Inutile de s'étendre sur le torrent d'images se déversant le cortex du cinéphile moyen à la simple évocation du nom d'Arnold Schwarzenegger. Du moins ceux qui ont éprouvé leurs premiers émois cinématographiques avec des bandes labellisées 80's. Ceux dont le panthéon personnel commence avec Conan le Barbare et conclut tout un pan de sa chronologie avec Last action hero, qui accueille les souvenirs de Die Hard et Terminator pour briller sans oublier de laisser une place pour Commando et Tango et Cash. Bref, ceux qui ont appris à aimé le 7ème Art à partir de la capacité d'incarnation iconique de certains de ses plus éminents représentants. Cette idée d'icône, Schwarzy a su la véhiculer comme aucun de ses rivaux n'est parvenu à la faire, précisément parce que le chêne autrichien a toujours su compenser ses évidentes carences d'acteur par son charisme inné, son physique hors-norme et le talent de jouer avec son potentiel graphique dans des projets susceptibles de le sublimer. Plus encore que Sylvester Stallone, Schwarzy représente cette idéal fantasmé qui réalise les vœux de superpuissance sommeillant dans notre inconscient, comme si les dieux eux-mêmes s'étaient mis d'accord pour envoyer l'un des leurs les représenter.
Or, la sortie récente (bon ok pas tant que ça) de son autobiographie, Total Recall : l'incroyable et véridique histoire de ma vie, nous rappelle que notre colonel John Matrix ne se contenta pas de sa vie d'acteur durant son parcours atypique. Mieux, celle-ci ne constitue presque qu'une part congrue d'une vie à laquelle même ses détracteurs seront forcés de concéder le caractère extraordinaire, parfaitement proportionnée au volume imposant de l'ouvrage (657 pages) qui plus est. Là résidait d'ailleurs la principale raison de se méfier du projet de la part d'un homme qui a toujours exercé une emprise absolue sur son image : son livre ne sonnerait-il pas comme un exercice d'auto-promo savamment calculé pour optimiser son retour sous les spotlights ?
La question est d'autant plus légitime que le moment choisit pour publier un tel livre n'est certainement pas du au hasard. Génie du marketing s'il en est, Schwarzy a conscience que son retour au cinéma, dix ans après avoir mis sa carrière entre parenthèses et deux ans après un divorce houleux qui a fait les gros titres de la presse à scandale, n'a rien du triomphe assuré que son glorieux passé et une apparition dans les Expendables laissent croire aux premiers abords (le bide du Dernier rempart est là pour en témoigner). L''heure du bilan a donc sonné, mais comme d'habitude avec Arnold, on s'arrange pour positionner les aiguilles au moment le plus opportun.
Dés lors, on ne s'étonnera pas que Total Recall ne ressemble finalement à rien d'autre qu'à son auteur, machine de guerre dévouée à son objectif dont la transparence assumée favorise paradoxalement des éclats de franchise émanant de la spontanéité du bonhomme. Se plonger dans les mémoires de l'autrichien, c'est se confronter à une personnalité dont les différents pôles se nourrissent pour former un tout d'une cohérence à toute épreuve : le rouleau compresseur tourné vers la réussite appartient à l'éléphant se débattant dans le magasin de porcelaine de la hype californienne et des sphères politiques américaines ; le jeune loup tourné vers l'avenir avec une faim exorbitante au vieux lion qui regarde vers le passé pour stimuler son appétit. C'est probablement cette homogénéité qui rend le bonhomme attachant envers et contre tout, quand bien même il ne fait aucunement mystère sur les aspects les moins reluisants de sa personnalité, notamment son absence de scrupules pour arriver à ses fins.
En bon bulldozer autoprogrammé (en cela, le T-800 est réellement le rôle de sa vie), Schwarzy a pris l'habitude de ne jamais se retourner sur les éventuels dégâts causés en chemin. On retiendra ainsi cette compétition majeure de bodybuilding au cours de laquelle, prêt à tout pour remporter le titre, il n'hésite pas à manipuler psychologiquement son grand rival quelques semaines avant la compétition (du « brain fucking » à rendre jaloux le P. Diddy d'American Trip). La volonté en acier trempée de l'ancien gouverneur de Californie ne s'embarrasse pas d'états d'âmes (encore que le passage où il regrette le mal que son départ pour les Etats-Unis a causé à sa famille se révèle réellement touchant), ni de complexes quand il s'agit de relater cet aspect de sa personnalité au public. En d'autres termes, l'homme a les dents qui rayent le parquet (on peut même parler de marteau piqueur à ce niveau), mais il les exhibe sans pudeur ni coquetterie supposée emballer le tout pour rendre les choses plus présentables. Une franchise qui résume finalement assez bien la réussite du projet : Schwarzy a beau recourir aux ellipses et aux raccourcis malgré la taille imposante du bouzin, il parvient malgré tout à jouer la carte de la transparence sur son parcours.
