Il lui aura fallu deux longs-métrages à peine pour faire sauter le Festival de Cannes. Retour sur la carrière sanglante de Coralie Fargeat, la réalisatrice de The Substance.
Chaque année, c’est la même chose. La programmation du Festival de Cannes s’autorise une incursion dans le cinéma d’horreur… et traumatise les pique-assiettes venus se montrer sur le tapis rouge. L’édition 2024 a fait bien plus fort que les précédentes avec The Substance, body-horror radical confrontant l’idéal de la beauté féminine à ses monstrueux standards sociaux. Un tir de bazooka dans la fourmilière de strass et de paillettes, doublé d’un vrai film d’horreur, dans tout ce qu’il a de plus viscéral.
Incroyable mais vrai, le sale gosse de la très prestigieuse compétition officielle n’est que le deuxième long-métrage de sa réalisatrice Coralie Fargeat. Grace à un système de production plus ou moins hybride et au nez et à la barbe des réticences plus ou moins avérées qui brident le cinéma d’horreur en France, elle est parvenue à se hisser très haut… sans jamais faire de concession sur son style, tapageur, hautement symbolique et surtout extrêmement généreux. Par quel miracle ? A l’occasion de la sortie de The Substance en France le 6 novembre 2024, on en a directement discuté avec elle.
La fleur au fusil
A la fin des années 1990, Coralie Fargeat est élève à Sciences-Po. Elle qui désire être réalisatrice depuis son adolescence, elle est entrée dans l’école en attendant d’avoir le niveau d’étude suffisant pour le célèbre concours de la Fémis. Sauf qu’après trois ans, elle n’a pas envie de prolonger sa carte étudiante. Toujours désireuse de s’initier à la mise en scène, elle repère un tournage qui se déroule dans la cour.
« Je suis allée voir le premier assistant en lui disant : Ben voilà, je veux travailler sur des films, etc. Et il m’a appelé quelques mois plus tard parce qu’il cherchait une stagiaire pour un film américain qui venait se tourner en France. »
Ce film, c’est Passion of Mind, D’un Rêve à l’autre dans la langue de Méliès. Et à la tête de son casting, on trouve – ironie prémonitoire, signe du destin ? – nul autre que la vedette hollywoodienne Demi Moore. L’expérience est riche en enseignements et la motive à poursuivre dans cette voie. Au début des années 2000, elle parvient donc à monter un court-métrage, Le Télégramme. Adapté d’une nouvelle de Iain Crichton Smith, il raconte l’attente difficile de deux femmes ayant une connaissance au front pendant la guerre. Un premier essai touchant, mais encore loin des univers pop et sales qui lui trottent déjà en tête :
« J’essayais de répondre à plusieurs contraintes de premier film. Il faut trouver une histoire qui ne soit pas trop chère. Et à l’époque, moi, j’étais déjà fan de genre. Donc j’avais déjà de grandes ambitions. Mais je savais très bien que je ne pouvais pas écrire un remake de Star Wars ou quelque chose qui serait infaisable. Il fallait que je trouve une idée qui puisse à la fois fonctionner dans le système français de courts-métrages où j’évoluais et en même temps quand même me permettre de mettre en scène ce qui m’intéressait.
C’est pour ça que j’ai repensé à cette nouvelle que j’avais lu en classe de sixième en cours d’anglais, qui avait tous les ingrédients des films qui me parlent, à savoir un dispositif assez simple, mais qui justement repose énormément sur la mise en scène pour construire un climat de suspense, d’attente, où tout est immobile, où il y a vraiment une sorte d’ambiance de western à construire. »
Le Télégramme fait plusieurs Festival, remporte plusieurs prix et fait même l’objet d’une acquisition par France 2, soit un parcours plus qu’honorable pour un premier film. Forte de ce succès, Coralie Fargeat se met en tête de vraiment se consacrer aux univers qui l’attirent, donc versant plus dans la science-fiction, voire l’horreur. C’est alors qu’elle se heurte à un premier mur. Difficile de proposer de tels projets en France. Elle tente de monter un nouveau court et échoue. Elle s’essaie donc à l’écriture de long, toujours en vain.
« Et c’est là, en fait, que je me suis dit qu’il faudrait que je fasse un deuxième court-métrage, qui soit dans un registre montrant un peu plus ce que j’ai vraiment envie de faire en long-métrage. »
Revanche
Ca tombe bien, se profilent alors les Audi Talents Awards, un concours ouvert, pour une fois, à la science-fiction. Elle y participe… et le remporte avec un court-métrage autrement plus ambitieux : Reality +. Soit la description d’une société future ou les standards de beauté sont si exigeants que les messieurs et mesdames tout le monde peuvent choisir d’aborder une fausse apparence toute droit sortie d’un magazine. Seul bémol : ils n’ont que 12 heures d’autonomie… à moins qu’ils choisissent de débrider leur puce.
