Parmi les films de casse, Les Pirates du métro est ce qu’on appelle un gros coup, érigé au rang de référence du polar urbain. Un certain Quentin Tarantino s’en est d’ailleurs inspiré d’une manière on ne peut plus explicite…
Mister Blonde, Mister Blue, Mister Orange et l’inénarrable Mister Pink… Vous n’êtes pas à une partie de Cluedo déviante, mais devant Reservoir dogs, le film qui a révélé Quentin Tarantino. Pas de chandelier dans la cuisine donc : c’est sans grande originalité à coups d’armes à feu qu’on s’explique, entre les murs désaffectés d’un entrepôt.
Mais cette manière d’attribuer une couleur à chaque braqueur n’est pas une première. Et si les histoires de casse pullulent sur les écrans (avec succès, comme l’a encore rappelé La Casa de papel), c’est du côté des années 70 qu’il faut regarder pour trouver le père spirituel de ce coup d’éclat tarantinesque avec le thriller Les Pirates du métro.

Le maître qui aurait pu (déjà) nous traumatiser
Quatre hommes investissent la rame Pelham 1323 du métro new-yorkais, prennent ses passagers en otage et exigent une rançon d’un million de dollars. Il a fallu presque la moitié de cette somme pour sécuriser les droits du roman Les Pirates du métro, l’œuvre phare de John Godey (de son vrai nom Morton Freedgood) publiée en 1973.
En France, il paraît sous le titre Arrêt prolongé sur Park avenue puis Main mise sur le métro avant que le succès du film ne l’incite au mimétisme. C’est la Palomar Pictures, qui produit cette année-là Le Limier avec Michael Caine, qui a perçu en premier le potentiel du texte. Pour le transposer à l’écran, elle envisage un certain Steven Spielberg.

À l’époque, celui-ci est encore loin du réalisateur le plus rentable de l’histoire du cinéma que l’on connaît. Après quelques courts-métrages, il s’est fait remarquer par l’efficacité folle de son fameux téléfilm Duel. Alors, après le camion diabolique, le métro infernal ?
Mais le bonhomme commence à être courtisé : peu de temps auparavant, il a également été pressenti pour prendre en main Les Bootleggers avec Burt Reynolds. Spielberg a privilégié Sugarland Express, perçu comme plus à même de le faire reconnaître comme auteur, mais Les Pirates du métro ne manque pas de potentiel.

Car Spielberg avait la matière pour marquer l’inconscient public de la même manière qu’il terrorisera les amateurs de baignade. Les détournements d’avion étaient à leur pic et le visage de New York proche de celui, peu reluisant, capturé quelques années plus tard dans Taxi Driver. Le métro s’est de surcroît fait une place dans l’imaginaire cinématographique, plusieurs polars de l’époque lui consacrant une scène d’action emblématique : French Connection, Peur sur la ville….
Preuve de la sensibilité du sujet, le département des transports new-yorkais refuse d’abord de mettre son matériel à disposition, jugeant le roman un peu trop précis sur la manière dont les pirates pourraient parvenir à leurs fins. Il faut en passer par plusieurs semaines de négociations et un scénario rendu moins plausible pour les faire plier.

La production souscrit une assurance prohibitive au cas où le film inspirerait de véritables malandrins. Mais l’inquiétude demeure. Le titre original, The Taking of Pelham One Two Three, désigne explicitement la provenance et l’horaire de la rame visée. À compter de ce jour, aucune rame ne sera plus programmée au départ de Pelham Bay Park Station à 1h23 précisément de peur de devenir la cible de détraqués cinéphiles. Bien qu’officiellement abandonnée depuis 1991, cette doctrine reste officieusement de mise.
Mais Spielberg est rattaché à Universal : le studio a bien perçu son potentiel et le pousse plutôt vers un projet maison : Les Dents de la mer, également avec Robert Shaw ! De manière amusante, tant Les Bootleggers que Les Pirates du métro seront récupérés par le même réalisateur : un certain Joseph Sargent, qui achèvera ironiquement sa carrière en 1987 avec… Les Dents de la mer 4.

L’outsider qui réussit un braquage d’exception
Sauf que le nom de Joseph Sargent ne fait pas spécialement rêver sur le papier. On peut d’ailleurs suspecter que ce choix un peu par défaut soit aussi motivé par un aspect financier : il ne coûte pas très cher, en dépit des Emmy Awards qu’il a glanés et de sa participation à de nombreuses séries prestigieuses : Le Fugitif, Les Envahisseurs, Star Trek…
Contrairement à ses collègues qui abandonnent le petit écran sitôt les portes du grand entrouvertes, lui continuera à travailler alternativement pour l’un et pour l’autre. En dépit d’états de service très honorables et d’un professionnalisme reconnu, cette carrière à cheval entre cinéma et télévision le maintient sous les radars. Pourtant, son thriller SF Le Cerveau d’acier paru en 1970 a prouvé sa capacité à ménager la tension.

