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Le mal-aimé : Hollow Man, l’homme invisible tordu de Paul Verhoeven

Par Geoffrey Crété
1 mars 2020
MAJ : 21 mai 2024
21 commentaires

Hollow Man, avec Kevin Bacon et Elisabeth Shue, n’a pas convaincu à sa sortie, mais n’a surtout pas été sauvé depuis.

Hollow man, l'homme sans ombre : Photo

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l’injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.

Alors que Invisible Man de Leigh Whannel a beaucoup fait parler de lui (notre critique par ici), retour sur Hollow Man , l’homme sans ombre, de Paul Verhoeven.

 

photo

(NY Times)

« Un film vide de sens » (Hollywood Reporter)

« Digne de la télévision ou d’un DTV » (Boston Globe)

« On attendait un traitement plus sulfureux de la part de Paul Verhoeven » (Le JDD)

« Passé un début très prometteur, le film devient d’une grande lourdeur » (Les Cahiers du cinéma)

« Œuvre sans cesse empêchée, de bout en bout frustrante, Hollow Man reste un film en creux » (Libération)

 

  

L’HISTOIRE

Sebastian Caine est un scientifique de génie, donc mégalomane, antipathique et excessif, à la tête d’un laboratoire gouvernemental top secret où il expérimente l’invisibilité sur des animaux avec six autres experts – parmi lesquels Linda, son ex, et Matt, son nouveau copain secret.

Il décide de secrètement passer à l’étape d’après : le test humain, sur lui-même. Sebastian devient donc invisible, et profite gentiment des possibilités pour amuser ses collègues... jusqu’à ce qu’ils réalisent tous que le sérum pour le ramener ne fonctionne pas.

L’amusement laisse place à l’agacement, et Sebastian vrille. Il s’échappe du labo pour aller tripoter la vétérinaire, aller violer sa voisine, découvrir que Linda couche avec son collègue, et gère ses émotions en explosant un pauvre petit chien.

Pour garder son secret, il tue le boss du Pentagone et enferme ses collègues dans le labo, déterminé à tous les tuer pour être libre. Janice étranglé, Carter explosé, Sarah brisée, Frank empalé, Matt gravement blessé, mais Linda MacGyver très remontée : elle décide donc de l’affronter avec le feu et l’eau, avant de s’échapper avec Matt son sauveur.

Alors que la labo explose, ils s’échappent dans la cage de l’ascenseur, et se débarrassent une bonne fois pour toutes de l’increvable Sebastian.

 

Photo Kevin BaconUn homme équilibre, dès le début

 

LES COULISSES

Lorsqu’il se brûle les ailes avec Showgirls en 1995, énorme bide heureusement réhabilité depuisPaul Verhoeven chute violemment du piédestal érigé sur les succès de RoboCopTotal Recall et Basic Instinct. Le controversé Starship Troopers, qui rencontre un succès mitigé (surtout le sol américain), l‘enferme un peu plus dans la science-fiction, un genre qu’il n’apprécie pas particulièrement et qu’il tentait de fuir. De plus en plus mal à l’aise dans le système, il voit les portes se fermer les unes après les autres. Ainsi arrive Hollow man, l’homme sans ombre, une superproduction à 95 millions de dollars (dont plus de la moitié pour les effets) qu’il accepte « pour rester dans le business ».

Vu les enjeux et défis techniques avec la marée d’effets visuels, le film est précisément storyboardé, et le cinéaste affirme que 90% de Hollow Man est exactement comme prévu – sinon, dépassement de budget assuré. Il retrouve le directeur de la photo Jost Vacano, avec qui il a travaillé sur plusieurs films depuis ses débuts. Le tournage sera repoussé de presque deux mois, suite à une blessure d’Elisabeth Shue, qui a failli être remplacée.

Malgré les apparences, Kevin Bacon était omniprésent sur le plateau, notamment pour interagir avec les autres acteurs et éviter de les voir jouer dans le vide. Selon le contexte et les effets visuels prévus, il portait une combinaison d’une certaine couleur (verte pour les interactions avec le sang, bleue pour la fumée, noire pour l’eau). Chaque scène avec lui a ainsi été tournée deux fois, avec une caméra aux mouvements contrôlés par informatique, pour reproduire exactement les mêmes mouvements : une fois avec tous les acteurs, et une autre sans. Bacon a ensuite été numériquement effacé. Une doublure numérique précise de Kevin Bacon a par ailleurs été créée, comme un clone pour prendre sa place à l’image.

