L’immense Donald Sutherland s’est éteint ce 20 juin 2024. Retour sur 10 rôles particulièrement marquants dans une filmographie monumentale.
Il est passé par tous les genres. Il a joué pour d’immenses cinéastes, pour des jeunes auteurs, pour des superproductions vertigineuses et même pour quelques séries B. Donald Sutherland a définitivement marqué son temps, son art et les cinéphiles du monde entier. Et la nouvelle de sa mort en a ému plus d’un.
Il est difficile de lui rendre un hommage à la hauteur, quasi impossible de ne retenir que 10 films dans une œuvre aussi dense que versatile. A sa modeste échelle, Ecran Large tente le coup, après avoir longtemps débattu de sa sélection, sachant bien qu’elle comportera forcément quelques oublis. Voici donc 10 films marquants de Sutherland, choisis en fonction de la qualité de sa prestation, mais aussi de leur importance dans sa carrière, par ordre chronologique.
Les Douze Salopards
- Sortie : 1967
- Durée : 2h23
Acteur de théâtre à Londres, Donald Sutherland fait ses débuts au cours des années 1960, principalement à la télévision anglaise. Il enchaine téléfilms, séries B d’horreur et séries tout court (il apparait dans Chapeau melon et bottes de cuir), jusqu’à ce qu’il décroche un rôle dans une superproduction américaine destinée à braquer le box-office : Les Douze salopards. Il devient l’un des salopards du titre, l’ahuri Vernon L. Pinkley.
Comme il le révélera au Guardian en 2005, il n’a le droit à l’origine qu’à une seule réplique. Mais lorsque son collègue Clint Walker refuse de jouer la scène où il imite grossièrement un général de l’armée, le réalisateur Robert Aldrich le regarde et l’apostrophe : « Toi, avec les grandes oreilles, fais-le ! ». La scène, très drôle, va prouver au monde entier son humour (qu’il gardera dans ses interviews, croustillantes), lequel laissera place à une palette impressionnante de rôles différents, comme nul autre que le Christ dans le terrible Johnny s’en va-t-en guerre.
Certes, il n’est pas parmi les têtes d’affiche de ce divertissement plus antimilitariste qu’escompté, dont le concept absolument génial (une bande de prisonniers impétueux lourdement condamnés participent à un commando suicide en échange d’une remise de peine) sera beaucoup repris jusqu’à aujourd’hui. Mais dès qu’il apparait, il bouffe l’écran, ce qui n’est pas peu dire quand on sait qu’il s’agit de son premier film hollywoodien et qu’il cotoie Lee Marvin, Charles Bronson et John Cassavetes. Il n’y avait que lui pour faire démarrer une carrière avec pareille concurrence.
M.A.S.H.
- Sortie : 1970
- Durée : 1h56
Si Robert Aldrich a très largement poussé Donald Sutherland sur le devant de la scène avec Les 12 Salopards, c’est finalement avec M.A.S.H. que le jeune comédien (tout juste 25 ans à l’époque) s’est fait un vrai petit nom auprès du grand public. Dans la peau du Dr Ben « Hawkeye » Pierce, un chirurgien irrévérencieux occupant ses journées à recoudre les blessures des blessés de la guerre de Corée tout en essayant de ne pas perdre la boule.
Et en effet, pour éviter de sombrer dans l’horreur absolue de ce conflit, son Hawkeye enchaine les blagues dans M.A.S.H. (une virée en voitures, un golf, une histoire d’olives absentes dans un martini…). Cela dit, plus qu’une simple comédie loufoque, M.A.S.H. est en vérité une satire acérée de la guerre de Corée. Au milieu des farces et sarcasmes, Robert Altman capture aussi, par exemple, la violence psychologique infligée par Hawkeye et son partenaire de jeu, le chirurgien « Trapper John » (Elliot Gould), envers la pauvre infirmière incarnée par Sally Kelerman.
Sur le tournage, le duo de comédiens était d’ailleurs tellement investi que Robert Altman devait régulièrement les recadrer. Et si Gould s’est remis dans le droit chemin au fil du temps, Donald Sutherland, peut-être déjà trop investi dans Hawkeye, n’a jamais retrouvé les faveurs du cinéaste. Difficile de lui en vouloir malgré tout, sa gouaille et son énergie ayant insufflé une spontanéité et un petit chaos de tous les instants à M.A.S.H. et ce, pour l’éternité.
KLUTE
- Sortie : 1971
- Durée : 1h54
C’est Jane Fonda qui a raflé l’Oscar de la meilleure actrice, mais c’est Donald Sutherland qui incarne le fameux Klute. Dans la peau d’un détective privé chargé d’enquêter sur la disparition d’un homme d’affaire, John Klute s’intéresse de près à une prostituée désabusée et actrice en herbe, dont il tombe inévitablement amoureux.
