Cinq garçons pleins d’avenir s’associent pour révolutionner l’animation à la fin des années 90. Leur objectif : réinventer le noir et blanc, le pur et dur, pas celui qui inonde les écrans du monde entier avec ses cinquante mille nuances de gris. Au bout d’un long processus, le Renaissance de Christian Volckman prend forme avec les voix de Daniel Craig et Ian Holm. Mais en dépit d’un rendu extraordinaire, la postérité se dérobe pour cette petite pépite française.
Ne vous laissez pas abuser par ses homonymes cinématographiques portés par Beyoncé ou Ryan Reynolds : le seul Renaissance qui vaille est français ! Un an après que Sin City ait inondé les multiplexes avec sa palette chromatique restrictive, ce film d’animation se distingue en 2006 par son immense ambition artistique.
Car de La sortie de l’usine Lumière à The Artist, quand on parle noir et blanc, on évoque en réalité toutes les nuances de gris intermédiaires. Le long-métrage de Christian Volckman ose un rendu visuel tranché qui ne recourt (quasiment) qu’à ces deux couleurs pures, sans mélange. Reste à faire les bons choix techniques, écrire le scénario idoine, fournir un gros travail en postproduction… et espérer que la réception soit à la hauteur de son audace.
Naissance d’une Renaissance
En 1998 se tient à Monaco la dix-septième édition d’Imagina, une manifestation dédiée cette année-là au « numérique intégral ». Le monde du cinéma ne peut ignorer la prise de pouvoir des images de synthèse, qu’il s’agisse d’effets visuels ou de films intégralement conçus par ce biais (Toy Story est sorti en 1995). Parmi les dizaines de conférences et de projections, une expérimentation dénuée de couleur attire l’attention.
Un an plus tôt, Marc Miance, jeune pionnier de la 3D, se voit présenter par l’un de ses collaborateurs une image en relief et en noir et blanc. Pour lui, c’est une révélation : il comprend qu’il tient là un concept novateur. Il ne vise dès lors qu’un objectif : mettre ce graphisme épuré en mouvement grâce à une animation aussi réaliste que possible, susceptible de concurrencer les prises de vue réelles.
Miance s’attelle donc à explorer la faisabilité de sa vision. C’est lui l’auteur de l’expérimentation remarquée à Imagina, tranchant parmi d’autres propositions au style moins affirmé dans un secteur qui n’a pas encore atteint sa maturité. Le producteur Aton Soumache compte au nombre de ses admirateurs, y décelant la promesse d’un univers envoûtant.
Il n’est pas le seul : le cinéaste Christian Volckman est également impressionné, lui dont le court-métrage Maaz glanera moult prix et une nomination aux Oscars en 1999. Or, c’est Soumache qui l’a financé : les deux hommes se rapprochent de Miance.
Mais l’équipe n’est pas encore au complet : le producteur met aussi deux scénaristes sur le coup, Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière (actuellement en charge du Comte de Monte Cristo avec Pierre Niney). Le quintet à l’origine de Renaissance est constitué.
Unis par une solide amitié, les cinq hommes se lancent dans l’aventure. Au gré de centaines d’entrevues au fil des ans, ils tentent de donner corps à leur obsession commune. Volckman définit précisément l’esthétique qu’il souhaite, et transmet propositions et dessins aux scénaristes. Ceux-ci s’en inspirent pour concevoir leur récit, sans qu’aucune autre contrainte ne leur ait été imposée. Leur première mouture de 2h30 est progressivement réduite à une durée raisonnable.
Soumache, via sa société Onyx, assure les arrières financiers, bien qu’il n’ait encore jamais produit de long-métrage. Il investit de manière substantielle, majoritairement en fonds propres, sur un pilote de quatre minutes. Celui-ci fait office de carte de visite : c’est avec lui qu’il démarche à droite et à gauche pour obtenir les 15 millions d’euros nécessaires. Il trouve des relais à l’international (notamment Disney) et bénéficie du soutien du CNC et de France 2 : le rêve collectif va pouvoir se concrétiser.
Les pionniers de la motion capture
La fabrication proprement dite peut débuter en 2004. Pour assurer le réalisme des gestuelles, Renaissance recourt à la capture de mouvement. Déjà abondamment utilisée dans le secteur des jeux vidéos, celle-ci n’est pas encore monnaie courante au cinéma : si Gollum et certaines créatures d’une galaxie lointaine, très lointaine ont défriché le terrain, le Pôle express de Robert Zemeckis sort à point cette année-là pour prouver sa viabilité à l’échelle d’un film entier.
