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Désastre à Cannes : Southland Tales de Richard Kelly avec The Rock et Buffy

Par Geoffrey Crété
15 mai 2016
MAJ : 21 mai 2024
10 commentaires

Loin de la Palme, Cannes a le pouvoir de détruire des films. Et de faire de grosses erreurs.

Southland tales : Photo Sarah Michelle Gellar

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l’injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie. Cette semaine, un épisode spécial Cannes : Southland Tales de Richard Kelly.

 

     

« Boooooo !!! » (Festival de Cannes, 21 mai 2006)

« Le pire film indépendant de 2007 » (The Independent)

« Le film n’a pas seulement été hué :  il a été accusé » (The Guardian)

« La projection la plus désastreuse depuis The Brown Bunny » (Roger Ebert)

« Le pire film jamais sélectionné pour la Palme d’or » (Mark Kermode, un critique anglais)

« On ne s’étendra pas sur la pochade futuriste et brouillonne sur l’Amérique de l’après 11 septembre et de la Guerre en Irak qu’est Southland Tales de Richard Kelly » (France Culture)

« Dépenser 12$ pour 2h30 de quelque chose d’aussi agressivement mauvais que Southland Tales n’est pas quelque chose que je pourrais recommander » (NY Post)

 « Trop bordélique, trop ambitieux, trop « geek » – et je me rappelle que les sous-titres légèrement décalés, à la projection de presse, n’aidaient pas à la compréhension du monstre. » (Télérama) 


    

LE RESUME EXPRESS

L’Amérique post-11 septembre a été touchée par deux bombes nucléaires. Le pays est vérouillé, et les Républicains ont mis en place USIDent, un système de surveillance orwellien. En 2008, les élections approchent en Californie, et un groupe néo-marxiste prépare un coup d’état tandis qu’une société allemande dirigée par le Baron vient présenter à Los Angeles le Fluid Karma, une source d’énergie inépuisable qui tire sa force des entrailles de la planète, également utilisée comme drogue sur les soldats envoyés en Irak.

Deux hommes vont jouer un rôle dans ce plan : Boxer Santoros, star hollywoodienne et beau fils du gouverneur républicain, et Roland Taverner, frère jumeau d’un policier. Disparu dans d’étranges circonstance, Boxer réapparaît soudainement dans les bras de Krysta Now, une star du porno et business woman avec laquelle il écrit un scénario de science-fiction. Roland, lui, est chargé par les néo-marxistes d’usurper l’identité de son frère pour provoquer un scandale sur les méthodes des forces de l’ordre.

En réalité, le Fluid Karma ralentit la rotation de la Terre et a provoqué un dysfonctionnement dans le tissu du temps et de l’espace. Les deux Taverner ne sont qu’une seule et même personne, qui entraînent la fin du monde lorsqu’ils finissent par se rencontrer. Boxer, lui, a été envoyé dans la faille par le Baron, et a voyagé dans le temps. Tous les personnages, réunis dans un zeppelin, seront tués dans une gigantesque explosion par un jeune qui décide de se suicider pour ne pas aller en Irak. Fin.

 

  

FESTIVAL DE CANNES 2006

En 2006, Richard Kelly est le petit génie qui a émergé. Son premier film, Donnie Darko, n’a pas remué Sundance, n’a pas passionné les acheteurs et n’a pas rencontré le succès à sa sortie, mais est devenu en quelques années un véritable phénomène grâce au DVD puis à des séances de minuit. Au point de ressortir en director’s cut trois ans après. Courtisé par Hollywood, il refuse X-Men : L’Affrontement final et se concentre sur un projet nettement plus personnel : Southland Tales.

Débarquer en compétition officielle avec son deuxième film est donc une victoire pour ce réalisateur de 31 ans. Mais au-delà de sa carrière, c’est un beau message lancé par le sacro-saint festival : d’ordinaire plus snob, le tapis rouge accueille un film de science-fiction fou avec l’ex-catcheur The Rock, l’ex-Buffy Sarah Michelle Gellar, l’ex-Stifler Seann William Scott, l’ex-NSYNC Justin Timberlake, entouré de seconds rôles improbables (Mandy Moore, Miranda Richardson, Christopher Lambert ou encore Amy Poehler). 

