Après une ouverture très « percutante » à grands coups de xylophones mercredi, place jeudi 10 mars 2005, à la première journée pleine et entière du septième Festival du film asiatique de Deauville. Une journée qui sera marquée par trois évènements. Le premier (prévu) est la projection au petit matin en séance « spécial enfants » de Léo, roi de la jungle. Imaginez, à peine sorti du lit, pénétrer dans la grande salle du CID d’une capacité de 2000 spectateurs remplie aux trois quarts d’enfants de 4-6 ans
LÉO, ROI DE LA JUNGLE (Japon, 1997)
Réalisateur : Yoshio Takeuchi
Résumé : La savane grandiose s’étend à perte de vue. C’est le terrain de jeu de Louné et Loukio, les enfants de Léo le lion, roi de la jungle, et de son épouse, Lyre. Un paradis ! Malheureusement, un homme a d’autres projets pour ce havre de paix. Hamm Egg veut faire sienne la Pierre de Lune, source légendaire d’énergie inépuisable, trônant au sommet du mont Moon, réputé inaccessible. Egg fait appel au Ministère des Sciences et Techniques pour organiser une expédition. Une course haletante s’engage alors entre Léo et le sinistre individu. Pendant ce temps, le jeune lionceau Louné, intrigué par les hommes, s’aventure dangereusement hors de la jungle
Huit ans après sa sortie dans les salles japonaises, Léo, roi de la jungle débarque finalement en France ; l’occasion de pouvoir enfin comparer l’adaptation officielle de la bande dessinée Le roi Léo imaginée par Osamu Tezuka en 1950 avec l’officieuse signée Disney, Le roi lion (personne à Mickeyland n’a jamais reconnu officiellement les influences de l’uvre de Tezuka). Si les points de départ et d’arrivée des deux films sont bel et bien identiques (la naissance d’un lionceau, amené à devenir le futur roi des animaux après avoir fait l’apprentissage de la vie), l’art et la manière d’y parvenir diffèrent très nettement. Le film de Disney a en effet un avantage technique que le long-métrage nippon compense par une richesse thématique sans équivalent où l’écologie (un thème également récurent chez Miyazaki), la vanité humaine ou encore le sens du sacrifice et des responsabilités sont aussi simplement que remarquablement mises en avant. Loin d’être concurrentes, Le roi lion (l’une des plus grandes réussites du studio Disney) et Léo, roi de la jungle sont donc deux uvres à même de satisfaire petits et grands.
Au même moment, à quelques encablures de là, avait lieu dans une salle un peu moins chargée (celle du Casino) mais aussi il est vrai beaucoup moins spacieuse, la projection d’un film sur l’univers du catch, Rikidozan
RIKIDOZAN (Corée du Sud, 2004)
Réalisateur : Song Hae-sung
Après la quête musicale de The Overture, nouvelle biopic avec Rikidozan, sur la carrière d’un apprenti lutteur de Sumo, qui contribuera à faire de la lutte professionnelle le sport le plus populaire au Japon. Tout à la gloire de son acteur principal Sul Kyung-gu et du personnage légendaire qu’il joue, le film ne lésine pas sur les moyens pour happer et émouvoir le spectateur. Scènes de joie collective, retournements de situation improbables, interprétation très théâtrale Un vent de folie semble parfois prendre possession de certaines scènes, surtout les longs combats sur le ring. Et face à cette emphase, les plus généreux d’entre vous ne pourront retenir une petite larme. Une vraie manipulation des sentiments, avec gros ralentis et bande son larmoyante à souhait. Mais en dressant ce portrait de japonais d’origine coréenne, ni jamais tout blanc ou tout noir, le réalisateur se fait l’écho d’une réalité sociale qui pèse encore sur les consciences japonaises.
Après le dessin-animé et le sport de combat, une petite plongée dans la quatrième dimension nous attendait avec Marebito, le deuxième film en compétition
MAREBITO (Japon, 2004)
Réalisateur : Takashi Shimizu
Résumé : Masuoka est obsédé par les phénomènes de peur : d’où provient-elle, à quoi conduit-elle, n’est-elle pas une forme de sagesse que l’homme aurait perdue ? Cameraman pour la télévision, il a filmé dans un couloir de métro le suicide particulièrement violent d’un homme dont le visage était marqué par une stupeur, un effroi indicible. Ces images l’obsèdent. Il revoit inlassablement la scène pour tenter de décrypter la peur et traque dans les rues de Tokyo, caméra à la main, des indices, des éléments de compréhension
S’il y a encore quelques mois de cela, le nom de Takashi Shimizu était encore inconnu d’une majorité, ce n’est certainement plus le cas aujourd’hui puisque derrière ce nom se cache en effet le cinéaste à l’origine du dernier film évènement d’horreur / angoisse, The Grudge. Tourné également au cours de l’année 2004, Marebito n’a pour seule similitude avec l’histoire de fantôme à succès que son univers oppressant, tous les autres choix, aussi bien narratifs que visuels n’ayant que très peu (rien ?) en commun entre les deux longs métrages. Filmé entièrement en DV avec une approche underground à la croisée entre l’onirisme, la science-fiction et le surnaturel, Marebito s’apparente en effet davantage à une expérimentation filmique doublée d’une interrogation sur le pouvoir de fascination / répulsion de l’horreur, de la peur et de la mort que l’on pourra alors rapprocher du Tesis d’Amenabar sur le plan thématique mais aussi sur le plan visuel dans l’art de sublimer les scènes saignantes et oppressantes sans pour autant les surexposer à outrance. Mais, à trop vouloir mélanger et expérimenter les genres, le talentueux cinéaste nippon finira peut-etre par en laisser (lasser ?) plus d’un avant la fin de ce dédale de sous-terrains
Le second évènement de la journée eut lieu avec la présentation de Electric Shadows, troisième film en compétition qui, à l’heure actuelle, ressort grand vainqueur à l’applaudimètre à l’issue de la projection
ELECTRIC SHADOWS (Chine, 2004)
Réalisatrice : Xiao Jiang
Résumé : Ling Ling est née à la fin de la Révolution Culturelle chinoise pendant une séance de cinéma en plein air. Sa mère, dont la future carrière de chanteuse est brisée par cette naissance inopinée, veut se suicider mais trouve la force de survivre en prenant exemple sur les héroïnes de ses films favoris. Bientôt, le cinéma devient la seule échappatoire pour cette famille en marge de la société.
