêtaient pas de coucher ensemble, et alors ? C’est quelque chose que je tenais à représenter« .

 

Bully : Daniel Franzese, Brad Renfro Another Day in Hell

 

Mais Bully révèle peut-être l’étroitesse de la ligne de crête séparant le naturalisme de la complaisance. Le fait de recourir à de nombreux acteurs novices les rend d’autant plus vulnérables. Rachel Miner, dans le rôle de Lisa, a estimé pour sa part, sans dissimuler ses appréhensions préalables, que le jeu en valait la chandelle.

Pourtant, le comportement du réalisateur s’étalera dans la presse quelques années plus tard, lorsque Lukas Ionesco partagera son écoeurement suite au tournage délétère de The Smell of us. L’acteur dépeint, de même que ses partenaires de jeu, un Larry Clark tour à tour paternaliste et tyrannique, qui ajoute régulièrement des scènes de sexe non prévues dans le scénario et met ses interprètes devant le fait accompli. Un témoignage qui ne peut qu’interpeller au regard des controverses accompagnant la sortie de Bully

En dépit de ces circonstances hostiles, le film emportera le grand prix du Festival international de Stockholm. Nullement découragé par la polémique, qui nourrit au contraire son image rebelle, Larry Clark continuera de creuser le sillon de la jeunesse aux abois avec le tout aussi sulfureux Ken Park. Plus de vingt ans après Bully, les sujets du harcèlement… et des abus des réalisateurs sont hélas plus d’actualité que jamais.

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Sanchez

Le meilleur film de Larry Clark. La dernière scène est glaçante

Remych

Larry Clark fait clairement porter la responsabilité du comportement des adolescents sur les parents. La scène du procès le met très bien en exergue !

RobinDesBois

Under the big bright yellow sun. Mon Larry Clark préféré, le plus maitrisé, naturaliste, les acteurs sont tous excellents, sublimés par une photographie superbe . Et ça surenchérit pas non plus dans la provoc avec des scènes de sexes crues qui mettent mal à l’aise comme dans Ken Park.

Dommage que Brad Renfro soit mort si jeune, il était promis à une grande carrière.