C'est encore cette lucidité qui permet au livre de trouver son équilibre, entre fierté de son auteur et conscience rétrospective des événements qui constitue le propre de toute autobiographie. A cet égard, l'un des aspects les plus réjouissants de l'ouvrage réside sans doute dans la manière dont Schwarzenegger continue, plus de quarante après son arrivée aux Etats-Unis, à se voir comme l'éternel provincial à gros sabots secouant la bienséance partout où il se rend. Qu'il s'agisse de sa relation tumultueuse avec Dino de Laurentiis (il l'insulte quasiment lors de leur première rencontre ), sa rencontre avec sa femme Maria Schriver (« Votre fille a vraiment un cul splendide » furent quasiment les premiers mots qu'il adressa à Eunice Shriver, sa future belle-mère !), il est savoureux de constater à quel point Schwarzy ressemble à la caricature qui est faites de lui dans Last action hero, lorsqu'il fait de la pub pour Planet Hollywood en pleine promotion du nouveau Jack Slater sous les yeux dépités de sa femme.
Sorte d'éternel péquenaud qui préfère toujours en faire trop que pas assez, Arnold prend un malin plaisir à nous faire partager sa propension à balancer des énormités, y compris lorsqu'il se met à gouverner la Californie (faut voir comment il parvient à se mettre le syndicat des infirmières sur le dos…). Une grossièreté qui s'incarne également à même l'écriture, sans doute à son insu, dans sa propension à parler gros sous avec une certaine complaisance. A ce titre, les pages accordées à ses aventures cinématographiques risquent d'en décevoir plus d'un, (même si sa description du milieu vaut largement le coup d'oeil), Arnold parlant plus volontiers salaires (pris comme baromètre de son évolution dans le milieu) et marketing (domaine dans lequel il se révèle être un véritable expert) que confessions sur les tournages…Au final, seuls Stay hungry, Conan le Barbare , Terminator, et à la rigueur Total Recall, jouissent d'une attention particulière de leur acteur principal.
Pour le reste, Arnold prend un plaisir communicatif à se jeter dans ses souvenirs pour nous conter les étapes les plus incroyables de sa trajectoire. C'est d'ailleurs l'un des intérêts du bouquin : partager au détour de la page cornée une vie assez riche pour en remplir une dizaine, et faire passer son lecteur de la campagne autrichienne à l'intimité familiale des Kennedy, le balloter des rendez-vous à la Maison blanche aux discussions de plateau avec James Cameron ou John Milius. Des allures presque picaresques en sommes, d'autant plus qu'Arnold ne nous épargne rien et se répand en anecdotes et observations souvent savoureuses. Un bon moyen de relativiser certains acquis à propos du personnage.
De fait, Arnold Schwarzenegger a beau être perçu comme un pur produit des années 80, le bonhomme s'est forgé durant les années 60-70, et a su profiter des changements socioculturels de l'époque pour son propre compte et la discipline dans laquelle il évoluait, le bodybuilding. Une discipline dans laquelle il demeure encore aujourd'hui l'emblème, et envers laquelle il nourrit une reconnaissance palpable. Fidèle à ses passions, Schwarzy accorde une large part à ses années passées chez les musclés, et décrit avec une minutie aiguisée le progressif désenclavement culturel de ce sport ainsi que les exploits (il faut bien appeler un chat un chat) qu'il accomplit en son sein.
Au bout du compte, les pages concernées à son ex-femme sont les seules à supplanter quantitativement celles dédiées à sa période golgoth. Comme si, en écrivant son livre, Schwarzy se rendait compte de ce qu'il avait perdu en jetant un œil sur le passé. Et dévoile une autre motivation inattendue à la publication de ce projet à ce moment précis de sa vie : demander pardon à madame et se réconcilier avec elle. In extremis, le Terminator se révèle alors sensible et vulnérable, à la plus grande surprise de l'intéressé, qui semble parfois découvrir une part de lui-même qu'il ignorait jusqu'alors. Instants qui suffisent à eux-seuls à valider l'existence du livre.