Un cowboy cancéreux, un médecin dur de la feuille et une veuve austère : c’est le programme du film Le Dernier Des Géants, funèbre sortie de scène de John Wayne immortalisée par Don Siegel.
Au début des années 70, John Wayne tourne inlassablement le même western. Film après film, le bien nommé « Duke » joue le noble redresseur de torts dans des patelins esseulés du Texas. Seuls les titres varient : Big Jake, Les Cowboys, Les Cordes de la potence… Signe d’une extinction prochaine, le cowboy grabataire se fourvoie dans le remake honteux de l’un de ses propres films (Rio Lobo de Howard Hawks) et reprend le rôle qui lui a valu le seul et unique Oscar de sa carrière dans la suite calamiteuse de 100 dollars pour un shérif : Une bible et un fusil de Stewart Millar.
Puis arrive au courrier le scénario du Dernier des Géants, adaptation du roman Le Tireur de Glendon Swarthout, spécialiste émérite de l’Ouest américain, avec un cinéaste déjà attaché au projet, Don Siegel.
L’histoire semble avoir été calibrée pour faire pleurer dans les chaumières. Jugez donc : John Bernard Books (John Wayne, toupet collé à la super glue), alias « le tireur le plus célèbre au monde », pose ses valises à Carson City, Nevada, en 1901.
Lorsque le médecin du coin, le Dr. Hostetler (James Stewart, sourd comme un pot) lui diagnostique un cancer en phase terminale, « Bernie » se retire sous un autre alias, celui de William Hickok, dans une pension proprette tenue par une veuve pieuse, Mrs Rogers (Lauren Bacall, à contre-emploi), et sa tête brûlée de fils, Gillom ( Ron Howard fraîchement émoulut d’American Graffiti). Rongé lui aussi par le cancer, John Wayne trouve là son dernier film.
Une sortie de scène taillée sur mesure dans un western (au stade) terminal.
John Wayne dans Le Dernier des Géants
Les noces funèbres
Nous sommes en 1976. Les États-Unis célèbrent le bicentenaire de leur Indépendance et l’industrie du divertissement se met au garde-à-vous. Disneyland peinturlure sa parade aux couleurs du drapeau américain, les documentaires historiques saturent les chaînes de télévision… Du côté de Hollywood, on dédaigne passablement la ferveur patriotique. Seul un vieux de la vieille, John Huston, s’aventure à signer un très court docu-fiction à la naphtaline, Independence.
Si la Révolution américaine n’inspire guère les cinéastes, on ne peut pas en dire autant du bon vieux Far West. N’en déplaise à la critique Pauline Kael qui a annoncé sa mort dans le New Yorker, le western n’a jamais été aussi bien portant. C’est d’ailleurs l’un de ses représentants émérites qui se taille une part de choix dans le classement des films les plus rentables de 1976.
Clint Eastwood dans Josey Wales hors-la-loi
Avec Josey Wales, hors-la-loi, Clint Eastwood réalise non seulement son deuxième long-métrage, mais aussi l’une des productions de la Warner Bros. les plus rentables de l’année. Un succès critique et populaire que ne goûte pas John Wayne. Le cowboy en passe de rendre les armes reproche vertement à celui qu’on désigne à tort comme son héritier d’avoir bafoué la mémoire des pionniers : « Ça ne représente pas les Américains qui ont bâti ce pays ».
La légende de l’Ouest dont John Wayne a colporté le récit a été balayée par le Nouvel Hollywood et sa politique iconoclaste. Don Siegel, lui, ne partage pas les idées « gauchisantes » de ses contemporains. Ou du moins échappe-t-il à toute réduction idéologique. Il a roulé sa bosse dans la série B, exploré tous les genres, signé une poignée de classiques (L’Invasion des profanateurs de sépultures, Les Proies, L’inspecteur Harry).
Son cinéma sec comme un coup de trique refuse la psychologisation à outrance. Ses vues politiques sèment le trouble. Si L’Invasion des profanateurs de sépultures louvoie entre satire anti-maccarthyste et propagande parano, L’inspecteur Harry arpente dangereusement le territoire du conservatisme, tendance facho, avec son vigilante en goguette dans les rues crapoteuses de San Francisco.
