À 32 ans, Marion Cotillard est encore une môme. Silhouette de jeune fille, yeux rieurs, sourire permanent et même pas forcé. Il faut dire que quand la vie vous sourit à ce point, ce serait indélicat de faire la gueule. Quinze ans de carrière, une célébrité croissante, quelques belles rencontres, et déjà LE rôle de sa vie : dans La Môme, film-performance d'Olivier Dahan, Cotillard et Piaf ne font qu'une.
À ses débuts, on aurait pu douter de l'aptitude de la comédienne à jouer les premiers rôles. Après quelques années de théâtre, elle débarque sur nos écrans pour une panouille dans un épisode de la série "Highlander", aux côtés du grand et talentueux (hum hum) Adrian Paul. Suivent quelques seconds rôles plus ou moins convaincants chez Philippe Harel (mignonne Histoire du garçon qui voulait qu'on l'embrasse), Arnaud Desplechin (le vénérable Comment je me suis disputé), Colline Serreau (La Belle verte, no comment) Mais c'est en 1998 que le grand public la remarque vraiment. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour sa carrière : le film s'appelle Taxi, il sent les gaz d'échappement et l'humour rase-bitume, mais il séduit des millions de Français.
Problème : comment prouver aux gens du métier que tourner dans ce genre de film n'empêche pas d'avoir un vrai potentiel artistique? Simple : en assumant pleinement et en allant explorer des univers diamétralement opposés. "C'était à moi de montrer que j'étais une comédienne et pas une comédienne de Taxi" : et en effet, les deux années qui suivent, Marion Cotillard tourne uniquement des films intimistes dont le petit budget n'empêche pas l'inventivité. Dans un sens, Du bleu jusqu'en Amérique et Furia se ressemblent, de par leur envie de voir le monde autrement, en mêlant réalisme et onirisme. C'est ça, Marion Cotillard : une douce rêveuse qui garde cependant les pieds sur terre, consciente de ce qui l'entoure.
Après avoir prouvé de quoi elle est capable, plus de raison de refuser un nouveau succès facile. Dans Taxi 2, son personnage est étoffé (façon de parler) et son temps de parole plus important. Consciente de la qualité du film, Cotillard assume : pourquoi cracher sur des vacances bien payées? Cela permet ensuite de choisir des projets plus personnels, plus sincères. D'abord Les Jolies choses, adapté de Virginie Despentes, où elle montre sa capacité à faire dans la noirceur la plus totale ; ensuite Une affaire privée, bizarrerie de Guillaume Nicloux, où elle donne du film à retordre à Thierry Lhermitte. À chaque film, on la sent plus aguerrie, plus sûre d'elle, plus belle aussi.
Un petit tour par la case Taxi 3 et Marion dit stop à une saga au succès constant : pour avoir une chance d'être crédible dans des rôles plus graves, il est temps de tourner le dos à la gaudriole t(h)unée. Décidément, voilà un plan de carrière qui fonctionne : le nullissime Jeux d'enfants, au romantisme moisi, est un joli succès, et l'installe comme actrice romantique ; puis Tim Burton lui passe un coup de fil et la fait jouer dans Big fish. Pour le coup, c'est pas de bol pour l'actrice, qui se voit défendre un rôle assez maigre. Après un détour en préceptrice boîteuse dans le magnifique Innocence, c'est Jean-Pierre Jeunet qui lui offre son premier rôle clé : dans Un long dimanche de fiançailles, elle est Tina Lombardi, tueuse amoureuse. Sa prestation tend à colorer un peu le sépia tout lisse du film de Jeunet, et c'est tout naturellement qu'elle empoche un César.
La suite semble facile : dans Edy, Ma vie en l'air ou La Boîte noire, que son personnage soit très présent ou non, on ne cesse de parler d'elle, encore et encore. Qu'on ajoute à cela un petit tour dans le très beau Mary de Ferrara (ah, Ferrara) puis un rôle d'envergure et de charme dans le futile Une grande année de Ridley Scott aux côtés de Russell Crowe, et personne ne s'étonnera que Marion Cotillard soit désormais considérée comme une actrice qui compte. Elle risque même de devenir l'idole des foules avec son rôle dans La Môme : c'est typiquement le genre de prestation Actor's studio qui provoque la pamoison des foules.
Il faut dire que la jeune femme s'est dépensée corps et âme pour entrer dans la peau de la môme Piaf. Il y a d'abord le travail sur le physique : se débrouiller pour avoir l'air plus petite, s'épiler les sourcils et se raser le haut du front, subir jusqu'à cinq heures de maquillage par jour, supporter un masque de latex toute la journée C'était le prix pour ressembler à la chanteuse comme deux gouttes d'eau, et de ce point de vue, le pari est réussi : dans la majeure partie du film, et plus encore dans les scènes de concerts, on pourrait vraisemblablement croire à la résurrection d'Édith Piaf.
Tourné en quatre mois, de janvier à avril 2006, La Môme fut une épreuve éprouvante pour Marion Cotillard, incapable de se débarrasser vraiment de son aura piafesque, même hors des heures de tournage. Une sorte de communion intense, qu'elle a provoquée en commençant dès septembre 2005 à travailler le rôle en épluchant la documentation, en visionnant les vidéos de Piaf (dont une dizaine de films dans lesquels elle a tourné), en étudiant scrupuleusement son phrasé Un véritable travail d'orfèvre. Il y eut également de longues séquences de "méditation" avec un "guide" "pour aller à la rencontre de Piaf". C'est sans doute ce que l'on appelle communément prendre de la drogue. Il n'empêche que le résultat est là, et c'est bien le principal pour elle.
Voilà presque un an que Marion Cotillard n'a pas tourné de film. Et pour cause : selon ses propres dires, elle n'arrivait pas à se décoller de Piaf. Pas le genre d'actrice à crier sur les toits qu'elle s'est "mise en danger" pour un rôle, Cotillard a tellement joué la carte du mimétisme pendant des mois qu'elle a ensuite eu un mal de chien à se débarrasser de sa gestuelle, de sa façon de parler et de penser Que les fans se rassurent : secouée par son entourage, la môme Cotillard a fini par retrouver sa propre identité et, par la même occasion, le chemin des plateaux, pour le diptyque de Barbet Schroeder sur Jacques Mesrine. Nouveau projet de performer, puisque Vincent Cassel va se transformer physiquement pour entrer dans la peau de l'ennemi public numéro 1. Marion Cotillard, elle, est tranquille : elle va pouvoir retourner à des rôles moins contraignants mais pas moins intéressants. Après avoir trouvé le rôle de leur vie à 32 ans, d'autres actrices seraient déjà en train de sombrer ; mais son exigence naturelle et sa soif de découverte mèneront sans doute Marion Cotillard vers d'autres sommets.