Le tournage s’étale sur dix semaines au Luxembourg, et mobilise des comédiens peu connus. Le corps bardé de capteurs, Robert Dauney (pas Junior), Crystal Shepherd-Cross et leurs camarades tentent d’insuffler leur gestuelle et leur jeu à leurs futurs avatars animés.
Le fait que les scènes soient modélisées en trois dimensions permet d’arrêter le cadrage a posteriori. Une animatique intégrale, qui présente l’ébauche de la réalisation, est générée : nullement alourdie par la technique, la caméra n’hésite pas à s’affranchir des pesanteurs, à s’envoler pour mieux accompagner une course-poursuite trépidante dans Paris ou oser des angles audacieux.
Puis débute l’animation proprement dite. Les mouvements sont complétés, des éléments ajoutés par infographie. Enfin, le rendu définitif en deux dimensions et en noir et blanc est plaqué par-dessus les modèles en image de synthèse. Un logiciel spécial est développé dans ce but, qui permet un travail méticuleux sur les éclairages et les textures. Les expressions faciales et les détails des vêtements ne cessent de s’affiner.
Un an s’est écoulé depuis que le tournage s’est achevé, et Renaissance a trouvé son identité. Moderne et stylisé, le film s’inscrit dans l’héritage de l’expressionnisme allemand (Le Cabinet du docteur Caligari, Metropolis…) Les jeux constants entre ombre et lumière, dont jaillissent les volumes, mais aussi les nombreux reflets sont finalisés, témoignant d’une volonté d’exploiter tout le potentiel de ce parti-gris graphique.
Reste à conférer un peu de chaleur à ses personnages. Le choix est fait de recourir à des voix plus identifiées que celle des acteurs qui ont fait don de leur corps pour le tournage : Daniel Craig, Ian Holm et Jonathan Pryce acceptent de participer au doublage.
Un récit si référentiel
Dès le début, le quintet à l’origine de Renaissance a souhaité développer un scénario sur mesure, qui puisse entrer en résonnance avec la forme. Delaporte et La Patellière font le choix d’un polar futuriste : les jeux d’ombre tranchés et la symbolique évidente du noir et blanc sans nuance constituent un écrin idéal pour le genre.
L’histoire se déroule dans un Paris fantasmé, dont les somptueux photogrammes veulent concurrencer le Los Angeles de Blade Runner. Pour l’imaginer, ses créateurs se sont livrés à une habile prospection, en fusionnant l’architecture haussmannienne actuelle et ses évolutions possibles. Montmartre, la tour Eiffel et Notre-Dame sont de la partie dans une version en négatif.
En blanc et noir, j’exilerai ma peur
Pour charpenter leur récit, les auteurs revendiquent de nombreuses influences. Alors que la charte visuelle qui leur sert d’appui se nourrit du comics Sin City, de Ghost in the Shell, de Moebius, d’Akira et de tant d’autres, eux y greffent leur amour des films noirs hollywoodiens des années 50 et les romans de James Ellroy, Robert Crais, Michael Connelly…
Les références pleuvent dans les propos de ces passionnés et irriguent Renaissance à cœur. Les archétypes du polar sont au rendez-vous : la femme fatale, le flic égaré, le nabab corrompu… Homme broyé, figure du double et autres manipulations génétiques soulevées par la narration s’inscrivent dans les thèmes classiques du genre.
Hélas, la limite entre relecture érudite et sentiment de déjà-vu est parfois plus fine qu’une tache d’encre. Les premiers ressentis et la chute de fréquentation rapide semblent indiquer que la pièce est tombée du mauvais côté. Les auteurs ont-ils été intimidés par cette proposition visuelle si novatrice, au point de vouloir à tout prix offrir aux spectateurs un point d’entrée référentiel ? Les nombreuses influences assumées du scénario se retournent contre lui, et la révolution se retrouve en partie neutralisée par le classicisme de l’histoire.
En dépit d’une somptuosité unanimement saluée, d’une déclinaison immédiate en BD et d’un prix au festival d’Annecy, Renaissance n’a pas renversé la table. Volckman, qui n’a réalisé qu’un seul long-métrage depuis, avait prévenu qu’il ambitionnait une carrière « à la Malick » en se réservant pour les projets vraiment hors-norme : on a donc hâte de découvrir sa version animée, actuellement en développement, du Kid de Chaplin !