La chute n’en sera que plus douloureuse. Southland Tales est hué, méprisé, moqué, et récolte des critiques désastreuses. Un an après, Richard Kelly expliquait à Paste Magazine« On a envoyé un premier montage en pensant qu’il y avait une chance sur mille d’être sélection, parce que le film était une version non définitive. Ils ont répondu, ‘On aime, on veut vous nommer pour la Palme d’or’. On s’est dit, ‘Oh merde. C’est un tel honneur… on ne peut pas refuser ça’. Alors on a arrêté de monter, on est parti avec la version qu’on avait pour essayer de finir les effets spéciaux, qu’on a même pas pu terminer à temps ».

« Je voulais y aller et dire à tout le monde que c’était un film pas terminé. Mais beaucoup de gens autour de moi m’ont dit, ‘Ne fais pas ça. Ne dis ça à personne' ».

 

Southland Tales

 

Après Cannes, Southland Tales passera de longs et silencieux mois à être remonté et refaçonné, notamment grâce à des stagiaires bénévoles. Il perd une vingtaine de minutes. Des années après, une copie magique de la version cannoise surgira sur le web : la voir, c’est constater à quel point le film a été transformé, retirant des personnages et remuant la narration de manière drastique.

Le réalisateur, qui continue à défendre et partager autour de son bébé sur les réseaux sociaux, en ressortira plus sage :« Ca a été au final une expérience très douloureuse à plusieurs niveaux. C’était effrayant – on a pensé que le film n’allait pas y survivre, qu’on allait devoir couper une heure ou quelque chose d’aussi fou. Mais à la fin, le film est devenu meilleur grâce à tout ça, parce qu’on a tout fait pour franchir la ligne d’arrivée à temps, dans un sprint. On a passé un an à retravailler dessus après Cannes. Pas juste au niveau du montage : on a ajouté une centaine d’effets spéciaux. Sony nous a donné l’argent, ils avaient foi ».

Sarah Michelle Gellar, elle, dira avec le recul : « On a par la suite réalisé que le film se déroule à Los Angeles ; c’est une histoire sur cette ville, sur nous, et on pense vraiment qu’il aurait du être montré pour la première fois ici. Je pense que c’était le mauvais public ».

 

 

LE BOX-OFFICE

Un échec spectaculaire. Southland Tales a coûté dans les 17 millions, et rapportera à peine 400 000 dollars dans le monde. Aux USA, le sort s’acharne : le peu de promo sera détruit par la grève des scénaristes, qui a provoqué l’annulation du Satudnay Night Light et des autres émissions où les acteurs principaux avaient prévu de venir.

Le film sortira également en Angleterre et en Turquie, et n’aura droit qu’à un DVD en France en 2012, six ans après le massacre cannois. 

LE MEILLEUR

Southland Tales est certainement un gros navet pour certains, mais c’est une pépite inestimable pour beaucoup d’autres. Une odyssée drôle et tragique aux frontières du bon goût et du premier degré, qui se cherche entre Andy Warhol et Philip K. Dick, Britney Spears et le 11 septembre, la Bible et le Saturday Night Live. Il y a du Robert Altman et du Quentin Tarantino dans cette fable de science-fiction qui déborde de tous les côtés jusqu’à former un gigantesque opera pop, qui sublime la vulgarité MTV de la West Coast dans un feu d’artifices.

Certes, Southland Tales a des airs de cirque du chaos avec ses intrigues multiples, ses couloirs de dialogue, ses ruptures de ton et ses nombreux personnages obscurs. Les réponses se trouvent en grande partie dans les trois premiers chapitres, parus sous forme de comics. Mais ce que le film perd en clarté, en précision, il le gagne en ambition et en folie.

