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David Bowie et Catherine Deneuve en vampires gothiques : Les Prédateurs, le grand film de Tony Scott

Par Clément Costa
24 août 2024
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Les Prédateurs Catherine Deneuve Susan Sarandon

Avec Les Prédateurs, son premier long-métrage, Tony Scott réunit David Bowie et Catherine Deneuve dans une œuvre sensuelle et magnétique.

À la fin des années 70, la figure du vampire vit un regain de popularité en littérature, en grande partie grâce au célèbre Entretien avec un vampire écrit par Anne Rice. Ce roman passionne le jeune cinéaste Tony Scott à tel point qu’il cherche désespérément l’occasion de s’attaquer à cette figure mythique. Quelques années plus tard, il se voit proposer d’adapter le roman Les Prédateurs écrit par Whitley Strieber, qui suit le parcours d’une vampire changeant d’amant tous les 300 ans.

Initialement proposé à Alan Parker, le projet permet à Tony Scott de laisser libre cours à ses expérimentations visuelles les plus folles. Dès son premier long-métrage, le cinéaste va ainsi proposer une œuvre ambitieuse et radicale. Voyons comment il parvient à révolutionner le film de vampires tout en l’inscrivant dans l’esthétique et les thématiques des années 80.

Un triangle amoureux pas comme les autres…

BOYS DO CRY

Dès la séquence d’ouverture, on comprend que Les Prédateurs n’a pas pour ambition d’adapter fidèlement le roman de Whitley Strieber. Ce qui intéresse avant tout le jeune Tony Scott, c’est de moderniser le mythe du vampire et de le marier aux contre-cultures passionnantes qui caractérisent les années 80. Sur ce point, le pari du cinéaste semble parfaitement tenu de bout en bout.

On perçoit tout d’abord cette réussite dans le triomphe esthétique de son film. Tony Scott saisit brillamment l’émulsion gothique de la décennie. La bande-originale souligne cette influence majeure, dès les premières minutes qui constituent une sorte de clip délirant du groupe Bauhaus. La musique gothique et post-punk ponctuera le récit, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Le cinéaste pousse cette envie de réunir des icônes de l’époque jusque dans le casting brillant du long-métrage qui réunit les déjà légendaires Catherine Deneuve et David Bowie.

Les Prédateurs Bowie Deneuve
Plus iconique, tu meurs

Dans Les Prédateurs, Tony Scott semble se questionner constamment sur le décalage entre la figure intemporelle qu’il adapte et le cadre moderne de son histoire. Ses personnages se heurtent systématiquement au monde moderne. Catherine Deneuve se remémore l’Égypte antique tout en s’habillant pour une sortie en boite de nuit. David Bowie interprète une musique du 18ème siècle qui l’a vu naître après s’être déhanché sur un morceau endiablé de rock gothique.

Ce conflit d’époques sera plus que jamais incarné dans l’affrontement entre les momies entassées au grenier et le regard médical froid et rationnel du personnage incarné par Susan Sarandon. Plus qu’un simple effet de style, ce décalage correspond aux conflits internes des héros. On assiste à la collision de deux mondes. D’un côté un passé figé, forcément fantasmé. De l’autre, un monde moderne que rien ni personne ne peut arrêter, comme une fatalité.

L’arrivée fracassante du monde moderne se ressent évidemment dans l’exécution technique. Tony Scott se sert de l’expérience qu’il a eu dans la publicité et dans les clips musicaux pour livrer un long-métrage sensoriel, presque expérimental. Jamais loin d’être maniériste, le cinéaste livre des plans magnétiques à l’esthétique crépusculaire. Le montage dynamique et saccadé vient plus que jamais dépoussiérer le film de vampires.

Les Prédateurs Catherine Deneuve
Entre tradition et modernité

CES PLAISIRS VIOLENTS…

Que ce soit en littérature ou au cinéma, les vampires ont toujours été des créatures sexuelles, intimement liées au désir et à la violence. Les Prédateurs ne fait évidemment pas exception à la règle. À vrai dire, on pourrait même voir le film de Tony Scott comme étant annonciateur de toute la vague de thrillers érotiques qui déferlerait sur Hollywood à peine quelques années plus tard.

Le film annonce la couleur d’entrée de jeu avec une séquence qui mêle sexe et mort, le tout emporté par une énergie vénéneuse tout simplement fascinante. On découvre également en milieu de récit une scène de sexe entre Catherine Deneuve et Susan Sarandon qui fait probablement partie des sommets d’érotisme de la décennie. Bien que n’échappant pas totalement au male gaze, la séquence reste visuellement somptueuse et permet au cinéaste d’accentuer plus que jamais le contraste entre la pâleur des peaux et le sang écarlate.

