Le sourire à fossettes d’Heath Ledger, les larmes de Julia Stiles, une bande originale de légende… 10 bonnes raisons de te larguer, le dernier teen movie d’une ère ?
Il s’en est passé des choses lors des années 90, mais pour la génération qui a eu l’occasion d’y grandir et d’y faire ses armes, la décennie est considérée comme une page mémorable de l’histoire des teen movies. Les teen slashers, qui ont connu leur petite heure de gloire quelques années plus tôt, ont notamment eu l’occasion d’effectuer un retour tonitruant avec le premier opus de Scream, dirigé en 1996 par Wes Craven, ou encore l’Urban Legend de Jamie Blakes en 1998.
Mais plus largement, il y a eu pléthore d’autres chroniques lycéennes allant de la romcom bien sirupeuse au fantastico-horrifique en passant par la comédie dramatique. Si le genre trouve des prémisses approximatives dès les années 50 avec quelques cultes tels que La Fureur de Vivre en 1955, c’est surtout le Breakfast Club de John Hughes qui a ouvert la voie à toute une armada en 1985. S’en sont donc suivis les désormais incontournables Clueless, The Craft, Pump up the volume, Cry Baby, Sexe Intentions et consorts. Et puis, à cheval entre deux millénaires, il y a eu 10 bonnes raisons de te larguer, considéré par beaucoup comme le dernier de son espèce, et peut-être même de toute une époque.
- À lire aussi : notre dossier sur Cry Baby, avec un Johnny Depp en pleurs et un Iggy Pop en plouc pour John Waters
- Notre dossier sur Pump up the volume et sa voix de la révolution en marche, Harry la Trique
on ne badine pas avec l’amour
Aussi terrible que ça puisse être, les années 90 remontent à trente et quelques années. Ça pique, mais c’est la vie. Quant à ce premier film de Gil Junger, voilà qu’il s’apprête à célébrer gaillardement son 25e anniversaire. Eh oui, le temps passe, séchez vos larmes ; ce n’est rien qu’un bon sérum au rétinol ne saurait enrayer de toute façon. Pour ceux dont la mémoire flanche (ou ceux qui n’auraient pas encore eu le loisir de le découvrir), 10 bonnes raisons de te larguer est une des énièmes réinterprétations shakespeariennes à avoir fleuri le paysage audiovisuel à l’aube des années 2000.
Très librement inspiré de La Mégère apprivoisée, le récit dépeint les tribulations du marivaudage prépayé de Patrick Verona, le faux bad boy de service, envers Kat Stratford, une « morue trop sûre d’elle qui n’a pas d’amis« .
- À lire aussi : notre dossier sur le Roméo + Juliette ultra drogué de Baz Lurhmann
- Notre dossier sur le mal-aimé Hamlet en mode bug de l’an 2000
Fraichement débarqué au lycée de Padua, Cameron James (campé par un tout jeune Joseph Gordon-Levitt) s’éprend de la jolie Bianca Stratford, soeur cadette de la terrible Kat. Outre le fait que le bougre soit aussi finaud qu’une huitre dans un bol de soupe, une ombre de taille obscurcit le tableau de ses fantasmes : sa douce n’a pas le droit de fréquenter un garçon tant que la « mégère » ne s’en trouve pas un au préalable… ce que cette dernière n’a nullement l’intention de faire, rebutée par les « sales mécréants » qui fréquentent son école.
Pour remédier à ce léger problème, Cameron s’en va trouver Patrick, dont la mauvaise réputation le désigne naturellement comme l’unique candidat à la cour de l’irascible Kat… ce qu’il refuse. À court d’idées, le nouvel ami de Gordon-Levitt se tourne alors vers Joey, le pseudo bellâtre dont le dévolu s’est également porté sur Bianca – quoi que ses intentions soient nettement moins nobles. Il lui propose alors de payer Patrick un modeste pécule en échange de ses badineries, ouvrant ainsi les voies (romantiques, s’il vous plait) de Stratford junior.
« Sinon, tu aurais pu me proposer d’aller prendre un café »
Concrètement, 10 bonnes raisons de te larguer est à concevoir comme la somme de tous les bons teen movies de la décennie. À l’instar de Clueless et compagnie, les aventures de Pat et Kat profitent elles aussi du décor un brin traumatisant des couloirs lycéens, d’une hiérarchie sociale bien spécifique aux productions américaines, de l’ensemble des stéréotypes qu’implique ladite hiérarchie – le tout pour mieux dépeindre les intrications propres à la savoureuse expérience adolescente.
À cette mécanique narrative finement huilée s’ajoute bien entendu un casting aux petits oignons (qui oserait remettre en question l’alchimie que se partagent Ledger et Stiles ? Qui pourrait arguer que Gordon-Levitt n’a pas la tête du jeune premier en mal d’amour par excellence ? Qui d’autre qu’une Larisa Oleynik, fraichement sortie des Incroyables Pouvoirs d’Alex, pour camper la virginale Bianca ?) et bien sûr, un budget particulier.
pour une poignée de dollars
Produit pour la modique somme de 16 millions de dollars, 10 bonnes raisons de te larguer s’inscrit dans la catégorie des films dits « à moyen budget ». En France, les années 2000 ont par exemple été le théâtre de l’avènement de ce que la réalisatrice Pascale Ferran (Lady Chatterley, Bird People) désignait dans son discours aux César 2007 comme des films « du milieu », soit, des productions « ni très riches, ni très pauvres« , avant d’en déplorer le déclin progressif.