L’invasion des profanateurs de western
Opportunisme ou mascarade ? Siegel dit surtout prêter allégeance au dieu dollar : « La plupart de mes films, je suis désolé de le dire, ne traitent de rien. Je suis une pute, je travaille pour l’argent. C’est comme ça qu’on fait, en Amérique ». Républicain farouche, Wayne n’en voue pas moins une haine viscérale à L’Inspecteur Harry, à son langage ordurier et sa violence aveugle. Le Dernier des géants sera un western de (re)mariage.
Duke pose néanmoins ses conditions avant publication des bans : pas de jurons (Ron Howard profère tout juste un « Enfoiré ! » lapidaire), réduire les allusions au cancer à portion congrue et ne pas abattre un ennemi dans le dos. Un code d’honneur sur lequel l’acteur a réglé son pas à l’écran et dont Books édicte les canons au jeune Gillom en ces termes : « Je ne me laisserai pas tromper, ni insulter, ni frapper. Je ne fais pas ça aux autres et j’attends la même chose en retour ».
La frontière entre un personnage et son interprète a rarement été aussi poreuse…
Incassable
« Pas plus que celle du temps, le western n’admet la réalité de la mort […] Les hommes tombent, en gros ou en détail, ils ne meurent pas », théorise l’universitaire Bernard Dort dans son court essai intitulé La Nostalgie de l’épopée. À l’instar de Books, Wayne refuse de lâcher la rampe et de perdre ses amis des hautes plaines. Le réalisateur Peter Bogdanovich (La Dernière séance) l’a travaillé au corps sans succès pour le convaincre d’ajouter son nom au casting de The Streets of Laredo, western crépusculaire qui aurait réuni des vieux briscards (dont Henry Fonda et Jimmy Stewart) et dans lequel il aurait été le seul survivant.
Duke a toujours survécu. À un premier cancer dans les années 60, aux pépins de santé divers et variés et à la mort qui l’a emporté une dizaine de fois à l’écran. « Dans ma profession, on ne fête pas beaucoup d’anniversaires », ironise Books. Dans Le Dernier des géants, Don Siegel illustre une célèbre formule de Cocteau : filmer « la mort au travail ».
Papy Wayne fait de la résistance
John Wayne traverse le long-métrage paré d’un masque mortuaire. L’ablation d’un poumon l’oblige à se trimballer avec une bouteille d’oxygène. Les médecins lui interdisent de tourner au-delà de 1300 mètres d’altitude. Books hérite de son souffle court, de sa voix granuleuse et de son corps pataud. « On n’a jamais vu un cowboy sur le divan d’un psychiatre », plaisantait Duke.
Encore moins dans un cabinet médical à se plaindre de douleurs dans les vertèbres lombaires. Ou troquer une jarre de whisky contre un flacon de laudanum, « remède pour tous les maux humains » dixit Thomas de Quincey dans ses célèbres Confessions d’un mangeur d’opium anglais. Des effluves morbides embaument donc Le Dernier des géants, western gériatrique travesti en Kammerspiel (« film de chambre ») funèbre avec son cowboy asthmatique en pension complète. « Je suis venu ici pour mourir », déclare Books à l’un de ses visiteurs. L’as de la gâchette « fort comme un bœuf » se cache pour mourir, geste d’une animalité pure quand sonne l’hallali.
« Trop vieux pour ces conneries »
Mémoires d’outre-tombe
Don Siegel use du mythe waynien comme d’un élément narratif latent dans Le Dernier des géants. Un court montage de séquences extraites des plus célèbres westerns de Duke (dont La Rivière rouge et Rio Bravo) servent à illustrer les hauts faits de la fine gâchette qui fut autrefois du côté de la justice. « Homme d’outre-tombe », Books hante un 20e siècle naissant où il n’a plus sa place.
« L’ancien temps est révolu et vous l’ignorez, l’avertit le maire de Carson City. On a l’eau courante, le téléphone, la lumière, et notre tramway sera électrique d’ici l’année prochaine. Et on a commencé à paver les rues ». Anachronisme ambulant au même titre que la reine Victoria dont la mort est annoncée par voie de presse au début du film, Books appartient aux petits villages sauvages du désert avec leurs grands-rues, saloons et pompes funèbres. Pas aux intérieurs bourgeois d’une pension proprette.
