Il n’y a pas la moindre trace de magie dans les Ensorcelés. Vincente Minnelli n’en réussit pas moins un véritable coup de maître : réunir une brochette de stars, faire la nique à Hollywood et récolter une moisson d’Oscars.
Méfiez-vous des contrefaçons. Les Ensorcelés (The Bad and the Beautiful en VO) ne partage pas le moindre point commun avec Practical Magic de Griffin Dunne, importé dans nos contrées sous le titre peu inspiré Les Ensorceleuses. Tentons quand même de forcer un peu le trait. Le même genre de malédiction répulsive qui court dans l’arbre généalogique des sœurs Owens frappe quiconque jouxte dangereusement la galaxie Jonathan Shields (Kirk Douglas), producteur hollywoodien roublard affublé d’une paire d’incisives longues comme le bras.
Trois satellites prisonniers de son orbite ont été pulvérisés par son impétueuse force gravitationnelle. Le premier, Fred Amiel (Barry Sullivan), metteur en scène, a été trahi par l’homme qu’il a aidé à sortir de l’ombre de son défunt père, Hugo Shields, producteur honni, mais visionnaire, artiste pionnier doublé d’une raclure arriviste.
Le second, Georgia Lorrison (Lana Turner, dans l’une de ses meilleures prestations), nepo baby recluse dans un mausolée à la gloire de son paternel, a gravi les échelons de la starification à son bras avant qu’il ne l’éconduise. Vient enfin James Lee Bartlow (Dick Powell), prix Pulitzer vampirisé puis recraché par le même Shields dont l’ascension nous est contée en trois flashbacks, façon Citizen Kane.

Boulevard des crépuscules
Les Ensorcelés ne surgit pas par hasard au début des années 50. Vincente Minnelli creuse le sillon du « Hollywood movie », récit autoréflexif à la gloire de l’industrie cinématographique étasunienne maquillé en tragi-comédie sardonique. De Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder à Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly en passant par La Comtesse aux pieds nus de Joseph L. Mankiewicz et Le Violent de Nicholas Ray, les fleurons du genre essaiment tout au long la décennie. La marotte n’est pas nouvelle.
Dès les années 20, King Vidor se pique de fourrer le nez sous les jupes d'Hollywood dans le satirique Mirages, biopic officieux de Gloria Swanson. Citons encore l’indéboulonnable et canonique Une étoile est née dont George Cukor réalisera le second remake deux ans après la sortie des Ensorcelés. Usine à fantasmes, Hollywood exhibe ses entrailles sans complaisance aucune et devient en même temps à l’écran la matière même d’un rêve qui menace de se disloquer sous l’assaut de la télévision naissante. S’ils font grise mine depuis qu’une loi antitrust promulguée en 1948 les a dépossédés de leurs parcs de salles, les studios donnent le change malgré tout.
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