D’une beauté et d’une douceur infinies, le premier film de Xiao Jiang (32 ans) pêche à peine par une impression de longueur. Sinon, cette histoire de rêveurs cinématographes est un réel enchantement. La mise en scène se fait discrète, mais le travail effectué avec les enfants ne peut laisser indifférent, de même que le choix des paysages. Le plus surprenant, à y réfléchir, reste cette galerie de personnages, en apparence plus paumés les uns que les autres (un doux idiot, une malade mentale sourde), et qui pourtant dégage un optimisme et une fraîcheur communicative. Ce film a donc tout du conte pour adultes.
Enchaînement direct (même pas besoin de sortir de la salle !) avec un film présenté dans le cadre de la très riche section panorama, A family
A FAMILY (Corée du Sud, 2004)
Réalisateur : Lee Jung-chu
Résumé : Jeong-eu, une voleuse repentie, sort de prison après trois ans de détention. Elle retourne voir son père, un ancien policier renfermé et brusque, qui élève seul son jeune fils suite au décès de son épouse.
Tous les ingrédients du mélodrame familial sont en place. Dans son speech de présentation, le réalisateur soulignait l’importance de dire à ses parents qu’on les aime. Une jolie naïveté, dont est imprégnée, malheureusement plus que de nécessaire, son film, qui finit par ressembler à un tas d’autres chroniques du même genre. Surtout lorsque un pseudo yakuza passe par là.
Puis retour à la compétition (mais toujours dans la même salle) avec la présentation de Chased by Dreams, un film indien d’une durée exceptionnellement réduite pour un long-métrage de cette nationalité
CHASED BY DREAMS (Inde, 2004)
Réalisateur : Buddhadeb Dasgupta
Résumé : Paresh s’arrête de village en village afin de projeter des films éducatifs en 16 mm. Malheureusement au cours d’une des ses tournées, il se fait voler son projecteur…
C’est le début d’un road movie interminable. Car il n’y a pas besoin qu’un film indien fasse plus de trois heures pour que l’on perde patience. 1h30 suffisent largement. La volonté du réalisateur de traiter les problèmes frontaliers de l’Inde sur un ton tour à tour léger et grave est louable, mais la formule a des ratés et le spectateur se retrouve très rapidement perdu sur le bord de la route.
Troisième et dernier évènement de la journée, et non des moindres, l’hommage rendu au prolifique Takashi Miike (déjà 80 films en seulement 10 ans !), en présence bien sûr du principal concerné au travers notamment d’un montage pour le moins efficace de scènes chocs issues de ses long métrages les plus marquants, suivi de la projection de Blood and bones interprété par un autre cinéaste nippon percutant, Beat Kitano
BLOOD AND BONES (Japon, 2004)
Réalisateur : Yoichi Sai
Saga familiale de 2h30, Blood and Bones suit Kim Shun-pei, un immigré coréen de la première génération, de son arrivé en bateau à son dernier souffle. Encore une fois la question de l’intégration des Coréens au Japon est posée, même s’il est plus question ici du portrait d’un père de famille tyrannique, qui entraîne tout son entourage dans sa folie destructrice. Viols, femmes battues, lobotomie, suicides, le programme est vaste et ragoûtant. Si l’inexpressivité de Takeshi Kitano convient logiquement, et efficacement, au rôle, la montée graduelle dans la violence devient vite soûlante, surtout que l’on décèle de la part du metteur en scène une certaine complaisance. Confirmée d’ailleurs dans l’une des dernières phrases du film : « Quoi qu’on en dise, mon père a toujours agi selon son bon plaisir. » La loi du plus fort a encore de beaux jours devant elle.
Voilà, après cette première journée particulièrement chargée en séances, un petit dodo avant de poursuivre cette évasion asiatique dès demain
Vincent Julé & Stéphane Argentin