Préparez-vous : Westworld est la série incontournable de la rentrée. Produite par J.J. Abrams, menée par Jonathan Nolan, interprétée par des acteurs prestigieux (Evan Rachel Wood, James Marsden, Anthony Hopkins, ou encore Ed Harris), la nouvelle production HBO va sans aucun doute passionner les foules. Et redonner une vie à Mondwest de Michael Crichton, film culte de 1973 et source de la série.
C’était avant qu’il n’écrive Jurassic Park et créé la série Urgences. Avant que son nom soit sur toutes les lèvres des amateurs de science-fiction et techno-thrillers.
En 1973, Michael Crichton avait publié plusieurs livres et rencontré un franc succès avec La Variété Andromède, adapté par Robert Wise en 1971. Lorsqu’il décide de s’essayer au cinéma, la science-fiction n’est pas sa priorité, mais devient vite une nécessité pour convaincre les studios, charmés par son succès en librairie. Il écrit le scénario de Westworld, titre original du film, centré sur un parc d’attractions peuplé de robots. Personne n’est convaincu, à l’exception de la MGM, qui traîne une affreuse réputation pour être capable de rendre infernale la vie des réalisateurs. Mais Crichton n’a pas le choix : il signe.
FAKE WEST
La production sera compliquée. L’auteur devenu réalisateur n’a aucun pouvoir sur le choix des acteurs, bataille face aux demandes de modifications du scénario, se débat avec un budget d’un peu plus d’un million de dollars. Il n’a que trente jours pour tourner ce western de science-fiction qui fait indubitablement écho à Jurassic Park, qu’il publiera en 1990 : dans un futur qui s’appelle alors 1983, Delos propose aux riches un parc d’attraction hors du commun, peuplé de robots à apparence humaine. Celui qui rêve de cowboys, d’orgie romaine ou de combats de chevaliers peut ainsi se payer un ticket pour un des trois mondes artificiels, peuplés d’humanoïdes dociles, au service de leurs fantasmes.
La visite ne comprend pas le dérèglement des humanoïdes, qui commencent à sortir de leurs programmes et trucider les invités. Parmi eux : un cowboy, le Gunslinger, prend en chasse deux amis venus prendre du bon temps à Westworld. Pour sa première visite, Peter Martin va ainsi devoir échapper à ce Terminator, qui va le poursuivre à travers les étendues désertiques et jusque dans les coulisses du parc.
SELF-DESTRUCTION
Mondwest a rencontré un franc succès à sa sortie en 1973, devenant le plus gros film de l’année du studio MGM, avec une dizaine de millions de recettes, sans parler de la sortie en vidéo et de la ressortie en salles. Le premier film de Michael Crichton a récolté des critiques dythirambiques, saluant son propos, son ambition, et le caractère angoissant d’un antagoniste mémorable.
Pourtant, Michael Crichton a mal vécu Mondwest du quasi début de la production jusqu’à la sortie. Dans la salle de montage, il a la sensation que son film est ennuyeux et médiocre, et décide de couper de nombreuses scènes pour dynamiser le récit : un braquage de banque qui n’aurait pas dû être hors champ, le meurtre des invités qui aurait dû se dérouler à l’écran, plus de dialogues, plus de poursuite. Une dizaine de minutes d’images violentes et sanglantes est coupée, pour assurer une sortie mainstream.
Une autre fin était même prévue : Peter devait combattre Gunslinger et l’achever grâce à un chevalet qui aurait déchiré sa carcasse métallique. Crichton aimait l’idée d’une machine moderne mise à mort par une autre, plus archaïque. Mais l’essai se révène trop artificiel pour le réalisateur, qui abandonne également une séquence d’introduction qui aurait davantage montré l’aéroglisseur au-dessus du désert. Visiblement satisfait par le film, la MGM a décidé après le tournage de financer quelques scènes supplémentaires, notamment la publicité qui sert d’introduction au film.
