Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l’injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.
« Le meilleur film sur la famille de l’année. Juste, n’attendez pas un Disney » (Rolling Stone)
« Malgré ses nuances mordantes, le film est souvent satirique et fréquemment très drôle » (Roger Ebert)
« Le film vaut moins par sa mise en scène assez « fonctionnelle », surtout la première heure, que par sa construction et la qualité d’écriture de ses personnages » (Télérama)
« L’impression qu’Ang Lee ne pense pas grand-chose de tout cela, qu’il filme cette histoire comme il aurait filmé n’importe quelle autre » (Les Inrocks)
LE RÉSUMÉ EXPRESS
Thanksgiving 1973, une petite ville du Connecticut où deux familles rivalisent de morosité : les Hoods et les Carver. Ben Hoods trompe sa femme Elena avec Janey Carver. Sa fille Wendy, 14 ans, s’éveille à la sexualité au contact des fils de Janey, Mikey et Sandy. Son fils Paul, 16 ans, rentre de son école pour les vacances.
Malheureuse, Elena reprend le vélo et comprend que son mari la trompe. Janey, elle, se lasse de Ben. Une vague de froid est annoncée pour la nuit, et une pluie torrentielle promet une tempête gelée.
Les Hoods décident de se rendre comme prévu à une soirée entre voisins, qui s’avère être une soirée échangiste chic. Janey décide de repartir avec un jeune homme, tandis qu’Elena repart avec le mari de Janey pour un petit coup misérable dans la voiture.
De leur côté, les enfants s’occupent. Paul est allé chez Libbets, une camarade de classe dont il est amoureux : il essaie de se débarrasser d’un ami charmeur en lui donnant un somnifère, mais Libbets en prend un aussi. Wendy se déshabille dans un lit avec Sandy. Mikey, lui, s’aventure seul dehors pour s’amuser, mais meurt électrocuté à cause des dégâts de la tempête.
Ben retrouve son cadavre à son père. Il va à la gare chercher Paul, en compagnie d’Elena et Wendy. Il s’effondre en larmes dans la voiture, sous le regard de sa famille.
LES COULISSES
The Ice Storm aurait dû être le premier film réellement occidental d’Ang Lee, mais il réalisera finalement Raison et sentiments avant en 1995. C’est son collaborateur James Schamus, producteur et co-scénariste de ses précédents films, qui lui apporte le livre éponyme de Rick Moody, publié en 1994.
Le cinéaste qui sera doublement oscarisé par la suite (Le Secret de Brokeback Mountain, L’Odyssée de Pi) est touché par deux moments à la fin de l’histoire : lorsque Ben découvre le corps de Mikey dans la glace, et la réunion des Hoods le lendemain matin. C’est avec ces images qu’il a la certitude qu’un film est possible, pour lui. Ang Lee et James Schamus ont en partie adouci le livre, notamment pour les personnages de Ben et Elena.
Présenté en compétition au Festival de Cannes 1997, Ice Storm sera couronné du Prix du meilleur scénario. Sigourney Weaver décrochera un BAFTA du meilleur second rôle féminin, ainsi qu’une nomination aux Golden Globes.
Ang Lee et Sigourney Weaver sur le tournage d’Ice Storm
LE BOX-OFFICE
Échec. The Ice Storm a coûté 18 millions de dollars, mais n’en a amassé que 8 en salles. Sorti en France le 11 mars 1998, il a attiré moins de 60 000 spectateurs.
Depuis, le film a gagné un statut prestigieux, entrant dans la noble collection Criterion, qui offre des éditions de classiques du cinéma, en 2013. Rick Moods, auteur du livre, a dans tous les cas été comblé par l’adaptation.
LE MEILLEUR
Pour beaucoup, Ang Lee rime avec Raison et sentiments, Tigre & Dragon, et Hulk, double Oscar du meilleur réalisateur pour Le Secret de Brokeback Mountain et L’Odyssée de Pi, ou encore expérimentation technologique avec Un jour dans la vie de Billy Lynn et Gemini Man. C’est oublier trop vite ses autres oeuvres, à commencer par The Ice Storm. Avec en toile de fond le trouble politique et social des années 70, l’adaptation du livre de Rick Moodes raconte les vies troublées et troublantes de deux familles a priori chic, emportées malgré elle dans un chaos digne de l’Amérique de Nixon.
Rarement un film aura si bien montré le gouffre entre le monde des enfants et des adultes. Deux mondes qui évoluent en parallèle, deux bulles similaires et pourtant si déconnectées. De la difficulté à communiquer (la conversation sur la masturbation, ou sur les adolescents de certaines tribus qui vont dans la nature) aux secrets qui coexistent en silence, des névroses refoulées, mais héréditaires à la mélancolie ordinaire, The Ice Storm filme l’entrechoque entre ces deux sphères fragiles.
À ce titre, la Wendy incarnée à la perfection par Christina Ricci est certainement l’un des plus beaux et troublants personnages d’enfant adolescent : inquiétante, mystérieuse, brutale, insaisissable, elle est d’une profondeur et d’une étrangeté fascinantes. La manière dont elle prend dans ses bras Sandy et déclenche ses larmes à la fin, est puissante : alors même que ses parents restent impassibles et incapables d’agir, c’est elle qui contre toute attente a un comportement sensé.
