Qu’est-ce qu’un journaliste cinéma ? Un freelance perpétuellement au chômage, ou un proto-penseur capable de réhabiliter les films de (très) seconde zone tel que Le Fantôme de Milburn par John Irvin ?
La question est plutôt légitime, et d’autant plus à l’heure où nombreux sont les métrages à obtenir gain de cause plusieurs années après s’être façonné une réputation de sympathique carambolage. Et puis, très franchement : y a-t-il quelque chose de plus symptomatique à cette époque marquée par le cynisme que de chercher à se faire l’avocat du diable ? C’est pourquoi il était temps de se pencher sur le cas du Fantôme du Milburn.
Non seulement car ce curieux objet s’est lui aussi savamment planté à sa sortie en 1981 — essuyant simultanément échecs critique et financier —, mais surtout car la formule établie par Universal (adaptée d’un récit signé par l’un des grands maîtres du genre, portée par un casting six étoiles, et bénéficiant d’un budget fort généreux) aurait dû suffire à lui garantir la production d’un des plus grands titres d’horreurs de son époque. Et peut-être l’argument suivant revient à chercher midi à quatorze heure, mais : et si le public était tout simplement passé à côté du véritable fantôme venu hanter l’intrigue ?
S.O.S D’UN FANTÔME EN DÉTRESSE
Avant d’être une petite série B passablement oubliable, Le Fantôme de Milburn est une belle brique de quelque six-cent pages publiée en 1979 par feu Peter Straub — grande plume du genre et, accessoirement, ami de longue date d’un certain Stephen King. Mais peut-être « avant » n’est pas le terme le plus adéquat ; si deux ans séparent le livre original de sa transposition en salles, les exécutifs d’Universal s’en étaient déjà accaparé les droits d’adaptation dès 1978 pour la modique somme de 225 000 dollars.
Pareil empressement peut sembler insolite, mais le studio est alors certain de réussir son coup ; galvanisé par son aplomb, il plonge la main à la poche pour en sortir 13,5 millions de dollars, tout en se hâtant de faire appel aux services du scénariste Laurence D. Cohen — auréolé de gloire depuis le triomphe du Carrie de De Palma en 1976.
Évidemment, défendre l’indéfendable implique parfois de se heurter à quelques limites. En 1981 comme aujourd’hui, nombreux sont les amateurs de l’œuvre initiale à blâmer ladite réécriture comme l’erreur originelle ; et en toute honnêteté, chercher à leur donner tort reviendrait à flirter avec la mauvaise foi.
Outre les très (trop) nombreuses libertés narratives empruntées par le scénario, un rapide examen du synopsis du film confirme rapidement qu’Universal s’est davantage soucié de capitaliser sur le nom de Straub que de lui rendre hommage, sacrifiant ainsi son intrigue au profit d’une proposition plus lucrative (toute proportion gardée puisqu’à domicile, le film a tout de même écopé d’une interdiction aux moins de 18 ans).
D’aucuns seraient en mesure d’arguer que cela fait partie du jeu — après tout, l’exercice d’adaptation n’oblige en aucun cas à être fondamentalement fidèle à la source —, mais cela nécessite d’être nuancé selon les cas. En l’occurrence, si Ghost Story premier du nom semble avoir été minutieusement passé au hachoir, c’est avant tout à cause du traitement réservé à son antagoniste, lequel aliène complètement le propos de base.
Sans trop aller dans le détail, le personnage auquel Alice Krige prête (admirablement) ses traits n’a rien de la sympathique victime dont le spectre vengeur cherche à mener ses assassins à leur perte. Il se veut en réalité une créature multicentenaire au goût prononcé pour le chaos. Il semblerait néanmoins qu’à la découverte du roman, Irvin et Cohen y ont perçu la dénonciation d’une misogynie systémique (ce qui est adorable, bien entendu, mais très à côté de la plaque), et promptement choisi d’en faire l’angle principal de leur mise en scène.
GHOST STORIES
Comme il fallait s’y attendre, l’idée est aussi convenue que l’a été son exécution, ce qu’a immédiatement déploré une grande partie du public. Assujetti à une intrigue franchement peu engageante et une direction sciemment classico-classique, le film joue plutôt la carte de l’atmosphérique que du viscéral ; et que l’on s’entende, il n’y a rien de répréhensible là-dedans. Disons simplement qu’au vu du caractère autrement plus prompt à saisir le lecteur aux tripes que proposait Straub, le parti-pris du cinéaste suscite l’incrédulité.
Et pour ne rien arranger à cette sombre affaire, Le Fantôme de Milburn a de surcroît eu le malheur d’investir les salles obscures a posteriori de tout un florilège de titres déjà cultes à leur sortie dans les années 70, et devenus plus cultes encore depuis.
On pense notamment aux Dents de la mer (évidemment), mais aussi au coup d’envoi tonitruant de la saga Alien avec Le Huitième passager, au Suspiria de Dario Argento, à L’Exorciste, mais aussi aux slashers type Halloween et autres Massacres à la tronçonneuse. Alors autant dire que sous ses airs de carte postale enneigée, Milburn ne pouvait que peiner à s’extirper du lot, et encore plus à s’en distinguer.
Mais c’est précisément là que des années de gavages analytiques entrent en jeu. C’est donc au détour d’un coup d’oeil à la distribution du film qu’une tout autre lecture s’impose, plus profonde et nettement plus salutaire à l’héritage d’Irvin et consorts.