 

photoSuper green

 

Avec le recul, Paul Verhoeven est particulièrement dur avec son septième et dernier film hollywoodien :

« C’est le premier film que j’ai fait dont je me suis dit que je n’aurais pas dû le faire. Il a rapporté de l’argent et tout, mais ce n’est vraiment plus moi. Je pense que plein d’autres gens auraient pu le faire. Je ne pense pas que plein de gens auraient pu faire Robocop comme je l’ai fait, ou Starship Troopers. Mais Hollow Man, je me suis dit qu’il devait bien y avoir 20 réalisateurs à Hollywood qui auraient pu faire ça. »

Sa version de L’Homme invisible reste un cas unique dans sa carrière hollywoodienne : le seul film à ne pas avoir été un franc succès à sa sortie, ou à avoir été sauvé par la suite au point de devenir culte. Pas aussi percutant que Basic Instinct, pas aussi excessif que Starship Troopers, pas aussi incroyable que ShowgirlsHollow man est donc considéré comme le maillon faible de sa filmo américaine. Et le retour de Verhoeven dans sa Hollande natale juste après ne fera que confirmer ça.

Hollow Man aura néanmoins droite à une suite, Hollow Man 2, comme Starship Troopers, RoboCop et Showgirls. 

À noter l’existence d’une director’s cut avec quelques images et scènes inédites.

 

PhotoGorille dans la brume de CGI

 

LE BOX-OFFICE

Malgré la critique très largement négative, Hollow Man récolte plus de 70 millions au box-office domestique, près de 120 millions dans le monde, pour un total d’environ 190 millions. Avec un budget officiel de 95 millions hors marketing, c’est un succès modéré.

C’est par exemple mieux que Starship Troopers, sorti deux ans avant, qui a coûté plus cher (105 millions officiellement), et encaissé dans les 121 millions. Et c’est bien mieux que Showgirls, avec son budget de 45 millions et son box-office de 38 à peine.

Mais la grande période hollywoodienne de Verhoeven, celle où le public le suivait, semble alors loin. Sans inflation, Total Recall avait récolté plus de 261 millions en 1990, et Basic Instinct plus de 353 millions en 1992. Et avant ça, RoboCop avait engrangé quatre fois plus que son budget en 1987 (plus de 53 millions pour un budget de 13).

 

PhotoAnalyse du succès massif de Hollow Man

 

LE MEILLEUR

Hollow Man aurait probablement été considéré comme un excellent produit hollywoodien sans le nom de Paul Verhoeven au générique. Mais le film a payé la carrière américaine sans faute du cinéaste : perçu après comparaison comme une superproduction faiblarde, consensuelle et sans âme, plus attachée à sa débauche d’effets spéciaux qu’à son scénario, cet homme invisible a déçu.

Sous ses airs sages, Hollow Man reste pourtant un vrai film de Verhoeven. Même dépouillé d’une portée symbolique puissante et politique comme Total Recall ou Starship Troopers, le film reste une démonstration explosive de la maîtrise du réalisateur, capable de faire des merveilles d’un matériau a priori simple. À commencer par une mécanique parfaitement huilée, un rythme délicieux, et un découpage net et précis.

C’est un fantastique ride de deux heures à peine, sans gras, qui assume son statut de spectacle grandiloquent de la première à la dernière minute : de l’envoûtant générique (superbe composition de Jerry Goldsmith, encore une fois) suivi d’une scène de frissons sous forme d’avertissement sanglant, à cette conclusion rapide et sans fioriture, qui lâche les ternes personnages dès que leur combat est terminé. Pas de pause, pas d’épilogue, pas de temps perdu : même dans un exercice de style carré, le talent et la brutalité de Paul Verhoeven sont évidents.