La grande force de Southland Tales vient de la foi inébranlable que Richard Kelly a en son univers, son histoire, sa magie. Il y a des films bien plus solides et maîtrisés que lui, mais très peu qui en ont la démesure, la folie, et l’imagination. D’autant que la mise en scène est particulièrement grandiose, avec une direction artistique et musicale particulièrement soignées. C’est un objet fascinant qui résiste à de nombreuses visions, et qui est tellement dense que de nouveaux indices se révèlent constamment.

Le cinéaste a certainement payé son vif désir de ne pas respecter les codes et se jouer des genres, là où Donnie Darko déployait ses ailes dans un cadre bien réglé. Mais en contrepartie, Southland Tales dévoile des Dwayne Johnson, Sarah Michelle Gellar et Seann William Scott fabuleux. The Rock n’a jamais été si tendre et humain ; l’ex-tueuse de vampires s’en donne à coeur joie dans un rôle de pouffe rose bonbon, et le Stifler d’American Pie prouve quel bon acteur il aurait fait si sa carrière avait emprunté de plus beaux chemins.

 

 

LE PIRE

A la première vision, Southland Tales ressemble vraiment à un cirque peuplé de caricatures, de références et d’obscures intrigues. L’immersion n’est pas aisée, et impossible de nier que le film se montre a priori particulièrement désagréable pour le grand public.

Même avec l’introduction explicative de la version remontée après Cannes, le deuxième film de Richard Kelly reste un objet nébuleux voire abscons, qui protège farouchement ses secrets à la première vision. Pour consommer Southland Tales, il faut l’embrasser, l’accepter, et ne pas résister au courant qui emporte, au risque de s’y noyer et n’y trouver aucune bouée.

Dans ce raz-de-marée d’images, d’idées, il y a des faiblesses. Des moments à côté, des interludes superflus, et une somme de détails qui semblent parasiter l’intrigue. Southland Tales aurait pu être sous-titré Dans la peau de Richard Kelly, comme si le film ouvrait une porte dans l’esprit dérangé de ce scénariste et réalisateur inclassable, enfant d’un siècle perturbé et perturbant. 

 

SCENE CULTE (AVEC SPOILERS)

 

 

RETROUVEZ L’INTEGRALITE DES MAL-AIMES DANS NOTRE RAYON NOSTALGIE

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Nomp

J’adore ces articles « nostalgie ». Surtout Southland Tales, grandiose film incompris, profondément mémorable.

T-Bib

La premiere fois que je l’ai vu, je n’ai rien compris. Puis ca m’a intrigué, j’ai adoré le climat du film. Alors j’ai acheté les 3 premiers chapitres en comics, et revu le film maintes et maintes fois. Et franchement, maintenant je le considère comme un chef d’oeuvre. Ce film a un nombre incalculable de niveau de lecture, c’est une pépite !

Hasgarn

Aucun film ne mérite de se faire lapider. On a assez d’exemple récent, pas la peine d’essayer de le légitimer. T’as pas aimé, pas grave, mais fait toi une raison, il y en a pour aimer. Respecte ça.

sylvinception

Non, non et non, rien à sauver.

Pour une fois qu’un film mérite vraiment de se faire défoncer…

Off

@satanlateub
Tips illégal : « Southland Tales Cannes » donne d’intéressants résultats sur les sites populaires de torrent

Satanlateub

Ou et comment peut-on voir la version cannoise ?? Vous dites qu’elle est dispo sur le web mais je trouve pas …

Colonel Stuart

Lorsque j’ai vu ce film à sa sortie DVD… je suis resté dubitatif et surtout perdu! (???)
Il faut absolument revoir ce film et plonger littéralement dedans pour en saisir toutes les subtilités!
Voilà un film totalement incompris!

Lord K

Ecran Large qui parle de mauvaise foi… Ha ha ha!! Auto troll!!

Oru

Ce film est juste génial. Effectivement à voir et revoir pour bien en saisir les différentes lectures, et décortiquer les décors truffés de détails.

maxleresistant

Ce film est un ovni.
Mais je l’ai beaucoup apprécié. Il faudra que je le revoit