C’était pas forcément mieux avant
La modernité a nettoyé l’Ouest des bandits des grands-chemins, abandonnant les hommes de sa stature à la pure oisiveté. Aussi le scénario du Dernier des géants ne propose-t-il aucun enjeu dramatique fort. Don Siegel ne prête aucune amourette à John Wayne ni un féroce ennemi à abattre. Seulement des dernières volontés à accomplir : une promenade au grand air, un rasage de près chez le barbier…
« Il n’y a rien dans Le Dernier des géants que vous n’ayez pas déjà vu plusieurs fois… Mais ce que vous n’avez jamais vu auparavant, c’est un John Wayne mourant délivrer sa dernière performance », résume parfaitement Quentin Tarantino dans un billet de blog publié sur le site du New Beverly Cinema. Marchant droit vers la mort, Books charrie avec lui ce qu’André Glucksman désigne comme « la mémoire douloureuse devenue passé » dans son essai intitulé Les aventures de la tragédie.
Un héritage qu’il liquide dans un nuage de poudre et de sang, avant que Gillom ne venge sa mort dans un dernier échange de tirs. John Wayne plante alors son regard azuréen dans celui de Ron Howard qui, terrifié, bazarde son revolver, brisant ainsi le cercle d’une violence séculaire. C’est peut-être là le plus beau tour de force du Dernier des géants, méta-western aux accents élégiaques.
trop dur ce film ; voir à l’ écran mourir un héros de l’ouest alors que son interprète va lui aussi mourir sous peu : trop dur …..!
Merci, Hocine, pour ton commentaire. .Pour le reste (description initiale et avis qui suivent), ça pue l’orgueil.
Le Dernier des Géants est un film que j’ai vu plusieurs fois en VHS. J’ai toujours aimé l’ouverture du film, avec des extraits de films tels que La Rivière Rouge, Hondo, Rio Bravo et El Dorado. La musique d’Elmer Bernstein souligne l’aspect mythique et légendaire de John Wayne. Le film est davantage une comédie dramatique qu’un authentique western. Les meilleurs moments sont les échanges entre John Wayne et Lauren Bacall. Ce film annoncé par bien des côtés Gran Torino de Clint Eastwood. À noter que le réalisateur n’est autre que Don Siegel, le mentor de Clint, et le directeur de la photographie, Bruce Surtees, est un autre fidèle collaborateur de Clint. Le Dernier des Géants et Taxi Driver inspireront au scénariste David Webb Peoples l’écriture du scénario d’Impitoyable, film ô combien essentiel dans la carrière de Clint. Quant à John Wayne, ça reste l’une des plus grandes stars hollywoodiennes de tous les temps. Il est régulièrement cité parmi les acteurs préférés des Américains. Il aura tourné ses meilleurs films sous la direction de John Ford et Howard Hawks. L’Oscar du meilleur acteur qu’il remporte pour True Grit peut être perçu comme un Oscar pour l’ensemble de sa carrière.
Dans les années 70, Les Cowboys et Le Dernier des Géants sont ses films les plus intéressants.
De ce que l’on connaît du bonhomme, il semble que c’était vraiment un sale type, mais voilà, il avait une sacrée présence à l’écran et il a tourné dans quelques authentiques chefs d’œuvres du cinéma.
John Wayne était marié avec 4 enfants et a demandé à plusieurs reprises son incorporation à chaque fois refusé et il le dit lui même
« qu il a toujours eu honte de ne pas avoir été au front »
Donc on peut lui reprocher pleins de choses mais là, c’est limite et je ne suis pas fan du personnage
La vraie classe américaine qui préférait enchaîner les films plutôt que de partir au front alors qu’il jouait les durs a l’écran…
Heureusement que quelques réalisateurs ont su lui offrir de bons rôles, voire legendaires, sinon c’était l’esprit même du cabotinage ou de l’acteur qui joue le même rôle indéfiniment
@ultra vomito : oui, le dernier bon film de Georges Abitbol
La vrai classe américaine