Je suis d’accord avec ton analyse, Kara mais pour ma part je pense également qu’il existe un vrai problème de marketing, mise en valeur et distribution de ces films hélas alors que les français sont excellents en animation .
Le problème du cinéma de genre c’est que déjà celui-ci a été tué en France par la nouvelle vague. Avant on faisait des films d’espionnage, des films de cape et d’épée, on faisait même de la science fiction. et puis ce nouveau cinéma bobo parisianiste a tout cassé pour donner lieu à une espèce d’image plate, soit disant réaliste, mais dénuée de tout sens esthétique, symbolique. La beauté au cinéma est devenue suspecte car considérée par certains comme trop populiste.
Et puis on a aussi éduqué donc pendant des dizaines d’années le public français a ne voir dans son cinéma que soit des trips d’auteur bobo chiants, du cinéma comédie pouet pouèt, où encore du cinéma historique. Alors je ne dis pas, il y a quand même parfois de très franches réussites, mais clairement dans la tête du spectateur, le cinéma de genre français n’existe pas. Et donc pourquoi les producteurs français prendraient-ils le risque de faire un cinéma de genre français qui n’intéresse quasiment personne?
On parle d’animation, mais le dessin animé japonais ça coûte que dalle par rapport à des productions occidentales. Je rappelle par exemple que en dollars réactualisés, le film cyberpunk de ghost in The shell n’a coûté que 5 petits millions de dollars. C’est-à-dire à peine la moitié du budget d’un épisode télé de game of thrones. Donc oui forcément ce type de production visant un public de niche peut se rentabiliser facilement. Mais claquer des dizaines de millions dans des films d’auteurs de genre. Artistiquement oui c’est cool. Commercialement c’est juste du suicide.
En fait, il y a un public limité pour les longs métrages français d’animation ado-adultes quelles que soient leurs qualités.
C’est triste, c’est regrettable, c’est rageant mais c’est comme ça.
Et ça ne change pas, décennies après décennies.
Que ce soit les Maîtres du Temps, Gandahar, Kaena, Renaissance, le Sommet des Dieux ou Mars Express, on obtient toujours des résultats très limités en salles.
Une bonne partie de celles et ceux qui s’intéressent à l’animation japonaise n’ont pas la même appétence pour des longs métrages provenant d’autres horizons.
En parallèle, il y a très peu de films d’animation ado-adultes qui sortent en salles et, en dehors des japonais, ça ne cartonne pas de toute façon.
La seule exception, ce sont des franchises déjà connues d’un public qui les auraient préalablement vues à la télévision, comme les Simpsons ou South Park.
Je pense sincèrement que ça vient de ce que la majorité du public ne s’intéresse tout simplement pas à ça et n’a pas la curiosité d’essayer.
Du coup, les producteurs, financeurs, exploitants, diffuseurs hésitent fortement avant de tenter l’aventure alors que c’est plus simple à produire si ça s’adresse aux enfants.
Malgré toutes ces difficultés, un projet est lancé une fois de temps en temps, comme c’est arrivé pour le Sommet des Dieux ou Mars Express.
Actuellement, c’est surtout parce que ces films peuvent espérer de trouver leur public en streaming ou sur les chaînes de télévision thématiques. Du coup, ça vaut le coup de les produire même s’il ne faut rien espérer du résultat en salles puisqu’il y aura plusieurs possibilités de débouchés et donc d’amortir le coût du film.
Voilà…
L originalité et l’audace ne paie pas malheureusement.
Un peu comme scanner darkly avec keanu , très estimés mais au succès hélas relatif
J’en garde un excellent souvenir. Quel dommage de l’échec.
Très bon. Film a redecouvir
Un film de qualité avec une histoire un peu mince mais une claque graphique a nul autre pareil !
Un des soucis de renaissance j’avais trouvé, mais c’est aussi lié à son statut précurseur, c’était des différences de qualités entre certains plans vraiment magnifiques, et d’autres beaucoup plus moyens esthétiquement.
Après c’était quand même un film audacieux, je serais curieux de le revoir.
Excellent film d’animation. Injustement méconnu. À découvrir et redécouvrir.