Christopher Nolan n’est pas seulement un des metteurs en scène les plus en vue de son temps : il est (peut-être plus encore que Quentin Tarantino) celui que presse et spectateurs ont désigné comme l’auteur capable de réunir exigence cinématographique et grand public.
Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil aux premiers retours critiques (du moins les retours de ceux que Warner a jugé bon de convier à découvrir le film…) pour réaliser combien les premières réactions sont dithyrambiques, et ce, des deux côtés de l’Atlantique.
On ne compte ainsi plus les médias évoquant un classique instantané, l’un des meilleurs films de guerre produits, ou encore une expérience sensorielle à l’impact inédit. Et si nous attendons autant le film, c’est bien parce que depuis Memento, Christopher Nolan s’est imposé comme un metteur en scène à part, parmi les plus à l’aise avec le système hollywoodien actuel.
« Vous m’arrêtez tout de suite le guignol d’Ecran Large, il va encore raconter des conneries. »
Pour autant, l’appréhender comme un « simple » génie nous paraît être une erreur. Pour auteur passionnant qu’il soit, Nolan jouit d’atouts et de faiblesses qui lui sont propres ; de qualités immenses mais aussi de faiblesses, dont il est suffisamment conscient pour avoir tenté de les dépasser ou les esquiver tout au long de sa filmographie.
Avec la sortie de Dunkerque, l’occasion était trop belle pour se demander quelles sont les mérites et les limites de ce créateur ambitieux.
ce qu’on aime
L’AMOUR DU CONCEPT
Alors que les blockbusters américains optent trop souvent pour le clonage généralisé (remakes, reboots, univers étendus), on constate avec effroi que leur audace se raréfie au point que tous les poids lourds de la production revêtent l’apparence du cinéma de super-héros (rappelons-nous Jurassic World). Une tendance qui se fait au prix de la diversité, de la richesse et de la créativité, comme en témoigne la cuvée 2017, dont absolument aucune superproduction pour le moment n’aura tenté la plus petite prise de risque, exception faite de La Planète des Singes.
Christopher ne mange pas de ce pain-là. S’il fallait trouver une constante dans sa filmographie, ce serait la recherche perpétuelle d’un concept qui justifie la curiosité du public, plutôt que la volonté de s’accoler à une mode préalable. Jamais le réalisateur ne se laisse aller à une narration banale ou fonctionnelle.
Dans Memento, Guy Pearce doit se tatouer les étapes de son enquête pour lutter contre ses pertes de mémoire
Montage amnésique dans Memento, flou sensoriel dans Insomnia, étude du sens de l’illusion et de la magie dans Le Prestige, exploration de rêves imbriqués dans Inception, réflexion sur la temporalité dans Interstellar… Même ses Batman auront été l’occasion de marier avec plus ou moins de bonheur l’univers du super-héros avec, successivement, le polar hard-boiled, le thriller Mannien puis la tragédie sociale.
Difficile de faire la fine bouche devant autant de curiosités, de renouvellement et d’exigence mises au service d’un cinéma simultanément populaire et pointu, que l’on retrouve jusque dans l’ADN de ses personnages pincipaux. En effet, presque tous sont obsédés à l’idée d’écrire ou réécrire leur histoire, seule manière pour eux d’échapper à un destin en forme de piège. Une notion essentielle, qui enfonce encore le clou conceptuel du cinéma de Nolan.
La physique quantique, c’est simple comme un tableau veleda
C’EST DANS LES VIEILLES PÉLOCHES…
N’avez-vous jamais entendu des spectateurs, à la sortie d’un film de Christopher Nolan, s’esbaudir sur la beauté du film, sans forcément pouvoir mettre le doigt sur ce qui les avait impressionnés ? C’est que si le cinéaste n’est pas spécialement à l’aise avec la notion de spectacle, il milite depuis toujours et avec une grande réussite pour la sauvegarde du format pellicule, afin d’en transmettre au public les qualités particulières et le rendu distinctif.
Ce sera à nouveau le cas avec Dunkerque, réalisé en 70mm, qui promet à ceux qui auront la chance de le découvrir dans ce format en salles Imax une expérience visuelle sidérante (avant que vous ne le demandiez, aucune salle française ne répond aux normes Imax en question). C’était cette même exigence qui faisait de ses précédents films de véritables pépites visuelles, et qui ont souvent surpris des spectateurs plus du tout habitués au rendu bien particulier de la pellicule.
