« De celui qui est sur la croix ou celui qui plante les clous, il faut choisir son camp ! » Pas de doute possible, Mad Mel is back ! Et pour son retour sur grand écran, devant la caméra, il est toujours Hors de contrôle, après avoir passé la dernière décennie à s'affirmer comme artiste démesuré, fou furieux et danger public.
Dès son plus jeune âge, le petit Mel Columcille Gerard Gibson est élevé dans l'amour de l'excès. Une famille de onze enfants où la foi touche à l'intégrisme, et que le père est prêt à faire déménager en deux temps trois mouvements des États-Unis vers l'Australie pour échapper au service militaire. Un déménagement heureux pour le jeune Mel, qui après quelques pièces de théâtre (dont un Roméo et Juliette avec Judy Davis), est engagé à 23 ans par George Miller (oui, le réalisateur de Happy feet) pour devenir Mad Max, justicier de l'apocalypse prêt à toutes les barbaries pour venger sa défunte famille. Dès son premier grand rôle, Gibson démontre un goût très prononcé pour le sado-masochisme : un bras écrasé, une jambe broyée et une délectation visible à faire souffrir ceux qui croisent son chemin. Voilà qui promet.
Après son mariage avec Robyn Moore (pour perpétuer la tradition gibsonienne, il lui fera sept enfants), Mel enchaîne. Deux collaborations avec l'excellent Peter Weir (Gallipoli et L'Année de tous les dangers), deux nouveaux épisodes de Mad Max (toujours avec George Miller, et toujours aussi violent), et le voici prêt à regagner le pays de l'oncle Sam. Après Le Bounty, film d'aventures tout mou de Roger Donaldson, Mel rencontre en 1986 celui qui deviendra son réalisateur fétiche. Richard Donner, réalisateur célébré de Superman, cherche un jeune type un peu fêlé pour jouer un flic aux allures de chien fou. Le genre de type à qui rien ne fait peur, prêt à se déboîter une épaule pour se débarrasser d'une camisole et gagner un bête pari. Gibson est parfait dans le rôle de Martin Riggs et son duo avec Danny Glover (ce bon vieux Roger Murtaugh) fonctionne à merveille. Il y aura quatre Arme fatale entre 1987 et 1998, et si la qualité de la saga a tendance à s'émousser, l'énergie de Gibson et son plaisir à en prendre plein la gueule n'ont pas diminué d'un poil. Et même si, dans le quatrième épisode, il se dit lui-même "trop vieux pour ces conneries", il rend coup pour coup à ce satané Jet Li et finit par lui faire la nique.
Longtemps, Mel Gibson s'est cantonné à des rôles d'aventuriers un peu fous, prêts à tout pour sauver la veuve et l'orphelin. Aucun film vraiment marquant, mais une image de type super cool, le meilleur ami idéal, le compagnon rêvé pour faire les quatre cents coups. Seule digression dans une carrière tout de même un peu linéaire : un petit tour chez William Shakespeare avec le Hamlet de Franco Zeffirelli (1990). Pas une franche réussite, et sans doute l'occasion pour Gibson de se remettre un peu en question. Marre de n'être rien d'autre aux yeux du public qu'un casse-cou sympa. Marre de ne pas recevoir de propositions plus consistantes.
Alors Mel prend les choses en main. Il réalise L'Homme sans visage (1993), l'occasion pour lui de se mettre en danger (ou en tout cas d'en avoir l'impression) en jouant le rôle-titre, celui d'un homme salement défiguré et vivant coupé du monde. Le film ne parvient pas à convaincre totalement mais incite Gibson à renouveler l'expérience. Après de joyeuses retrouvailles avec Richard Donner pour Maverick, il remet ça avec plus d'ambition et de moyens. Ce sera Braveheart, fresque grandiloquente et savoureuse autour du leader écossais William Wallace, qui lutta pour l'indépendance de son pays au XIVè siècle. Quelques Oscars en poche (dont ceux de meilleur film et meilleur réalisateur), un succès international, et Gibson se sent enfin considéré comme un véritable artiste.
À ce moment, les portes de Hollywood sont grandes ouvertes pour celui qui a su plaire à la fois au public et à la critique. Mais il faudra des années avant qu'il ne repasse derrière la caméra. Le temps, sans doute, de mûrir son prochain projet. En attendant, Mel s'amuse avec son pote Richard dans Complots (1997), dans lequel son personnage de taxi driver paranoïaque subit la torture de Patrick Stewart, puis avec Brian Helgeland dans Payback (1999), où il est dépouillé, passé à tabac et laissé pour mort par son "ami" Gregg Henry (sa vengeance sera terrible). La routine.