 

photoNomination méritée à l’Oscar des effets visuels

 

Derrière, il y a toujours cette capacité à transcender un sujet avec les armes du cinéma. La musique quasi omniprésente de Jerry Goldsmith (qui avait déjà travaillé sur Basic Instinct et Total Recall) donne à Hollow Man des airs d’opéra en soulignant chaque moment pour remplir l’écran jusqu’à l’étouffer. Du sein palpé par une main invisible au corps de Kevin Bacon confronté aux éléments (eau, air, feu, électricité, infrarouge, fumée de cigarette), le plaisir que prend Verhoeven à manier les effets spéciaux est clair.

Il offre ainsi des séquences éblouissantes, comme celles où les corps animaux et humains sont épluchés petit à petit pour révéler leurs secrets, donnant lieu à des moments de pure magie, là encore soulignés par la musique. Sans jamais se laisser enfermer par la technique (malgré son choix d’avoir Kevin Bacon sur le plateau, et jouer sur la présence plutôt que l’absence),le cinéaste multiplie les mouvements, et prend véritablement possession des effets spéciaux pour les plier à sa mise en scène.

La méga-efficacité de Verhoeven est illustrée par la dernière demi-heure du film, archétype du huis clos où une menace transforme le décor en théâtre cauchemardesque. Un plaisir absolu pour le public, qui voit disparaître un à un les seconds rôles évidemment dispensables, de manière particulièrement cruelle. Et si la chair et le sang restent globalement dans les clous, voir Kim Dickens déverser des litres de liquide sanguin sur le sol ressemble à un pied de nez de Verhoeven à la face du studio. Une manière pour le cinéaste iconoclaste de maintenir son niveau d’hémoglobine contestataire, coûte que coûte, et garder la tête haute.

Avec son laboratoire sous-terrain top secret et sa cage d’ascenseur démesurée, ce troisième acte rappelle en outre que le réalisateur ne s’est jamais embarrassé de détails ou de premier degré pour emballer l’action hollywoodienne. Quinze ans durant, il aura joué avec les outils de l’industrie mainstream avec un plaisir complice, une simplicité rafraîchissante et un goût pour la face sombre de l’être humain. 

 

photoL’homme sans âme

 

Enfin, en tant que dernier film hollywoodien de Verhoeven, Hollow Man pourrait être plus malin et moins superficiel qu’il n’y paraît. Sebastian est un génie qui préfère le spectacle et l’action aux données froides à analyser (qu’il laisse à Matt le fade), et qui décide de mentir au gouvernement américain qui le finance afin de ne pas perdre le contrôle de ses projets. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec Verhoeven, qui a utilisé les armes du système hollywoodien (ses budgets, ses acteurs, ses genres de prédilection, son public) pour les retourner contre l’Amérique, en autopsiant ses dérives, son goût pour la violence et son hypocrisie.

D’autant que lorsque Caine va présenter son travail au Pentagone, c’est avec une vidéo, un peu comme les rushes qu’un réalisateur pourrait montrer aux producteurs pour quémander du temps et de l’argent pour peaufiner les effets.

Kevin Bacon est un chien fou, qui se fiche du bon goût et du politiquement correct, et repousse sans cesse les limites avec ses collègues et ses pouvoirs. Bien sûr, le scénario le désigne comme un psychopathe, mais il reste le centre du film, jusqu’à ce que Hollow Man bascule vers Linda en héroïne. Verhoeven joue sur cette ambiguïté.

 

Photo Paul VerhoevenPaul Verhoeven reprendra du poil de la bête avec Black Book

 

À ce stade de sa carrière, le cinéaste a épuisé son carburant et a quasi capitulé face à Hollywood. Il a accepté ce projet sans sa passion d’antan, et a de toute évidence touché aux limites de sa stratégie de kamikaze avec Showgirls et Starship Troopers. Hollow Man est-il son chant du cygne, où il exprime sa peur d’être définitivement consumé par l’industrie et perdre son âme dans ce miroir aux alouettes ?

Sebastian a beau vriller, il a d’abord l’ambition de changer le monde, de repousser les limites de son domaine, de se déjouer des bureaucrates peureux. Il est animé par la passion, et il glisse en partie parce qu’il est emprisonné et étouffé par le système. Qu’il soit envoyé en enfer par un duo de héros tartes et niais, après avoir survécu à de multiples assauts comme un ultime boogeyman, n’est alors pas anodin.