Rien de telle que les métodes à l’ancienne
Intensité des couleurs, texture des peaux, saturation, grain, profondeur : ces techniques souvent écartées tant par gain de temps que par obsession du contrôle de la part des studios (et désormais parce que le savoir-faire se perd), assurent au cinéma de Nolan un impact supplémentaire, ainsi qu’une valeur indéniable, alors que les productions de ce calibre essaient désespérément de se dupliquer.
Ce dévouement cinéphile, Nolan l’a également mis au service des autres, avec le documentaire Quay, consacré aux travaux fascinants des frères Quay, génies méconnus du cinéma. Encore une preuve de l’attachement du réalisateur à un cinéma créatif et vivant.
GREFFE DE CERVEAU
Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais le cinéma de Christopher Nolan avance souvent avec une volonté évidente de flatter un peu son spectateur, et de le convaincre qu’il est finalement très malin. Qui ne s’est jamais trouvé bien intelligent en pigeant Memento ? Qui n’a jamais caressé ses neurones dans le sens du poil (ne réfléchissez pas trop longtemps à cette image) en saisissant le concept de rêve dans le rêve cher à Inception ? Enfin, n’oublions pas les plus forcenés, qui se sont ouverts le Bulk dans le Tesseract à l’occasion d’Interstellar.
Bref, plutôt que de donner à ceux qui déballent dix balles pour profiter de ses travaux le sentiment qu’ils sont passablement demeurés (bisous Michael Bay), Christopher préfère les voir sortir de la salle rassérénés quant à leurs capacités cognitives. Et c’est quand même bien sympa, surtout quand on doit se frotter à du gros concept, comme expliqué plus haut.
« Attends, je te fais un dessin. »
Plaisanteries mises à part, ce n’est pas une simple question de positionnement, mais bien d’écriture, beaucoup moins évidente qu’il n’y paraît. Si écrire un scénario sur la physique quantique ne réclame finalement qu’un petit précis de Hubert Reeves et un bon cubi de rosé, donner au public l’illusion d’une compréhension claire réclame en revanche une analyse aussi fine que rigoureuse de sa perception et des enjeux scénaristiques à un instant donné.
CE QU’ON AIME MOINS
CHERCHER LA FEMME
À l’exception d’Hilary Swank dans Insomnia, on a bien du mal à trouver un rôle de femme valable dans toute la filmographie de Christopher Nolan. Et encore, l’actrice oscarisée pour Boys Don’t Cry y jouait un rôle dont on peine encore à distinguer la dimension féminine.
« Attention chérie, tu es dans le plan. »
Le reste des personnages féminins Nolanien tient à la fois du désert psychologique et du néant dramatique. Tour à tour hystériques psychorigides, quasi-figurantes ou antagonistes mono-expressives, les femmes ne sont jamais intéressantes chez le cinéaste, mais elles constituent parfois un obstacle à l’accomplissement du héros masculin. Qu’elle s’évertue à l’empêcher de s’accomplir (Inception), ou qu’elle soit un accessoire que se refilent deux adversaires tel un caillou dans une chaussure (Le Prestige), être une femme est rarement bon signe quand on rejoint l’univers de Christopher Nolan.
À tel point qu’en trois Batman, le metteur en scène ne sera jamais parvenu à portraiturer un seul personnage féminin correctement, en dépit d’un matériau original qui en regorge. Une problématique finalement incarnée dans la gênante scène de décès de Marion Cotillard, qui valut à l’actrice une séance de critiques terribles, quand ce ratage est évidemment à mettre au crédit de celui qui l’a dirigée, et non de la comédienne.
C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles on attend Dunkerque, film de guerre dépourvu de personnages féminins, qui évitera donc à l’auteur de se casser les dents sur la question.
Marion Cotillard, victime préférée de Nolan ?
ÉMOTION PIÈGE A CON
On l’a dit, Christopher Nolan favorise et apprécie les vertiges intellectuels, les plaisirs architecturaux. C’est suffisamment rare et plaisant pour être souligné, mais ça n’interdit nullement d’user également du plus vieux et efficace carburant du cinéma : les émotions.
Et de ce côté-là, c’est peu dire qu’affirmer que le réalisateur est en retrait. Vous n’avez pas pleuré quand Cilian Murphy s’effondre devant son paternel, quand DiCaprio récupère ses mômes, quand le piège de Memento se referme, ou quand Murph explique à son père qui a traversé l’espace-temps qu’elle ne l’accompagnera pas dans ses ultimes heures de vie ? C’est normal.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un défaut, plutôt d’une particularité du cinéma Nolanien : il fait essentiellement reposer ses articulations scénaristiques sur des dialogues, lesquels font souvent office de signatures, mais peuvent étouffer l’impact émotionnel des situations.