C’était seulement le deuxième film d’Alan J. Pakula, et c’était déjà le premier morceau majeur de sa filmographie, ouvrant ce qui deviendra sa trilogie de la parano avec A cause d’un assassinat et Les Hommes du président quelques années après. Il filme New York comme un labyrinthe de lignes, de reflets et d’ombres, sans avoir peur des ruptures de rythme et des effets de montage alors considérés comme extrêmement modernes.
Donald Sutherland a lui-même été perdu dans ce dédale, comme il l’expliquait en 1979 au New York Times :
M.A.S.H. et Klute sont des films où les réalisateurs avaient une idée spécifique que je ne comprenais pas vraiment, et que je n’avais pas particulièrement envie de comprendre. Tout ce qui m’intéressait, c’était ce que le personnage était pour moi.
Tandis que Klute (le personnage et le film) se dédouble, entre la parano symptomatique des années 70 et la romance quasi condamnée par avance, Donald Sutherland donne pourtant le tempo. Lui, et la fantastique musique de Michael Small.
Ne vous retournez pas
- Sortie : 1973
- Durée : 1h50
Le troisième long-métrage réalisé par Nicolas Roeg, inspiré d’une nouvelle de Daphne du Maurier, est très largement considéré comme un chef-d’œuvre, voire comme l‘un des joyaux absolus du cinéma britannique. S’il transcende complètement les codes du giallo et du film de fantôme, Ne vous retournez pas a lui-même inspiré tout un pan du cinéma fantastique. C’est aussi un film qui repose intégralement sur les affects d’un couple, qui a perdu un enfant et va croire le retrouver dans les rues de Venise. Il va sans dire qu’un tel sujet exigeait deux comédiens impeccables. C’est le moins qu’on puisse dire de Julie Christie et Donald Sutherland.
Tour à tour amoureux (la scène de sexe, qui fit scandale à l’époque, est d’une élégance rare) et victime, ce dernier démontre une sensibilité impressionnante captée avec une précision miraculeuse par la caméra de Roeg. D’autant que le cinéaste aimait au tournage reconfigurer sa pensée au fil de ses envies, s’inspirant parfois directement des réactions de ses acteurs.
La performance est d’autant plus impressionnante qu’ainsi, ils n’avaient pas grand-chose sur quoi s’appuyer. Le deuil dont ils font l’expérience après la légendaire séquence d’introduction n’est pas des plus conventionnels, tandis qu’ils jouent à se perdre dans la ville sans pour autant disparaître eux-mêmes, en particulier John, le personnage de Sutherland, qui refuse d’accepter l’ampleur du désastre personnel. Une partition mystique dans un film qui l’est devenu également.
Le Casanova de Fellini
- Sortie : 1976
- Durée : 2h34
Le Casanova de Fellini aurait pu être incarné par Robert Redford, Jack Nicholson ou Marcello Mastroianni, comme l’envisageait le premier producteur, Dino De Laurentiis. Mais le film s’est finalement fait avec Donald Sutherland.
L’acteur savait dans quoi il mettait les pieds avec Fellini, qui lui a demandé de se raser les sourcils et plusieurs centimètres de cheveux, en plus de porter des prothèses pour créer le personnage. Dans Le Casanova de Fellini, il traverse les époques, les villes et les orgies dans un tourbillon sans fin, où il se métamorphose quasiment scène après scène.
A l’époque, il sortait d’un autre film avec un grand réalisateur italien : 1900, de Bernardo Bertolucci. Il racontait à The New York Times en 1979 à quel point l’expérience avait été grandiose :
« Fellini, on sait qu’on ne peut pas lui faire confiance. Quand on travaille avec lui, on fait juste ce qu’il demande. Donc c’est la même chose que lui faire confiance. Fellini est formidable, et Bertolucci est formidable. C’est un privilège artistique de travailler avec des réalisateurs comme ça. Et le plaisir de travailler, il n’y a que ça qui compte.«
Fellini avait de son côté justifié le choix de Donald Sutherland, dans Films and Filming en 1976 :
« J’ai trouvé que le visage de Donaldino était parfaitement adapté à l’image d’un italien qui est immature, juvénile, une sorte de Pinocchio-dans-l’utérus, ce qui était l’image que j’avais du vrai Casanova, que je considère comme un idiot. Seul un grand acteur professionnel comme Sutherland pouvait incarner des choses si négatives. Et en plus, il a des yeux bleu fabuleux.«
L’invasion des profanateurs
- Sortie : 1978
- Durée : 1h55
Ce n’est pas l’unique adaptation du livre culte de Jack Finney, mais c’est certainement la seule qui fait l’unanimité. Après L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) par Don Siegel et avant Body Snatchers (1993) par Abel Ferrara, L’Invasion des profanateurs (1978) réalisé par Philip Kaufman a touché des sommets d’horreur viscérale et de science-fiction paranoïaque. A partir d’une diabolique idée d’invasion alien, qui passe par le remplacement de chaque individu, le scénariste W.D. Richter a construit le cauchemar ultime, d’une noirceur abyssale.