Et ça tombe bien : celle-ci doit être au cœur des Pirates du métro. L’efficacité en est le maître mot : le film débute par l’entrée des braqueurs dans la rame et se déploie en quasi temps réel, sans digressions ni flash-back explicatifs lourdingues.
Sargent gère les prises de vue de novembre 1973 à avril 1974 d’une main de maître, en dépit de conditions pas évidentes. Il pose ses caméras dans la Court Street Station du métro new-yorkais, fermée au public depuis 1946. Mais malgré les tables de ping-pong installées sur le quai, tourner en souterrain n’est pas sans défis : il faut cohabiter avec les rats et les dégagements de poussière suspects. Certains acteurs développent des rhumes atypiques, et le passage d’autres lignes à proximité gâche régulièrement les prises de son, imposant un redoublage.

Mais il ne saurait y avoir de braquage parfait sans une équipe au diapason. À l’écriture, Peter Stone, récompensé aux Oscars pour Grand méchant loup appelle, distribue les punchlines. D’Owen Roizman à la photo (L’Exorciste) à Gerald Greenerg au montage (qui officiera sur Apocalypse Now), les techniciens sont tout aussi affûtés.
Ensemble, ils fignolent un polar urbain aux petits oignons. À sa sortie, Les Pirates du métro combine succès au box-office (particulièrement dans les villes équipées d’un réseau métropolitain, de l’aveu même de son producteur) et reconnaissance critique.

L’élève haut en couleur
Parmi les signes distinctifs de Les Pirates du métro, il y a donc le fait que chaque braqueur est désigné par une couleur. Cette spécificité ne provient pas du roman : c’est une idée du scénariste Peter Stone. Quentin Tarantino lui adresse un clin d’œil appuyé dans Reservoir dogs, où le procédé alimente également la paranoïa des personnages puisque le pseudonyme sert aussi à les protéger les uns des autres.
Mais les deux œuvres partagent davantage que cet hommage. Elles sont donc concentrées autour d’une bande de braqueurs, l’une pendant leur larcin, l’autre juste après. Dans les deux cas, l’intrigue se déploie en quasi huis clos. Ni la cellule de crise de la première ni les flash-back de la seconde n’en dissipent l’aspect claustrophobe.

Au-delà de leurs pseudonymes, les personnages brillent par leur écriture. Même en ayant évacué l’exploration de leur passé, le film de Sargent les caractérise par quelques détails bien sentis, otages compris (le rhume, la flasque qui tombe du sac…). Les bandits ne manquent pas de charme : en dépit de leurs accès de violence (il y a toujours un maniaque de la gâchette), celle-ci est tantôt escamotée, tantôt sublimée de manière à ne pas totalement leur aliéner notre sympathie.
Si bien que lorsqu’ils commettent l’irréparable, nous sommes déjà engagés à leurs côtés. Les touches d’humour présentes dans les deux œuvres (le fameux dialogue tarantinesque sur le pourboire, la visite des représentants japonais) n’atténuent en rien la gravité des événements.

L’attention portée à la musique, enfin, leur est commune. Tous deux imposent une forme de dissonance : pendant que Michael Madsen torture du flic en fredonnant Stuck in the middle with you, David Shire, en charge de la bande originale de Les Pirates du métro, recourt à la technique du dodécaphonisme. En s’émancipant de la tonalité, il rend le thème principal jazz-funk tout à fait mémorable.
Alors que le temps n’a en rien élimé ses qualités remarquables, l’œuvre de Sargent a connu plusieurs remakes (un téléfilm en 1998, une proposition de Tony Scott en 2009) dont aucun n’égale le raffinement discret de l’original. Outre Tarantino, la série Die Hard, entre autres, lui doit quelques dividendes spirituels. En somme, Les Pirates du métro a braqué l’imaginaire des films de casse.
Un excellent policier avec les sublimes Walter Mattau et Robert Shaw.
Pour les anecdotes Joseph Sargent a réalisé The Bootleggers aussi d’abord préssenti à la réalisation par un certain Spielberg. Assez dingue les connections entre Sargent et Spielberg puisque Robert Shaw participe à ce Pelham 123 et ensuite sur Jaws et quant à Jaws 4 (la revaaaanche), le film sera dirigé par Sargent. La boucle est bouclé.
Reste pour ce film de cambriolage, des dialogues bien fleuris (racisme quand tu nous tiens), une réalisation carré, une musique de David Shire à tomber (cette ligne de basse du thème principal) et un plan final très chouette du sieur Mattau.
Moins fan cependant de la version de Tony Scott qui pourtant a ses qualités.
Merci EL pour l’article!
Film qui compte parmi mes belles découvertes de 2024. Ravie de (re)lire cet article, belle mise en valeur !