Ainsi, on pourra apprécier la dernière réplique adressée par Christian Bale à Gordon dans The Dark Knight Rises pour sa force évocatrice, en cela qu’elle conclut thématiquement la trilogie avec brio, mais regretter qu’elle laisse finalement peu de place à l’émotion tant la révélation par Batman de son identité prend une forme lourdingue et incongrue (comme la mort de Marion Cotillard quelques minutes plus tôt).
Christopher Nolan sur le tournage d’Interstellar
LE PAYS DES VERMEILS
Les Américains l’appellent souvent « sense of wonder » : ce sens du spectacle, de l’émerveillement. Ce n’est pas toujours le fort d’un créateur d’images qui, on l’a dit, se pense plus souvent en architecte qu’en bonimenteur de foire. À nouveau, chacun jugera de l’importance ou non de ce manque dans sa filmographie, mais il demeure un de ses particularismes les plus discutés et questionnés. Non, à quelques exceptions (Cf. le Paris distordu d’Inception), Nolan ne nous fait pas voyager dans des décors à couper le souffle.
Quand Christopher Nolan lâche la bride à son imagination, ça donne une station de ski désaffectée
Par exemple, on aura souvent tancé le refus de la trilogie Batman de se détacher du monde réel, ou la sécheresse d’Inception. Car à bien y regarder, ce blockbuster qui se déroule en grande partie dans les fantasmes de ses héros trouve le moyen de nous trimballer dans des décors tristement banals (dans une rue pluvieuse de Vancouver, un hôtel de luxe, un complexe bétonneux et enneigé). Quand on sait ce que le film doit à Paprika ainsi qu’au Prisonnier (dont il pompe avec malice un épisode majeur), et le peu de cas qu’il fait de la notion d’imagination, il y a de quoi toussoter.
PAN DANS TA GUEULE
Nombreux sont les réalisateurs à ne pas aimer ou savoir filmer l’action. Il ne viendrait à l’esprit de personne de reprocher à Malick, Wenders, Kurosawa et tant d’autres de ne pas nous abreuver de scènes d’action ultra-intenses. Nul besoin de s’appeler John McTiernan pour faire de grandes propositions de cinéma.
Gros duel de métacarpes PAF PAF !
Le souci, c’est que Christopher Nolan a beau être incapable de filmer une scène d’action correcte, son cinéma repose en partie sur ce type de mécanismes. Nolan ne s’y est d’ailleurs pas toujours cassé les dents et on aurait tort d’oublier que Memento, Insomnia et Le Prestige parvenaient brillamment à esquiver ces questions.
Sauf que dans Inception, film de braquage déguisé en rêverie, Interstellar ou les aventures de Batman, il ne peut se planquer et doit en raison de son cahier des charges confronter ses personnages à des séquences où leurs actions physiques sont le moteur du récit, et le cœur du spectacle qui nous est proposé. Le résultat jusqu’à présent fut un échec cinglant, parfois risible. Un constat amer, à minorer un peu dans le cas d’odyssée spatiale de Matthew McConaughey, Nolan parvenant à retrouver un peu de superbe quand il se repose directement sur son montage et la musique de Hans Zimmer, sous influence de Philip Glass.
Et pour le coup, on verrait dans l’approche déstructurée de Dunkerque, qui mêlera trois lieux, personnages et points de vue durant une même bataille, une possible tentative de son auteur de trouver un terrain de jeu qui ne court-circuite pas ses ambitions, mais lui permette de les exprimer.
La véritable bataille du film ?
Bien loin d’être le super-auteur vanté ici et là, Christopher Nolan demeure un cinéaste aux atouts aussi indiscutables que ses faiblesses sont criantes. Et il suffit d’appréhender son œuvre dans son ensemble pour réaliser que loin d’ignorer cet état de fait, l’artiste dialogue sans cesse avec ses limites, renouvelant ainsi ses propositions et se poussant lui-même dans de nouveaux retranchements.
Une exigence qui fait déjà de Dunkerque l’une des propositions les plus attendues de 2017.
Ce Simon est juste un idiot. Mentionner une qualité pour pointer mille défauts! Jalousie quand tu nous tiens…
J’adhère pas à tous vos avis mais cette critique me semble très pertinente !
J’apprécie les œuvres de Nolan, mais Memento ou Le Prestige m’ont bien plus régalée qu’Inception ou Interstellar (que j’apprécie néanmoins!).
Effectivement les représentations féminines de Nolan sont rarement exploitées « positivement ». Soit reléguées en 2nd voir à l’arrière plan de l’intrigue (Le Prestige, Interstellar, la saga Batman) soit actrices du malheur des protagonistes principaux (toujours Le Prestige, Memento avec *SPOILER* une Carrie Anne Moss bieeeeen vilaine *SPOILER* ou Inception).