ERROR 1983
Mais le succès de Mondwest a eu un arrière-goût amer pour Michael Crichton, qui racontera : « J’étais profondément fatigué après ce film. J’étais content mais intimidé par la réaction du public… Il riait au mauvais moment. Il y avait une tension extrême à des moments que je n’avais pas prévu. J’ai eu l’impression que la réaction, et peut-être le film, étaient hors de contrôle. Tout le monde se souvient de la scène où Yul Brynner est un robot pris d’une folie meurtrière. Mais il y a aussi une scène où les gens se demandent s’ils devraient ou non fermer le parc. Je pense que le film parlait autant de ça que du reste. »
Plus de 40 ans après, Mondwest se regarde avec un petit sourire. Il faudra attendre une heure avant que l’action démarre véritablement, et accepter que le film souffre d’un sérieux manque de modernité dans sa mise en scène, surtout comparé à L’Exorciste et Serpico sortis la même année. Le chaos tarde à arriver, beaucoup se déroulera hors champ, et le film se concentre sur plusieurs très longues scènes (la fusillade dans le saloon, le combat à l’épée), quitte à avoir un rythme et une narration bizarroïdes.
Contrairement à la série de Jonathan Nolan, qui s’ouvre sur les yeux d’un des robots pour annoncer que l’histoire s’intéressera à leur effrayante humanité, Mondwest ne s’encombre pas d’explications ou d’interrogations à la Philip K. Dick. L’aventure est simple, directe, avec des thématiques traitées frontalement. L’approche est froide, avec l’un des protagonistes tué à 2/3 du film. La vision de l’humanité, qui se vautre dans la luxure et se noie dans ses pires pulsions (y compris le soit-disant héros), est glaciale. Le peu d’empathie ira presque du côté du robot tueur, qui s’abat sur les clients comme une punition nécessaire pour rééquilibrer ce monde déréglé.
MECHANIC PARK
Mais sous ses airs de série B de luxe, de film culte faussement intouchable, Mondwest reste bien un fascinant film de science-fiction. La forme a vieilli, malgré une utilisation des effets spéciaux alors remarquable, mais le fond est d’une modernité étonnante, avec des questionnements devenus depuis des stéréotypes du genre. De Terminator à Jurassic World, qui pousse encore plus loin le concept du parc d’attractions, jusqu’à même American Nightmare, le spectre de Mondwest plane sur de nombreux films.
A défaut de tirer le meilleur de son univers, Michael Crichton génère un certain nombres d’images fabuleuses et mémorables : l’équipe de maintenance chargée de nettoyer le décor la nuit tombée, l’ambiance orgiaque de Pompéi, les coulisses de l’entreprise, et surtout ce fameux Gunslinger, superbement incarné par Yul Brynner. Son regard métallisé, son visage insondable, son silence terrifiant en font une créature inoubliable, que la série Westworld n’a pas osé toucher.
REOUVERTURE
Après Mondwest, Michael Crichton mettra de côté la science-fiction. Il réalisera le thriller Morts suspectes, La Grande Attaque du train d’or, Looker, puis Runaway – L’évadé du futur, avec Tom Selleck et des robots, dix ans plus tard.
Mondwest aura droit à une suite, Les Rescapés du futur (Futureworld), réalisée par Richard T. Heffron en 1976. Entre yakusas et aventure spatiale, mais sans Michael Crichton. Il y aura ensuite la série Beyond Westworld en 1980, composée de cinq épisodes, centrés autour du plan machiavélique d’un ingénieur de Delos de conquérir le monde avec ses robots. Seuls trois épisodes seront diffusés avant l’annulation.
36 ans après avoir été enterrée, Westworld s’apprête ainsi à renaître, flamboyant et spectaculaire. Le très bon pilote, qui sera diffusé sur HBO le 2 octobre et en France sur OCS le 3, vend une série fascinante, parfaitement maîtrisée, avec une approche totalement différente du film de Crichton. La saison a encore beaucoup de choses à prouver après les premiers épisodes, mais Westworld a rouvert ses portes, et la visite semble obligatoire.