Christina Ricci, déjà fantastique
The Ice Storm a mérité son Prix du meilleur scénario à Cannes en 1997. L’écriture est subtile, fine, dessinant par touches les personnages au détour de scènes a priori banales. La caractérisation fonctionne en miroir : Elena et Wendy volent de la même manière sans en avoir conscience, Ben et Mickey fouillent dans l’armoire à pharmacie des autres. Le film n’explique pas ce trouble manifeste qui touche les personnages, capables d’actions et réactions improbables, imprévisibles, absurdes.
La tempête est bien sûr une image du chaos qui habite ces êtres malheureux et contrariés, et la vague de gel cristallise ce mal-être profond qui les étouffe, les empêche d’aller au-delà de leur rôle (la mère, l’amante, le nerd). Une atmosphère presque apocalyptique à l’image des personnages, où même l’innocent Sandy est habité par cette envie de destruction.
L’adultère simple, banal et destructeur
Ce jeu libertin des clés n’est pas un hasard : le sexe est central pour ces personnages quasi absents et mortifères, mais personne n’est capable de le gérer. Avec Wendy bien sûr, qui expérimente de manière agressive et décomplexée, presque par provocation contre son monde, mais également du côté des adultes. Il y a adultère, mais il y a surtout un doute général sur la chair. Janey fuit Ben sans explication, Paul observe une Libbets tombée opportunément sur son entrejambe, Elena s’offre une escapade courte et sinistre sur une banquette… Échappatoire programmée d’une société respectable, le sexe n’est rien de plus qu’une désillusion, déception et énigme de plus.
Ang Lee filme cette sinistre valse avec une vraie délicatesse, aidé par la musique discrète, mais envoûtante de Mychael Danna (qui retrouvera le réalisateur sur Chevauchée avec le diable et L’Odyssée de Pi, qui lui vaudra un Oscar). Sans oublier des acteurs excellents : Kevin Kline, Joan Allen et Sigourney Weaver (dans l’un de ses trop rares rôles très sexués), et une petite armée de futures stars (Tobey Maguire, Christina Ricci, Elijah Wood et Katie Holmes).
LE PIRE
Certains ont reproché à The Ice Storm d’être un film moralisateur, qui punit ses personnages incapables d’être droits. Lecture un peu simpliste, qui relève plus d’une projection de ses propres valeurs que d’un engagement dans ce portrait désenchanté de la sacro-sainte famille. La fin tragique est moins une punition divine, censée ramener ces pauvres humains dans la réalité, qu’un coup du sort inexplicable, mais tristement logique, qui prend place dans un univers déréglé, du plus intime au plus large.
Le parti pris d’Ang Lee est de ne jamais justifier, défendre ou sauver ses personnages, se plaçant comme un observateur intéressé de leurs tristes valses. Il y a l’étonnante volonté de plus filmer l’apparence et le silence, que la réalité derrière les masques ; d’où l’impression de survoler certains personnages, comme celui de Janey, qui demeurent des énigmes. L’approche est discrète, mais forte, presque désagréable parfois, et sert finalement parfaitement le propos. Une distance qui pourra toutefois en rebuter certains, The Ice Storm n’offrant pas de résolution classique, de décryptage clair, préférant refermer l’histoire sur une note noire et désespérée, enrobée dans le même flou qui habite le film depuis le début.
RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES MAL-AIMÉS DANS NOTRE RAYON NOSTALGIE
Sigourney Weaver dans un de ses meilleurs rôles
@madolic
Hello,
Plusieurs raisons à cela.
1) Tout le monde ne redoute pas les spoilers et une part non négligeable des spectateurs s’en moque.
2) Pour bien parler d’une oeuvre, on est obligé d’aborder, en moins en partie, son intrigue et la structure de cette dernière.
3) Le but est bien sûr de faire découvrir, mais aussi d’engendrer du dialogue avec ceux qui l’ont déjà vu, et aussi de rappeler le film au bon souvenir des spectateurs qui l’auraient oublié. Deux catégories de lecteur importantes dans l’audience de ce genre de dossier, et tout à fait insensibles aux spoilers.
On est d’accord que cette section (les mal aimés) a pour but de réhabiliter une oeuvre et de nous donner envie de la regarder ?
Dans ce cas pourquoi spoiler à chaque fois tout le film ?
C’est un peu contre-productif et risque de provoquer l’effet inverse … dommage.
Avec l’une des morts les plus hilarantes du cinéma!
Vu au cinéma à l’époque. Excellent souvenir. Acteurs trois étoiles, sujet intéressant, et execution soignée. Les amis qui étaient avec moi avaient aussi beaucoup apprécié. Merci de dépoussiérer ce film!
Revu le Hulk y a pas longtemps : à part le montage, c’est juste insupportable…
@Satan
Oui, vraiment : « nauséabond » car ce film reste globalement associé à beaucoup de colère/moquerie, dans le fond comme dans la forme, critique comme public.
Mais pour info, on revient dessus la semaine prochaine, justement. Parce qu’il y a aussi du bien dans ce film (même si encore une fois, dans la filmo de Lee, ça reste pour beaucoup comme un accident de parcours)
Le nauséabond Hulk ? Vraiment ?
Grand grand film..
Merci a Criterion pour l’avoir réhabilité, récemment en blu-ray également.