En regroupant les légendaires Fred Astaire (Le Danseur du dessus, Drôle de frimousse), Douglas Fairbanks Jr. (Gunga Din, Le Petit César), John Houseman (La Chasse aux diplômes, pour lequel il remporte par ailleurs un Oscar) et Melvyn Douglas (lui aussi lauréat non pas d’un, mais deux Oscars pour ses partitions Le Plus Sauvage d’entre tous et Bienvenue, mister Chance) pour la première fois à l’écran, Milburn semble proposer, quelque part entre les lignes, un récit parallèle abstrus.
C’est que selon cette interprétation analogue, il n’y a rien d’anodin à l’emploi de ces quatre grands noms du classicisme hollywoodien dans les rôles de quatre membres vieillissants d’un club très privé — club créé sur le partage d’une expérience exclusive, dont le principe repose sur l’élaboration et la narration de fictions, au cas où cette mise en abîme de l’industrie cinématographique n’était pas assez évidente.
LE FANTÔME D’HOLLYWOOD
Les bases de cette élucubration posée, poussons maintenant le vice un peu plus loin. Comme précédemment indiqué, le recours à ces monstres de cinéma laisse non seulement au spectateur le loisir de considérer l’héritage que ceux-ci laissent derrière eux, mais aussi à revoir le prisme selon lequel il perçoit l’objet-film dans son ensemble. D’une proposition de genre aux prémisses bêtes et méchantes, Le Fantôme de Milburn se fait réflexion poético-sinistre sur la mortalité propre à la condition humaine.
Est-ce que l’on ne pousserait pas là le bouchon un peu loin ? Peut-être. Ou peut-être pas, car selon cette perspective bien spécifique, les quatre acteurs susmentionnés sont désormais à concevoir comme les véritables fantômes conjurés par Milburn, d’autant plus que la hantise se joue sur de multiples tableaux. Une telle réunion appelle inévitablement à évaluer l’incroyable ampleur conjuguée des filmographies respectives des quatre bougres, mais elle convoque plus largement le souvenir d’une époque, si non révolue, du moins sérieusement sur le déclin.
L’avènement du Nouvel Hollywood à compter des années 60 marque ainsi le début d’une nouvelle ère pour le cinéma nord-américain, que les années 80 continueront de pérenniser, et que l’Après-Nouvel Hollywood achèvera d’enterrer pour de bon. De nouveaux cinéastes, de nouvelles esthétiques, de nouveaux mouvements artistico-politiques et surtout, de nouvelles stars remplacent peu à peu les grands noms d’autrefois ; s’il s’agit là de l’ordre des choses, il n’y a rien de bien novateur à avancer que ce n’en est pas moins douloureux pour certains, à commencer par les principaux concernés.
Le fantôme que campe Alice Krige peut ainsi être entendu comme l’écho de cette même époque dont Fred Astaire et compagnie sont, d’un point de vue strictement narratif, les ultimes survivants. Aussi, les intentions de cet esprit punitif sont-elles réellement si néfastes ? Ou le personnage de Krige ne serait-il pas, finalement, qu’une énième métaphore du temps qui passe et collecte son dû. Peut-être n’est-il perçu comme funeste que par symbolisme ; peut-être la peur qu’il suscite n’est que celle de quatre vieillards conscients que leur heure est venue, mais réticents à l’idée d’en accepter la fatalité.
Et là encore, peut-être qu’il ne s’agit-là que d’une vaste extrapolation ; mais d’après John Irvin, Fred Astaire aurait passé une majeure partie du tournage dans un état de détresse émotionnelle avancée, convaincu que la Faucheuse l’y attendait de pied ferme. Certes, Astaire n’a finalement rendu son dernier souffle que six ans plus tard, mais Le Fantôme de Milburn n’en demeure pas moins son chant du cygne à l’écran.
Plus concrètement les choix de mise en scène propres à la direction d’Irvin (qui seront critiqués à la sortie du film) gagnent ici en pertinence, et jouent en faveur d’une compréhension infiniment plus existentialiste du récit.
En imposant aux reliquats du Vieil Hollywood le statut de spectres en devenir de tout ce même pan de l’histoire du cinéma, Le fantôme de Milburn interroge d’une part l’empreinte inhérente au statut d’acteur (un acteur est-il immortalisé par l’objet-film auquel il prend part, ou est-il justement condamné à le hanter ?), et de l’autre, celle que laisse le 7e Art lui-même. Le journaliste étant payé au papier et non à la ligne, on s’abstiendra de développer ce point plus que de raison ; Tarkovsky s’est déjà fort longuement exprimé sur le sujet, et d’autres se sont fait une joie de perpétuer son propos par la suite.
Universal ayant sans nul doute plutôt cherché à se remplir les poches grâce aux pouvoirs cumulés du star-system hollywoodien et d’une bonne vieille nostalgie qu’autre chose, toute cette conjecture n’est probablement que cela : une conjecture. Mais, c’est bien là tout ce qui fait le sel de l’art en règle générale : parvenir, au moyen d’outils divers et variés, à un sens que n’envisageait pas initialement l’oeuvre telle qu’elle a été conçue par ses têtes pensantes.
J’ai eu l’occasion de le voir il y a quelque temps déjà. Un film des années 80 oublié mais je trouve que c’est un très bon film fantastique pour adultes avec ses 4 acteurs de l’âge d’or hollywoodien. J’adore l’atmosphère de ce film cette histoire particulièrement tragique. Alice Krige est absolument sublime. Il y a aussi Craig Wasson connu pour son rôle principal dans Body Double. Il existe une édition DVD restaurée en français chez Elephant Films. Tiens, ça me donne l’envie de le revoir. En plus, c’est la bonne période pour le regarder