Après le phénomène Les Dents de la Mer sorti en 1975, le film de Steven Spielberg connaît beaucoup de succédanés plus ou moins nanardesques. Mais parmi eux se trouve Orca, une pépite encore plus folle que son modèle.
Réalisée par le Britannique Michael Anderson et produite par l’incontournable Dino De Laurentiis, l’histoire de l’affrontement à mort entre le capitaine Nolan et l’orque vengeresse fera un terrible flop au box-office. Peut-être parce qu’Orca a été vendu comme un nouveau Dents de la Mer, alors qu’il s’agit en réalité d’une fable particulièrement noire et profonde, beaucoup plus héritière de Moby Dick que du film de Spielberg. Avec les pointures Richard Harris et Charlotte Rampling au casting, Orca éclipse ses accents kitschs presque nanardesques derrière sa beauté mélancolique et ses réflexions passionnantes. Retour sur le seul élève des Dents de la Mer qui a su dépasser le maître.
J’ose Jaws
Lorsque le désormais cultissime Les Dents de la Mer sort sur les écrans en 1975, et qu’il ramène un joli pactole avec son concept aussi simple que frappant de requin qui croque du baigneur, c’est la foire d’empoigne à Hollywood. Tout le monde y va de son “Jaws-like”, et les films qui mettent en scène un groupe de personnes persécuté par des créatures planquées sous la surface de la flotte se mettent à pleuvoir. On compte évidemment parmi eux le Piranhas de Joe Dante, et des tentatives plus obscures comme Barracuda ou L’Incroyable Alligator, pour ne citer qu’eux.
Le producteur Dino de Laurentiis, dont la filmographie brille par l’éclectisme de ses projets audacieux, n’a pas l’intention de louper le coche. Selon lui, il n’y a qu’une seule solution pour faire plus fort que le requin spielbergien : miser sur un animal marin encore plus redoutable. Il n’y a pas à chercher bien loin, puisque le bateau des héros des Dents de la Mer porte lui-même le nom du prédateur naturel du grand requin blanc : Orca. Plus grande, plus rapide, plus puissante, l’orque est la créature idéale pour faire concurrence à Spielberg (le film s’ouvre subtilement sur une scène dans laquelle une orque tue un requin), et c’est ainsi que la baleine noire et blanche devient star de cinéma, 15 ans avant Sauvez Willy.
Mais une star avec moins d’éclat. Car pour un budget modeste, mais à peu près équivalent à celui du film de Spielberg, Orca souffre de beaucoup de problèmes de montage et d’effets qui expliquent que certains hérétiques puissent aujourd’hui le considérer comme un nanar. Les raccords approximatifs, les mêmes plans utilisés plusieurs fois, la fausse banquise en polystyrène, les effets grandiloquents faits avec trois bouts de ficelle, et cette réutilisation constante d’un stock-shot d’une orque qui saute au loin… Stock-shot utilisé une quinzaine de fois dans le film, tantôt sur un soleil couchant, tantôt de part et d’autre de la lune dans un terrible effet de miroir. De quoi faire pâlir de jalousie les posters de chez Gifi…
Orca n’a pas, en surface, l’allure et la facture d’un grand film, et il est compréhensible que le comparer aux Dents de la Mer puisse faire sourire. Et pourtant, l’orque en a sous la nageoire. Si l’idée du film est bien de faire sensation en mettant en scène une baleine tueuse, la trame et le cadre d’Orca s’éloignent en réalité beaucoup du modèle mis en place par Les Dents de la Mer. Exit la plage et les touristes, l’histoire de ce film-là se déroule dans un coin reculé du Canada, où seuls quelques pêcheurs et scientifiques dialoguent avec la mer et ses habitants. Et ce qui pourrait être un simple changement de décor retourne en réalité tout le paradigme du film.
Les sangs de la mère
Ici, l’histoire est beaucoup plus celle d’un duel opposant deux prédateurs intelligents, l’orque et le braconnier, que celle d’une population terrorisée par une menace presque fantomatique. Si Orca est souvent qualifié de pâle copie du film de Spielberg, il est en réalité davantage une libre adaptation de Moby Dick, empruntant au roman de Melville cette fascination et cette obsession mutuelle entre une baleine et un homme. Mais ici, c’est la baleine qui traque le capitaine afin de se venger de lui. En se faisant davantage héritier de cet univers littéraire, Orca assume une noirceur jamais vue dans aucun Spielberg, à la fois à travers ses thèmes et sa violence.