Le début des années 2000 est pour lui l'occasion de se diversifier et d'explorer tous les genres : il s'offre une plongée dans le cinéma d'auteur avec Wim Wenders à l'occasion du dispensable The Million dollar hotel, une fresque historique avec Roland Emmerich (le bien nommé The Patriot), une comédie pure avec Nancy Meyers (Ce que veulent les femmes, qui n'a pas fait rire tout le monde), un mauvais film de guerre avec Randal Kleiser (Nous étions soldats), un film fantastique avec le Shyamalan tel qu'on l'aimait autrefois (Signes) et une délirante comédie musicale (The Singing detective, avec Robert Downey Jr, inédite par chez nous). Un rythme de travail très soutenu, qui ne l'empêche pas d'annoncer en 2003 qu'il va réaliser son troisième film. Son titre : La Passion du Christ. Tout un programme.
C'est là que l'icône Gibson commence à s'ébrécher. On apprend qu'il souhaite tourner tout son film en araméen, et déjà les accusations d'intégrisme fusent alors que ce choix certes radical doit d'abord être vu comme un respectable parti pris de cinéaste. Les rumeurs provenant du tournage se multiplient : Gibson serait devenu fou à lier, faisant célébrer des messes à tout va, hurlant sur les acteurs qui osent massacrer la langue araméenne Et l'on entend gronder les associations chrétiennes, rarement satisfaites des films à fort contenu religieux. Pourtant, quand le film sort, ce ne sont pas les chrétiens qui protestent : mis à part quelques détails d'ordre historique, La Passion du Christ les satisfait plutôt. Les mécontents appartiennent surtout à deux catégories. Il y a d'une part les associations juives, qui protestent (à raison) à propos de l'image donnée des Juifs de l'époque. Et d'autre part les amateurs de bon cinéma, anéantis par la médiocrité filmique et l'inintérêt total de l'objet. Dans La Passion du Christ, chaque clou enfoncé l'est en gros plan et la souffrance de Jésus est soulignée avec lourdeur, comme s'il s'agissait d'un snuff movie christique. On se demande bien pourquoi Gibson n'a pas joué lui-même le rôle du Christ, qui aurait été propice à ses envies récurrentes de souffrance physique. S'il avait été un peu plus jeune, nul doute que cela aurait été le cas.
Malgré (ou grâce à) la polémique, La Passion du Christ est un gigantesque succès aux USA et marche plus ou moins bien dans le reste du monde. Et voilà Gibson étiqueté fou de Dieu infréquentable, et quasiment blacklisté. La preuve : depuis 2004, il n'a tourné aucun film en tant qu'acteur. En revanche, il a vite remis le couvert en tant que metteur en scène. Avant même sa sortie, Apocalypto fait à nouveau parler : cette fois, Gibson tourne intégralement en langue maya, et avec des acteurs amateurs. Ambition louable ou nouvelle plongée dans la folie? Cette fois, le doute est permis. Mais les premiers avis font état d'un film de qualité, sans concession et magnifiquement mis en scène. De quoi se racheter une crédibilité.
Seulement voilà : un soir, le père de famille vertueux et catholique fervent est arrêté pour conduite en état d'ivresse et se met à proférer des insultes de haute tenue à l'égard du peuple juif. Badaboum. Unanimement déclaré comme infréquentable, Gibson est devenu un paria dont personne ne veut plus distribuer le film. Des excuses publiques plus tard, Apocalypto trouve finalement le chemin des salles. Mais s'il y a de quoi être satisfait du résultat, nul doute que le chemin de croix de Mel Gibson, apparemment aussi masochiste dans la vraie vie que dans ses films, est loin d'être terminé.
C'est ainsi pour son caractère « très humain » que Mel a choisi de faire son grand retour sur les écrans, après presque dix ans d'absence, avec le film Hors de contrôle. Vu le nombre de serrages de dents, de défouraillages en règle et de « who killed my daughter ? » (et non the electric car !), on voit tout à fait de quoi il veut parler. Comme s'il reprenait le rôle et l'imperméable de Payback, Mel Gibson révèle qu'il a pris un coup de vieux, le visage s'est durci, les traits creusés, mais il n'a rien perdu de sa puissance et de son charisme. Ni de sa folie qu'il traite un journaliste de « asshole » ou qu'il s'attaque au mythe viking avec Leonardo DiCaprio. Et s'il n'y a plus aucune chance qu'il soit une dernière fois Mad Max, Mel Gibson ne dit pas non aux retrouvailles (et au bon souvenir des années 80 et 90), que cela soit avec Jodie Foster de Maverick ou avec Shane Black de L'arme fatale.