Chez l’Oncle Sam – dont le système de financement diffère à bien des égards –, un phénomène similaire a néanmoins pu être observé en parallèle. Si dans nos contrées hexagonales, les films du milieu ne profitent pas exactement de la même définition (ou du même nombre de zéros sur le chèque), ces productions à coût moyen ont longtemps assuré dans un pays comme dans l’autre un roulement pour les exploitants, tout en proposant une offre variée au public.
Penser à l’état de la culture en 2024
À sa sortie en 1999 (2000 en France), le film de Junger se pose sans le savoir comme l’un des derniers nés de sa lignée. Non pas que les teen movies aient disparu de la sphère audiovisuelle à compter des années 2000 (un peu de respect pour Kirsten Dunst et Lindsey Lohan, s’il vous plait) ; mais disons que la fabrique de ces films a observé un glissement progressif des pontes de la grande production (tels que Disney, Warner Bros, Universal, ou Miramax) à des studios nettement plus modestes.
Pump up the volume, que l’on mentionnait plus haut, a par exemple été produit en 1990 par New Line Cinema, une succursale de la Warner. Clueless, par Paramount en 1995. Sans en assurer la production, Columbia Pictures (qui appartient par ailleurs au groupe Sony Pictures Entertainment) a assuré la distribution de The Craft en 1996 avant de finalement produire Souviens-toi… l’été dernier en 1997, puis Sexe Intentions en 1999. Elle est trop bien a été produit par Miramax, qui avait également les mains dans la franchise Scream via Dimension Films (avant son départ de Disney en 2005).
Ne pas lâcher la poule aux oeufs d’or
Parlons peu, parlons bien, tout le monde voulait sa part du gâteau. Néanmoins, si 10 bonnes raisons de te larguer a pour sa part principalement été produit par Touchstone Pictures (une filiale créée par Mickey en vue de cibler un public plus adulte), nombre de ses successeurs ont soit été relégués aux jupons de sociétés moins fortunées (on pense notamment à Joue-la comme Beckham en 2002, Bliss en 2009, States of Grace en 2013, White Bird en 2014, ou encore The Edge of Seventeen en 2016), soit mutés en franchises Young Adult multimillionnaires telles que Twilight, Hunger Games, Divergente et autres Labyrinthe.
- À lire aussi : notre dossier sur Twilight : chapitre 1, le meilleur du cringe.
le teen movie est mort, longue vie aux teen movies
Mais alors… qu’est-il arrivé aux teen movies qui ont fait le beurre de moult studios entre la fin des années 80 et le milieu des années 2010 ? Le genre a-t-il réellement disparu, ou s’est-il tout simplement transformé au fil des ans et des audiences ? Le fait est que l’industrie a changé… et les adolescents aussi.
Ceux à avoir grandi en parallèle de ces films en ont, pour certains, délaissé les narratives tandis que leurs ainés se sont eux aussi tournés vers des propositions plus « matures ». Julia Stiles a notamment rejoint la franchise d’action Jason Bourne et campé un rôle secondaire dans la cinquième saison de Dexter. Heath Ledger a quant a lui principalement versé dans le drame avec À l’ombre de la haine, Le Secret de Brokeback Mountain, ou encore Les Seigneurs de Downtown avant son interprétation très remarquée du Joker chez Christopher Nolan en 2008 (laquelle lui a par ailleurs valu un Oscar à titre posthume).
Parce que c’est has been les bals de promo
Du reste, les adolescents d’aujourd’hui n’ont plus tout à fait les mêmes préoccupations ni le même regard sur le monde (il n’y a qu’à jeter un coup d’oeil au Ladybird de Greta Gerwig ou au plus récent Bottoms d’Emma Seligman pour le constater). Aussi, si le genre perdure, il se fait fatalement le miroir d’une autre époque, d’un autre mode de production, et surtout, d’un mode de consommation pour le moins inédit.
En effet, outre la disparition progressive des films à moyen budget, le paysage médiatique s’est vu bousculé par la montée en puissance du petit monde de la SVoD. La disponibilité soudaine de tout un catalogue sériel et cinématographique depuis le confort de son canapé pour un coût globalement plus attractif qu’une sortie au multiplexe du coin a ainsi progressivement poussé les spectateurs à délaisser les salles obscures (sans parler de l’inflation, ou de la pandémie de 2020 qui ont gentiment planté le clou dans le cercueil).
Quand Netflix te propose 18 000 films pour le prix d’un tarif adulte au Pathé Beaugrenelle
En France, la chronologie des médias assure un échelonnage de diffusion des films selon plusieurs fenêtres à l’issue de leur exploitation en salles ; mais aux États-Unis où ce système n’existe point, les particuliers n’ont pas à attendre bien longtemps avant que le dernier blockbuster en date soit disponible sur Netflix, Amazon Prime ou Disney+ (pour ne citer que les mastodontes du marché).
Et c’est également sur ces plateformes que l’on retrouve non seulement les teen movies d’hier, mais aussi une grande partie de ceux d’aujourd’hui, puisque désormais produits par lesdites plateformes. La saga The Kissing Booth, le diptyque À tous les garçons que j’ai aimé, Sierra Burgess is a loser, Heartstopper… sans compter la profusion de séries type 13 reasons why, Les Nouvelles Aventures de Sabrina, Stranger Things et on passe et des meilleures. Alors oui, d’une certaine façon, 10 bonnes raisons de te larguer semble marquer la fin du genre tel que la décennie l’a connu – dans le fond, comme dans la forme. Mais ce n’est pas (encore) la fin du monde.
Vu il y a un bail. Sympatoche, ça se regarde. Mais aussitôt vu aussitôt oublié, ultra générique, Scénario et dialogues écrits en pilotage automatique, réal très académique. Les acteurs sont attachants.
Très chouette film.
Un classique au côté de Lolita malgré moi !!!