Au centre de l’enfer, Donald Sutherland, parfait dans la peau de l’homme normal qui dépasse sa condition, apparaît comme le dernier rempart contre la fin. C’est évidemment une illusion, puisque ce faux héros est réduit en miettes jusqu’à être anéanti. Et c’est justement parce que ce personnage se bat jusqu’au bout avec la force du désespoir que l’acteur a de multiples occasions de porter toute la douleur de ce cauchemar sans fin.
Il y a notamment cette scène terrifiante où il pousse un hurlement tragique quand Elizabeth, la femme qu’il aime, s’effrite entre ses mains. Et bien sûr, il y a la dernière scène du film, à classer parmi les fins les plus tétanisantes et terrifiantes de l’histoire du cinéma. Personne n’a pu oublier ce visage tordu, ces yeux écarquillés, ce cri glaçant et cette bouche où tout (le film, l’espoir, la vie) disparaît dans un dernier zoom effroyable. Le vrai visage de la peur.
Des gens comme les autres
- Sortie : 1980
- Durée : 2h04
A l’origine, c’est Gene Hackman qui devait interpréter Calvin Jarett, père d’une famille « ordinaire » américaine volant en éclat après le décès du fils. La mère est dans le déni, l’autre fils fait une tentative de suicide et lui tente désespéramment de recoller les morceaux. Toutefois, la vedette de Conversation secrète quitta le projet après la négociation de son salaire et il fut remplacé par Donald Sutherland, qui doit d’ailleurs bien des rôles marquants à des désistements. Hackman a regretté cette opportunité manquée et pour cause : Des gens comme les autres fut un immense succès critique et populaire.
Il a remporté 4 statuettes à la 53e cérémonie des Oscars, dont meilleur film et meilleur réalisateur pour Robert Redford, qui en était pourtant à son coup d’essai. Si Sutherland n’a même pas été nommé, sa performance était dans tous les esprits. Coincé entre les deux membres de sa famille qui lui reste, il doit laisser poindre une émotion particulièrement subtile dans un long-métrage qui a pourtant tout d’un gros drame hollywoodien bien bourrin. La réussite de l’ensemble lui doit beaucoup. Redford se rappelait dans les colonnes d’Entertainment Weekly : « Donald pouvait tout faire ».
Arrangeant, il s’est rasé dès sa première rencontre avec le réalisateur quand celui-ci lui a expliqué que son personnage ne portait pas de moustache. Il avait un rasoir dans sa poche, au cas où. Quand Redford a revu une scène intense, trois mois après la fin du tournage, et se demandait si elle n’est pas trop forcée, c’est lui qui a proposé de la retourner sur le champ. Aussi professionnel qu’il est prolifique, Sutherland est comme chez lui dans le paysage hollywoodien.
JFK
- Sortie : 1992
- Durée : 3h09
Il suffit parfois d’une scène pour qu’un film prenne une autre dimension. JFK est peut-être l’exemple parfait : le film dure plus de trois heures et Oliver Stone livre un chef d’œuvre de tous les instants dans cette fresque tentaculaire sur les tenants et aboutissants de l’assassinant du président Kennedy. Toutefois, c’est peut-être bien la seule et unique scène dans laquelle intervient Donald Sutherland qui vole la vedette au reste et a le plus marqué les esprits.
En effet, dans la peau de X, un mystérieux informateur qui choisit d’aider Jim Garrison, le procureur incarné par Kevin Costner, Donald Sutherland prend les rênes dans un long monologue passionnant qui vient presque tout connecter. Sporadiquement interrompu par le personnage de Costner, qui vient replacer le contexte historique et politique de certaines révélations, le récit de M. X transcende le thriller politique pour l’enfoncer dans les antres d’un monde quasi-insoupçonné en seulement 4 minutes.
Oliver Stone avait initialement envisagé Marlon Brando pour le rôle avant de se porter sur Donald Sutherland. Et quel choix judicieux ! Si la séquence marche si bien, au-delà de son importance narrative et de la sublime bande-originale de John Williams qui l’accompagne, c’est avant tout grâce au charisme et à l’élocution de Donald Sutherland, magnifiant un moment crucial dont il devient l’incarnation symbolique.