Certaines scènes osent d’ailleurs se répandre dans un gore qui met le spectateur mal à l’aise par sa surenchère : presque ridicule parfois, cette violence est néanmoins nécessaire au ton extrêmement tragique du film. La séquence la plus représentative de ce cocktail détonnant est évidemment celle au cours de laquelle Nolan pêche par erreur la femelle de l’orque qu’il chassait. Harponnée, la baleine se précipite sur l’hélice du bateau pour se suicider sans y parvenir, et lorsqu’elle est remorquée, sanguinolente, sur le pont, le fœtus qu’elle portait en elle est expulsé et atterrit sur le plancher du bateau (qu’on se rassure : l’essentiel des orques montrées à l’écran est des maquettes).
Tout du long, la séquence est recouverte par les cris de l’orque mâle restée dans l’eau, qui hurle sa détresse tandis qu’il assiste à ce qui sera ensuite présenté comme le meurtre de sa compagne et de son enfant à naître. Quel étonnant moment que cette séquence écrite comme une tragédie shakespearienne, mais mise en scène presque comme du cinéma bis, avec ses ralentis dramatiques, et qui personnifie l’animal à outrance. Pourtant, malgré les détails absurdes, comme les rugissements félins de l’orque, force est de constater que ces images ressemblent énormément à des scènes documentaires montrant des captures réelles (et souvent meurtrières) d’orques et de leurs baleineaux.
Si le film s’évertue à rendre ces séquences aussi choquantes que si les victimes étaient humaines, c’est justement parce que, dans une démarche assez antispéciste, Orca dresse un parallèle parfait entre Nolan et la baleine, et tout l’enjeu du film repose sur la rédemption du capitaine qui finira par comprendre que la souffrance de l’animal est égale à la sienne, lui qui perdit aussi sa femme et son enfant. La démarche est donc, dans le fond comme dans la forme, radicalement opposée à celle des Dents de la Mer, dont le requin est une pure force brutale, et dont la puissance horrifique vient justement de son absence de sensibilité et de raison. Est-ce un hasard, d’ailleurs, si Orca met en scène un mammifère, plus proche de l’humain, là où Les Dents de la Mer utilise un poisson ?
Orcasmique
Mais bien au-delà de la cruauté décrite tout au long du film, semi-complaisante et semi-poétique (comme lorsque le personnage de Charlotte Rampling fait la lecture à l’orque agonisante et ensanglantée sur la plage au crépuscule), ce sont les réflexions menées par les personnages qui achèvent de rendre le film magnifique et passionnant. Sans oublier, au passage, la superbe bande originale composée par Ennio Morricone, qui sublime l’ensemble de ses notes douloureuses et mélancoliques, traduction musicale exacte du parcours des personnages terrestres et marins et qui apporte au film une dimension d’excellence.
Comme déjà évoqué, et malgré son anthropomorphisme, le film propose un point de vue antispéciste en mettant dès le début en scène une considération évidente pour la vie animale, puisqu’il s’ouvre sur des chants de baleines et des images d’orques profitant de leur liberté. À partir de là, c’est une réflexion spirituelle qui sera développée par Nolan, au fur et à mesure qu’il réalise le mal qu’il a fait (et qu’il comprend, accessoirement, que sa cruauté envers les animaux est voisine de sa misogynie). Dès lors qu’il harponne l’orque gestante au début du film, et qu’il entend ses cris, il s’exclame : “Dieu tout puissant, qu’est-ce que c’est que ça ? »
À cet instant du péché originel du film, la souffrance évidente de la baleine fait comprendre à Nolan l’envergure et la nature ontologique du mal qu’il commet. Plus tard, alors qu’il demande à un prêtre s’il est possible de pécher envers un animal, l’homme d’Église lui répond que oui, puisqu’un péché se commet toujours d’abord envers soi-même. Guidé à la fois par sa culpabilité, son désir de rédemption, mais aussi une évidente pulsion de mort qui l’habite depuis le décès de sa femme, Nolan se retrouve pareil à Frankenstein, allant affronter sur les mers glacées le monstre de vengeance qu’il a créé, davantage pour enfin mourir lui-même que pour gagner.
