Plus d'un an après sa présentation Cannoise à la Quinzaine des réalisateurs, Blue Ruin s'est finalement taillé son chemin jusque dans les salles obscures. Mettant en émoi une large partie de la presse française, le film de Jérémy Saulnier appartient à un sous-genre devenu typique d'un certain cinéma indépendant, le thriller redneck. Alors que cartonne l'excellente série Justified ou que se profile la sortie du très attendu Cold in July, l'occasion était trop belle de s'attarder sur la sortie de Blue Ruin et de voir en quoi le film constitue un petit précis du cinéma redneck.
1°) Haut les flingues
On ne le dira jamais assez, en Amérique, les armes poussent sur les arbres. Si le cinéma U.S. nous a habitué à ses héros surarmés depuis le western en passant par les délires virilistes des années 80, c'est bien l'Amérique profonde qui recèle les plus étonnantes plantations de flingues. Blue Ruin en est le parfait témoignage, en effet, ici les guns ne sont pas la spécialité des forces de l'ordre, des militaires ou des héros sur le retour, mais bien la possession essentielle de tout quidam qui se respecte. Dans le film de Saulnier, les armes se dissimulent partout, dans les bagnoles, la couture d'un jean, sous un matelas ou la baraque d'un bon copain. Si la législation européenne vous frustre et que vous fantasmez de dégommer des canettes de bière au fond d'une forêt, voilà un film qui fera office d'El Dorado.
2°) Le rasoir c'est pour les dames
À force de supers héros et de personnages au sourire bright, on en aurait presque oublié que la population nord-américaine possède également un système pileux. Rassurez-vous, dans le Heartland qui fleure bon la sueur et la Budweiser, on ne se rase, on laisse cet honneur à madame. Et comme il se doit, Blue Ruin offre au spectateur une impeccable collection de joues qui piquent, barbes rugueuses et autres appendices velus du plus bel effet. Ici pas de lotion, ni d'après rasage, seulement la barbe, la vraie, celle qui sent bon le barbecue de la semaine dernière.
3°) Dans la crasse tu massacreras
Parce qu'on n'est pas chez Christopher Nolan, ici personne ne s'écroule sans répandre ses tripes sur l'intégralité du décor. Si l'on ne comprend pas bien comment une telle situation a pu ne pas provoquer une croissance exponentielle des services d'hygiène, on se réjouira du grand nombre de décès cradingues qui rythment Blue Ruin. Si les flingues sont de sortie, notons que nos anti-héros font preuve d'inventivité. Si vous aimez les massacres au tournevis ou l'usage délibéré d'armes contondantes, Blue Ruin fera également votre bonheur. Pour parfaire ce violent tableau, sachez que Jérémy Saulnier ne renâcle pas non plus l'hémoglobine, poisseuse et collante à souhait, qui se déversera en torrents fumants sur l'écran.
4°) Mais que fait la police ?
Que celui qui a déjà vu un policier régler une situation explosive dans l'Amérique profonde lève la main. Dans le métrage qui nous intéresse, personne n'aura réellement à s'inquiéter des forces de l'ordre, curieusement peu intéressées par les tripotées de bouseux occupées à se massacrer au cœur de leur juridiction. C'est qu'on risquerait de se prendre une balle perdue, vu le volume de plomb déversé pour régler un petit différent familial. Plus cocasse encore, c'est ici la maison poulaga elle-même qui déclenche les hostilités, en annonçant tranquillement au protagoniste que son pire ennemi s'apprête à sortir de prison, histoire de lui donner l'occasion de violer la loi en toute connaissance de cause.
5°) La famille c'est sacré
Les agents secrets, supers héros et autres héros à gros budget s'inquiètent de sauver le monde, mettre fin à de sinistres complots, heureusement, le redneck a d'autres préoccupations autrement plus terre-à-terre. Dans le film qui nous intéresse, c'est carrément à une famille entière qu'en veut le personnage principal. Et ses adversaires bénéficiant d'un taux de fécondité qui ferait rougir un lapin de garenne bien fâché, inutile de préciser que les liens du sang jouent ici un rôle fondamental. Les grands principes ou la géo-politique n'ont pas cours dans l'Amérique profonde, seul compte le clan, ses agissements et leurs conséquences. De quoi s'assurer des réunions de familles rarement végétariennes.
6°) La vengeance, un plat qui se mange saignant
La plupart des thrillers dont le cœur palpitant est un récit de vengeance choisisse de bâtir toute la structure de leur récit autour de l'élaboration de cette dernière et de ses conséquences. Par conséquent, la-dite vengeance se fait souvent le climax des films en question, quand elle a finalement lieu (parce que comme en fait ça ne résout rien et que ça rend malheureux, on abandonne parfois en cours de route). Rien de tout cela dans Blue Ruin, qui fait de la revanche de son héros le point de départ d'une équipée sanglante passablement impitoyable. Après quelques minutes de film seulement, l'adversaire de notre droopy barbu gît dans une mare de sang et de tripes, le bulletin de naissance au fond de la gorge. Commence alors un règlement de compte généralisés, qui ferait passer la réunion de famille du bourrin You're next pour une séance de tripotage hippie.