La mauvaise stratégie marketing derrière Les Cinq Légendes n’a pas qu’entraîné le flop du film. Elle a bien failli causer la chute de tout Dreamworks.
Il est de ces actes manqués qui continuent de piquer gentiment plus d’une décennie après leur échec initial. Admettons par exemple — là, comme ça, au hasard — que le studio derrière l’une des plus belles œuvres d’animation occidentale (Dragons, vous l’aviez) regroupe sur une seule et même fiche technique Roger Deakins, Guillermo Del Toro, Alexandre Desplat, et Peter Ramsey. Ça fait déjà pas mal d’Oscars. Imaginons maintenant que Jude Law, Hugh Jackman, Chris Pine, et Alec Baldwin se prêtent eux aussi au jeu, et acceptent d’assurer le doublage dudit projet. En toute logique, il y a là de quoi tenir quelque chose de relativement solide, non ?
Eh bien… non, effectivement. Les Cinq Légendes a beau avoir profité de tout le gratin hollywoodien, le film s’est tellement vautré au box-office que Dreamworks a bien manqué de mettre la clef sous la porte.
Les Cinq Faux Pas
Alors qui, quoi, comment, pourquoi ? Aussi affreux le constat soit-il, il semblerait que Les Cinq Légendes n’a de toute façon jamais franchement eu sa chance. Si depuis, Peter Ramsey s’en est allé rafler un Oscar pour avoir co-dirigé la petite claque Spider-Man : New Generation, l’échec de son premier crédit à la réalisation semble toujours le hanter. C’est que de son propre aveu pour les colonnes de Vulture en novembre 2019, la campagne censée promouvoir le film a tout simplement échouer à en capter l’essence et le vendre pour ce qu’il était réellement :
« N’importe qui pourra vous dire que le marketing du film n’était absolument pas à l’image de ce qui était réellement proposé à l’écran, et ça nous a tous énormément frustrés. Les gens qui ont fini par voir le film bien après sa sortie — que ce soit en DVD ou en tombant dessus à la télévision — finissaient systématiquement par me dire : c’est fou, mais je ne m’attendais pas du tout à ça ».
À la décharge du pôle marketing responsable de la crise, Les Cinq Légendes n’est pas exactement l’objet le plus évident à synthétiser, et encore moins à catégoriser. Non content de profiter d’une mythologie ultra riche alliant légendes occidentales, mythes judéo-chrétiens et pop culture, le scénario développé à quatre mains par William Joyce et David Lindsay-Abaire (lauréat d’un Pulitzer pour sa pièce de théâtre Rabbit Hole, tout de même) joue également sur de nombreux tableaux thématiques, narratifs, ou encore visuels.
Alors comment vendre la chose ? Probablement pas comme un Avengers de Pâques, et encore moins comme la petite crise existentielle d’un protagoniste au folklore méconnu du grand public (bien que ce soit précisément de quoi il était question, mais peu importe).
Non, quitte à ce qu’Alec Baldwin singe l’accent russe pendant 97 minutes, autant capitaliser sur son père Noël vaguement rock’n’roll. Et oui, certes, certes. Sur le papier, c’est un peu plus vendeur que : « bon, c’est l’histoire d’un petit garçon qui tombe dans un lac, et qui meurt », mais tout de même… un peu de retenue au département de la publicité mensongère n’aurait sûrement pas fait de mal.
« This is the film of a killer, Bella »
S’il est de notoriété publique que rien ne vaut une mauvaise stratégie médiatique pour enterrer prématurément un film, il semblerait toutefois que Dreamworks ait tout simplement loupé le mémo — tant et si bien qu’à sa sortie en salles fin novembre 2012, non seulement le film a été accueilli dans l’indifférence la plus totale, mais il a surtout été absolument anéanti par la concurrence la plus déloyale possible.
Non seulement Mickey s’était déjà assuré de mettre la patte sur le public jeunesse avec Les Mondes de Ralph — pas la plus vaillante des productions Disney, on en conviendra, mais il y a belle lurette que ça n’a pas empêché la souris de s’en mettre plein les poches pour autant —, mais le box-office a surtout été pris d’assaut par un véritable choc des titans auquel rien ni personne n’aurait pu réchapper : Skyfall contre Twilight 5.
« Dreamworks n’était pas à la page du tout », a d’ailleurs commenté Ramsey, toujours aux colonnes de Vulture. Puis de préciser :
« Ils ne savaient pas comment faire la promotion d’un film d’animation sur le marché global. Ils se sont simplement dit : Oh, nous sommes les seuls à proposer une sortie dédiée à un public jeunesse, ça ira bien. Ils n’ont pas réalisé que nous n’avions jamais été en compétition avec d’autres films comme le nôtre, mais des films d’action pour ados. On s’est retrouvé face à Skyfall et Twilight 5 ; on s’est jeté droit dans la gueule du loup ».
Comme neige au soleil
Une métaphore adéquate de la part du cinéaste, car après deux mois d’exploitation, le petit mort-vivant n’est parvenu qu’à générer 306,9 millions de dollars de recettes. Techniquement parlant, il ne s’agit pas là d’une trop mauvaise somme, mais comme tout dans la vie, il s’agit de replacer la chose dans son contexte ; et au vu des coûts qu’ont nécessité la production, mais surtout, la distribution du film, autant dire que Les Cinq Légendes a fait chou blanc.
Résultat des courses : un déficit record de 87 millions de dollars pour Jack Frost, mais surtout, 36,4 millions de dollars de perte de chiffre d’affaires pour Dreamworks sur toute l’année 2012. Pas besoin d’avoir fait math sup’ pour savoir que dans ces cas là, la courbe ne progresse plus vraiment dans le bon sens.
De toute évidence, les pertes stratosphériques des majors hollywoodiens ne surprennent plus personne (c’est à peine si elles ne sont pas devenues monnaie courante pour certains… comme la Warner, par exemple). Mais en 2012 et pour un studio d’échelle plus modeste, l’échec n’est pas seulement colossal, il menace toute l’écurie de fermer ses portes. Entre alors en scène Jeffrey Katzenberg, PDG et co-fondateur de la boîte, à qui revient désormais le mauvais rôle : celui de redresser tout ça. Et ça n’a pas coupé.
Ni une ni deux, le bougre annonce la suppression immédiate de 17% des effectifs de l’entreprise de Glendale en Californie (soit, 350 personnes), suspend puis interrompt définitivement la production d’un autre long-métrage pourtant bien dans les tuyaux (Me and My Shadow, si ce genre de détails intéresse quelqu’un), et bien entendu, repense promptement toute la stratégie économique de la boîte en vue de minimiser les coûts sur le long terme.
Un retournement de situation pour le moins ironique, étant donné que Les Cinq Légendes était justement censé assurer l’avenir du studio. Car oui, comme toute idée impulsée dans le giron doux et chaud de nos sociétés capitalistes, le film a été conçu comme le coup d’envoi d’une saga cinématographique, mais aussi littéraire. Autant dire que par la suite, tout projet subséquemment a été tué dans l’œuf bien vite. Mais peut-être pas définitivement.
Avec le temps le film a réussi à redorer son blason, et s’est même forgé une solide base de fans invétérés… tant et si bien que huit ans après les faits, Peter Ramsey a confié aux colonnes de ComicBook être toujours très intéressé à l’idée d’en diriger une suite. Reste à voir désormais si Dreamworks y donnera suite… ou non.