Bon, les scènes d’actions ne me gênent pas plus que ça, je les jugent réussies bien qu’un poil chirurgicales (surtout Inception), et j’aime bien l’univers contemporain choisi mais ça c’est très subjectif, je comprends votre avis là dessus. Quant à la longueur, oui c’est long un Nolan souvent !
Ce que je reproche vraiment à certains fans absolus (pourtant j’en suis plus ou moins une), c’est d’accorder à C.N une originalité indiscutable à ces scénarios. Pourtant comme vous l’avez justement écrit, Inception est par exemple un pur pompage de Prisonner et du fantastique Paprika entre autres. En soit pas de soucis, il admet largement s’inspirer d’autres œuvres pour l’écriture de ses films, quoi de plus normal ? Pourtant une partie de sa fan-base semble parfois l’oublier.
Bref, je comprends les détracteurs de Nolan, et bien que je l’admire énormément , c’est important de souligner aussi ses faiblesses. Là c’est fait avec objectivité et nuance, c’est hélas rare, donc bravo pour ce billet. Et espoir ! De voir son cinéma se renouveler/évoluer dans le bon sens…
Aucune place aux femmes ??
Catwoman, cotillard, La fille de Cooper dans Interstellar ayant comme role 3 ages differents et clé du film, les femmes des magiciens du prestige, elles aussi clé de la trame scénaristique….
Je ne suis pas vraiment d’accord avec l’article. Nolan a quand même un sens certain de l’image, du cadre. Je viens de revoir Interstellar, et franchement, c’est efficace et on sent bien qu’il y a la volonté de ne pas filmer comme tout le monde (cf les scènes dans l’espace). C’est tout sauf involontaire. Pour Inception ou les Batman, je ne vois pas où est le pb : le film contient plus scènes d’action, elles sont lisibles et parfois inattendues. C’est bien justement de sortir de sa zone de confort, de voir des plans ou des montages qui surprennent ou qui frustrent. C’est aussi une question de style du réal, tout comme Spielberg a un style hyper identifiable.
Bref, pour moi, Nolan est un auteur ambitieux qui a le mérite de créer sa propre filmo à partir de rien (sauf pour Batman, mais là, il a pratiquement réinventé le genre et créer une référence instantanée). Niveau scénario, il ose, il tente, même si parfois tout n’est pas tjrs très clair, mais ça nous change de 98% des gros films hollywoodiens que sortent ses pairs.
Il a quand même réussi à me faire chialer dans Interstellar quand la gamine court après la voiture de son père sans pouvoir lui dire adieu (bon, porté par la musique aussi). C’est mon côté papa qui a dû jouer aussi.
Honnetement mise a part The Dark Knight : Le Chevalier noir qui es fabuleux je trouve ses films et sa carrière vide enfin pas a mon gout après chacun les siens et son avis
Les films de Nolan sont pompeux et ennuyants, c’est dommage car il a un certain talent
Nolan ne sait pas cadrer,réaliser et monter les scènes de combats.
Voilà son vrai point faible vu qu’il fait des films de genre.
@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Simon Riaux, le véritable problème avec Nolan, c’est le fanboyisme aveugle, on retrouve la meme chose dans le jeu vidéo avec Witcher 3 de CDPR. Les gens ont vraiment des problèmes quand Simon Riaux pointe du doigt les vrais défauts de Nolan en tant que scénariste d’une histoire, mon dieu ce qu’il faut pas lire, alors que c’est un reproche que l’on peut très clairement faire à Christophe Nolan le manque d’émotion et de liant qui font sens lors de ses récits.
ça ne veut pas dire qu’il est nul, ça veut dire que regarder un film de Nolan ça peut devenir chiant et longuet sur 2h40.
On n’a jamais dit que tous ses films étaient nuls. Loin de là.
Et certainement pas qu’ils étaient sans imagination. Juste qu’il s’est lancé depuis 4 films dans une veine spectaculaire, qu’il nous paraît très mal maîtriser.
Rappelons que l’originalité, ça n’existe pas. C’est un mythe. Personne n’a inventé de structure narrative nouvelle depuis un peu plus de 4 000 ans. Titanic et Avatar n’ont pas de problème d’originalité, ce sont au contraire des films qui revendiquent leur classicisme. Et à ce titre leur scénario sont d’une finesse d’écriture, d’une précision en matière de construction qui mérite l’admiration.
Et pour faire dans la comparaison absurde, du coup, Inception, c’est quoi ? Ocean’s Eleven dans un hôtel de luxe et une station de ski ?