 

photo, Kevin BaconAlter ego très tordu du cinéaste ?

 

LE PIRE

Le plaisir du massacre final provient essentiellement du manque de consistance des personnages, aussi archétypaux que le décor. Que le héros mégalo puisse devenir fou en découvrant que celle qu’il convoite lui a préféré un autre homme n’est pas en soit une idée médiocre, au contraire. Le problème est que le film repose trop sur quelques ficelles classiques et insuffisantes pour nourrir le spectacle, et insuffler une âme à la dramaturgie.

Kim DickensJosh Brolin et la trop rare Elisabeth Shue se retrouvent ainsi avec bien peu de choses à défendre, face à un Kevin Bacon qui aspire toute l’énergie du récit en incarnant l’âme du cinéma de Verhoeven.

D’autant que les quelques éclats de violence et sexe (la gorge de Greg Grunberg, le cou de Kim Dickens, la nuisette de Rhona Mitra) mettent en évidence les facilités du scénario, qui rechigne à abîmer ses bons héros. Difficile notamment de digérer le retour triomphal de Josh Brolin pour sauver in extremis sa chère et tendre, à la merci de l’homme invisible et enragé.

Aussi plaisante et amusante soit-elle, la dernière partie très typée slasher ramène le film sur les rails classiques, avec une mise à mort méthodique et attendue de seconds couteaux, et une série d’affrontements impressionnants, mais là encore très classiques. La victoire des gentils sur Caine est ainsi trop facile, et bien trop hollywoodienne pour être satisfaisante.

 

RETROUVEZ L’INTEGRALITE DES MAL-AIMES DANS NOTRE RAYON NOSTALGIE

 

Photo Elisabeth Shue

 

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corle

je ne connaissait pas tout ce rejet sur ce film que je trouve simpelemnt génial a tout les points de vue. vu à l’époque au cinema je le regarde tjr avec autant de plaisir

Miami82

C’est vrai que Verhoeven a toujours renié ce film. C’est tout à son honneur d’accepter de faire cet autocritique.
Si ce n’est cet abus de violences et de scènes faussement sexy qui semblent être forcées par le réalisateur pour laisser sa patte, c’est vrai que le film laisse cette impression qu’il aurait pu au final être réalisé par n’importe quel réalisateur hollywoodien. Pas de message sous-jacent,, pas de réel apport dans la carrière du hollandais violent.
Hollow Man paraît être un simple film de commande Deluxe pour rester sur le marché hollywoodien. Vite vu, vite oublié. Reste effectivement des effets spéciaux incroyables. Les scènes où un personnage devient invisible sont tellement bien détaillées qu’elles seront reprises par certaines écoles de médecine.

Pat Rick

La 1ère partie du film est pas mal mais Verhoeven a fait tellement mieux que l’on attendait autre chose de lui.

RobinDesbois

Film anecdotique dans la filmo de Verhoeven. Ca se regarde mais très vite oublié.

Je préfère largement l’homme invisible de Carpenter qui sans être un grand film est beaucoup plus sympathique et authentique.

Marc

Hollow Man toujours mieux que Invisible Man !!! Déjà oublié ce film . Cinéma is Dead en tout cas ont est au fond des Abysses .

Mempak4

Peut-être pas un purge mais juste le plus mauvais film de Paul Verhoeven -!!

Dutch Schaefer

Pas son meilleur film (loin de là!) et certainement le « maillon faible » du père Paul!
Mais pas un mauvais film!
Voilà!

addicted2chaos

Pas tout vu, mais de Sleepers à Mystic River c’était à mon sens l’âge d’or de Kevin Bacon avec Sexcrimes, Hypnose.

J’avais bien surkiffé Hollow Man à l’époque. A revoir surtout pour constater si les effets spéciaux de l’époque tienne encore la distance.

jorgio69

J’avais trouvé le film très bien mais trop simple, le voyeurisme et c’est tout, pour ensuite embrayer vers un slasher…
Un bon Verhoven pour le côté subversif mais trop fainéant dans le fond.

jaljal

Erreur de casting, c’est De Palma qu’il fallait mettre à la barre.