Alerte !
- Sortie : 1995
- Durée : 2h08
S’il en fallait encore une, Alerte ! (Outbreak en VO) est la preuve que Donald Sutherland n’avait pas besoin d’être en haut de l’affiche ou de dérouler des kilomètres de dialogue pour impressionner et retenir l’attention. Dans le film catastrophe de Wolfgang Petersen, qui suit la lutte d’une équipe de scientifiques contre un virus létal et une armée américaine en roue libre, l’acteur n’apparaît en tout que quelques minutes, bien que l’ombre de son personnage, le terrible général Donald McClintock, plane tout du long sur les personnages de Dustin Hoffman, Rene Russo, Cuba Gooding Jr. et Kevin Spacey. Malgré le peu de temps qu’il passe devant la caméra, il tient ainsi une place décisive dans l’intrigue de Laurence Dworet et Robert Roy Pool.
Il est cette présence solennelle et inflexible qui refroidit la pièce, cette aura glaçante qui menace d’un simple regard perçant et celui qui rivalise de charisme avec le reste du casting, même quand il donne la réplique à Morgan Freeman – la première à visage découvert étant : « Alors, tuons-le« .
À l’origine, c’était pourtant Joe Don Baker (Les nerfs à vif, GoldenEye) qui devait incarner cet antagoniste. Mais le réalisateur et le producteur Arnold Kopelson voulaient une performance qui rappellerait l’ancien lieutenant-colonnel Olivier North (une personnalité controversée mais très connue aux États-Unis) et pensaient que le Canadien serait plus à même d’y arriver. Et ils ont vu parfaitement juste.
La saga Hunger Games
- Sortie : 2012, 2013, 2014, 2015
- Durée : 2h22, 2h26, 2h23, 2h17
C’est sans doute le rôle grand public le plus flamboyant de la dernière partie de la carrière de Donald Sutherland. Dans les 4 premiers films de la saga Hunger Games adaptée des romans de Suzanne Collins, l’acteur incarne le terrible Coriolanus Snow, qui est ni plus ni moins que le grand méchant de l’histoire, le dictateur à abattre. Régnant depuis son palais du Capitole, dans ses costumes aux couleurs profondes, le dirigeant manipulateur et impitoyable incarne la fin d’une époque.
Une rose blanche orne constamment sa boutonnière, comme parfait symbole de sa perfidie : en effet, son parfum dissimule l’odeur des ulcères qui pullulent dans la bouche de Snow, lui qui partage régulièrement des plats empoisonnés avec les ennemis qu’il assassine. Sutherland déploie dans la saga young adult un charisme à la hauteur du personnage, se faisant plus mielleux mais aussi plus menaçant que jamais. Ses dialogues avec Katniss, l’héroïne incarnée par Jennifer Lawrence, font partie des scènes les plus réussies de la saga et ce malgré l’abondance de séquences plus spectaculaires.
C’est avant tout grâce aux duels de regards et de piques bien balancées assurés par les acteurs, et Donald Sutherland est aujourd’hui devenu un visage indispensable et fondateur de l’univers Hunger Games. C’est le comédien Tom Blyth qui, pour reprendre le lourd flambeau, incarne sa version jeune dans le préquel Hunger Games : La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur.
Marionnette tragique et fascinante du Casanova de Fellini
« Versatile » ça existe en français, mais 9 fois sur 10 c’est un anglicisme qui remplace « polyvalent »…
Mine de rien votre affichette divulgache la fin d’un de ses meilleurs films.
De l’or pour les braves (https://fr.wikipedia.org/wiki/De_l%27or_pour_les_braves) qu’est ce qu’il est bien ce film.
Absolument genial dans »De l’or pour les braves » en conducteur de tank hippie! !!!
Body snatchers. Inoubliable. Chef d’oeuvre absolu de la sf.
Acteur génial et mémorable. Paix à son âme
Pas glop de passer les articles-hommage en premium… :/
RIP à cet immense acteur en tout cas, capable de bouffer l’écran en une seule scène sur tout le film (Backdraft).
Il me fait toujours marrer également en vieux dragueur dans Space Cowboys (un des Eastwood les plus mésestimés à mon sens).
Un regard incroyable, un sourire flippant, une voix inoubliable pour un acteur d’une superbe versalité. Dans JFK il est le mot Conspiration et dans 1900 il est le mot traumatisme! Enfin perso je le trouve épatant et formidable dans Space Cowboy. Un grand grand monsieur.
rôle magnifique dans le superbe Klute. La relation avec Jane Fonda <3