Mais personne ne ressort victorieux de ce combat entre deux êtres qui ont tout perdu et dont le destin reste lié jusqu’au bout, puisque les images finales laissent entendre que l’orque errant sous la glace ne retrouvera jamais la surface. Une beauté dramatique et une écriture qui n’ont rien à envier aux Dents de la Mer, bien au contraire, et qui confirment que si le film de Spielberg fut l’impulsion de départ du projet, Orca finit, à bien des égards, par se hisser au-dessus de son modèle.
J’ai vu ce film très jeune et, même si j’avais oublié la majorité de la trame, certaines scènes m’avaient profondément marquées : l’orque qui saute hors de l’eau pour happer un homme pendu à un mât, la destruction de la maison sur pilotis et évidemment l’affrontement final sur la banquise.
Je l’ai revu récemment, et j’ai en effet été particulièrement touché par sa poésie et sa profonde noirceur. Bon, y’a des effets qui piquent les yeux comme le dit l’article, mais globalement c’est plutôt un bon film 🙂
Voici mon premier trauma cinématographique d’enfance (j’avais 6 ou 7 ans quand je l’ai vu en screud à la télé, j’étais pas prête). Orca m’a transmis un sentiment d’injustice et d’horreur absolues comme aucun autre film depuis. Il y a des films que tu adores ou que tu détestes, celui-ci c’est simple : tu adores et tu détestes.
Mieux que Jaws, faut oser. On ose tout chez EL ! 😀
D’après moi, ces deux films ne sont pas comparables, si ce n’est de parler de « poisson » (oui, l’un des deux est un mammifère, donc même ça n’est pas comparable).
Personne n’a tort ni raison, ce sont deux très bons films, l’un culte et populaire, un incontournable du cinéma, et l’autre, malheureusement, a été très peu compris.
Pas de préférence pour ma part, mais j’ai trouvé tout de même Orca un peu plus profond et terriblement malaisant par moments… la scène du petit orque notamment.
C’est un film qui adapte la formule inverse des dents de la mer : un casting 3 étoiles, un animal vraiment visible et des effets spéciaux nombreux et spectaculaires. L’objectif affiché est bien sûr de dépasser le film de Spielberg. Inutile de préciser que ce n’est pas le cas : remplacer le requin mécanique par un orque si vivant, c’est aussi remplacer un monstre par un sympathique mammifère, intelligent et affectueux. Et ça se voit à l’image ! On se prend d’affection pour l’orque et on en vient à souhaiter la mort des héros. Aucun frisson au programme, juste un film d’aventure banal. On est bien loin des dents de la mer ou d’Alien, qui en gardant le monstre hors cadre le rendent tellement plus inhumain et angoissant. Alors Orca meilleur que les dents de la mer ? Peut-être pour quelqu’un qui n’aime pas les dents de la mer, mais sinon, c’est un énorme échec.
C’est clair que ce film m’avait autrement ému et fait réfléchir que les dents de la mer. Et le casting était incroyable avec un Richard Harris fantastique.
Vraiment très très au-dessus du film de Spielberg.
Je sais bien pour les goûts et les couleurs, mais il ne faut pas abuser non plus.
Meilleur que les dents de la.mer… bon un suppo et au lit.
J’aimerais bcp revoir ce film
J’ai bcp aimé
« Pour votre gouverne, j’ai vu Orca en salle à l’époque »
Et tu as vu de la lumière depuis ton placard poussiéreux ?
« Jaws reste indépassable »
Mais ils le disent bien, dans leur article. Ils expliquent en quoi Orca ne sera jamais le chef d’œuvre qu’est Jaws. Il y a de la poussière aussi sur tes lunettes ? Ou tu n’as pas lu ?
« C’est ballot d’être journaliste ciné dans une période aussi médiocre globalemen. Alors vous vous rattrapez aux branches du passé. »
C’est surtout ballot d’être rabroué par des emmerdeurs alors qu’on fait des efforts pour parler d’un cinéma (pas si) ancien et mal considéré quand la jeune génération ne connait que les Marvelouseries. Mais si c’est ça, la médiocrité, grand bien te fasse.
« Bande de tartuffes »
Vieux crouton