Les Prédateurs Sarandon Deneuve
Une romance complexe

Les Prédateurs ne se limite cependant pas à une simple envie d’érotisme voyeur bêtement provocateur, bien au contraire. Le film deviendra rapidement culte auprès de la communauté LGBTQI+ grâce à sa façon passionnante de mettre en scène différents désirs, différentes sexualités. À cette époque, le glam rock et le mouvement gothique ont déjà largement contribué à questionner les frontières du genre. Tony Scott embrasse les révolutions sociales de l’époque et met en scène une héroïne ouvertement bisexuelle.

Le long-métrage va d’ailleurs prendre un malin plaisir à renverser les stéréotypes de genre. On suit ainsi une femme qui se détache sans le moindre mal d’un homme affaibli, qui va très littéralement dépérir à vue d’œil à partir du moment où elle s’éloigne de lui. De son côté, le personnage de Susan Sarandon n’est pas qu’un simple intérêt amoureux. Elle est avant tout une femme moderne à la fois forte et instruite.

Les Prédateurs trio Deneuve Sarandon Bowie
Diamant sur canapé

L’AMOUR DURE 300 ANS

L’autre immense force du film réside dans son concept absolument génial : une vampire capable de rendre ses conquêtes immortelles, mais qui ne peut les empêcher de vieillir subitement dès que son désir se porte sur quelqu’un d’autre. Les Prédateurs devient alors une métaphore passionnante des relations romantiques. Entre les promesses d’éternité des premiers émois et la froideur distante voire cruelle d’une relation qui s’achève, le long-métrage pousse à son paroxysme la contradiction amoureuse.

Le personnage de David Bowie vient incarner avec une sensibilité folle tout le pathétique d’un homme brisé, qui ne peut tout simplement plus exister à partir du moment où il n’est plus le centre d’intérêt de la femme qu’il continue d’aimer désespérément. Clip gothique géant, thriller érotique ou encore drame romantique étonnamment subtil, Tony Scott assume toutes ses ambitions dans cette œuvre à la richesse admirable.

Les Prédateurs David Bowie
Lazarus avant l’heure…

Le rapport au temps qui passe est également une thématique fondamentale au récit. Que se passe-t-il quand on réalise subitement que le corps vieillit, que l’esprit fatigue ? Comment affronter la perte de repères, la fin d’un âge glorieux ? Il y a ainsi une atmosphère crépusculaire qui hante tout le film. Un air de deuil qui n’en finit jamais. La sensation étrange que le temps se délite alors qu’on assiste impuissants à la putréfaction des corps. Au passage, impossible de ne pas admirer le maquillage terrifiant de David Bowie dans la mise en scène de son vieillissement accéléré.

À la fois respectueux du mythe qu’il traite et révolutionnaire dans son approche, Les Prédateurs est un premier long-métrage déconcertant mais passionnant. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le film soit devenu culte malgré un accueil initial très négatif, en particulier lors de sa diffusion au Festival de Cannes. Rien d’étonnant non plus à ce que le film ait inspiré de nombreux réalisateurs, en particulier Bryan Fuller qui le cite comme une influence majeure pour la série Hannibal.

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Eomerkor

Vu il y a longtemps mais bon souvenir de ce film avec un travail recherché sur la lumière bleutée, une maitrise de l’intrigue et l’ambiance très sophistiquée. Le film est sur ma liste des films à revoir depuis un petit moment. En parler dans un article va me motiver d’autant plus que je me souviens de cette scène entre Deneuve et Sarandon qui… s’entendent très bien. Et puis il y a David Bowie. Pas le plus grand acteur mais j’aime bien sa présence surtout dans Furyo (que j’ai vu aux alentours de mes dix ans sans trop comprendre certaines choses et que j’apprécie encore plus maintenant que je les comprends ! surtout le baiser fatal…).

Ray Peterson

Un film de vampire intéressant d’autant plus que c’est le 1er long-métrage de Scott qui est franchement assez déroutant par rapport au reste de sa filmographie. Bowie magnétique, Deneuve sublime et surtout gros crush pour Susan Sarandon !
Le travail de la photo par Stephen Goldblatt est magnifique et présage les Armes Fatales.

kyle-reese

J’aime beaucoup ce film, un de mes Tony Scott préféré. Visuellement très stylisé, Deneuve/Bowie parfait. Et un renouvellement du mythe très intéressant avec le coté Egyptien. Culte. Je me dis que tient, un remake réussi pourrait donner une sorte de franchise si l’histoire se termine différemment. Je sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise idée, mais c’est une idée quoi, vu l’état du cinéma actuel. Quoique, vu le nombre de déchet au niveau des remakes, voir The Crow.