C’est ce qu’on appelle annoncer ses envies : Reality + préfigure tellement The Substance qu’on pourrait presque voir en lui une version alternative, ou les individus aliénés peuvent encore changer d’avis et connaître un happy end, s’épargnant l’homérique dernier acte qui fera trembler la croisette. Certains détails très précis sont même déjà présents, tels ces lieux underground auxquels on accède via une persienne à moitié fermée. Et surtout, Fargeat prouve qu’elle sait gérer des univers artificiels, et donc une myriade d’effets spéciaux. La route vers le premier long-métrage n’en sera pas pour autant un long fleuve tranquille.
En parallèle, elle forme avec des camarades La Squadra, un groupe constitué de cinéastes ayant également des envies de genre. Une fois par mois, ils et elles se réunissent pour rencontrer des professionnels de l’industrie, et s’entraider. Un groupe dont est issue également Nolwenn Lemesle, future metteuse en scène des Héritiers. La réalisatrice complète sa formation avec un atelier qu’elle effectue finalement bien à la Fémis, celui-ci réservé aux artistes actifs, et qui consiste à développer un scénario aux cotés d’autres auteurs.
Néanmoins, son projet de science-fiction est une fois de plus jugé trop peu adapté aux attentes de l’industrie française. L’expérience lui a néanmoins montré les difficultés auxquelles elle fait face. Et c’est avec ces précieuses années de réflexion qu’elle entame l’écriture d’un nouveau long-métrage, Revenge.
Afin de mener à bien ce projet particulièrement bourrin, où une jeune femme se venge, dans le sang et les larmes, de ses agresseurs au beau milieu d’un désert, elle saute la barrière de la langue. Tourné au Maroc, produit en France, le film emploie un casting international, qui parle la moitié du temps en français, la moitié du temps en anglais, ce qui facilite son export à travers le monde.
Du moins, la moitié de ses 9 minutes de dialogue. Histoire de convaincre les investisseurs, qui feront monter le budget à un peu plus de 2 millions de dollars, et ne pas vendre une simple série B, elle écrit sa mise en scène avec précision et va jusqu’à concocter une petite bande-annonce.
Un pari qui fait mouche. En France, le film cumule 38 427 entrées et, comme souvent dans ces cas-ci, s’offre de bonnes critiques de la presse spécialisée. Aux États-Unis en revanche, il fonctionne très bien et surtout fait forte impression : presse et public sont séduits par la radicalité de la proposition dans un contexte post-Me Too empreint de la violence mise en scène par le film. En 2018, Fargeat nous racontera déjà la difficulté du tournage :
« Le tournage a été vraiment un enfer. Des journées hyper longues, crevantes, [Matilda Lutz] avait 4 heures de maquillage par jour, on tournait au Maroc en février, il y avait un vent glacial… »
En Substance
Après ce succès international, il est temps de s’attaquer à son deuxième long-métrage. Contrairement au français Revenge, The Substance est un film complètement anglo-saxon, avec des fonds américains, des actrices américaines et un studio de production anglais : Working Title. Grâce à ces derniers, la réalisatrice essaie néanmoins de préserver une liberté d’approche très européenne, vitale pour un projet aussi ambitieux et qui par ailleurs a suffisamment raisonné en Demi Moore pour qu’elle accepte de participer après lecture du scénario.
« Est venue donc déjà la volonté de coproduire le projet, d’être productrice, pour chercher ensuite les partenaires qui pourraient m’amener ce dont j’avais besoin. Et ensuite celle de mettre un pied dans le système américain, tout en gardant une part d’ancrage européen pour préserver la vision artistique du film et ma manière de faire. »
Il y a encore un ADN français dans ce dernier film, puisqu’outre sa présence à la production, le Los Angeles artificiel dans lequel se déroule l’action est en réalité… le sud de la France. Un choix qui permet de faire rentrer le tournage dans ses frais et d’accorder toute la latitude nécessaire. Le production manager Nicolas Royer, contacté par Fargeat et à l’origine de ce plan, expliquera d’ailleurs au CNC que la Palme d’or alors toute neuve remportée par Titane a conforté Working Title dans ce choix.
The Substance, c’est le meilleur des deux mondes, et un compromis dans lequel la cinéaste s’épanouit complètement. Elle a appris de son expérience. Plutôt que d’incorporer au planning classique son iconique batterie d’inserts et de gros plans, comme pour Revenge, elle s’accorde des plages de tournage entièrement dédiées à ces segments, en équipe très réduite :
« J’ai dit : sur ce film là, pour moi, les inserts sont aussi importants que n’importe quel autre plan du film et c’est vraiment le cœur de la mise en scène. Faisons en sorte qu’on ait une partie du tournage où on reste à cinq personnes et donc on a un temps plus allongé pour tourner ces plans, qui sont pour moi fondamentaux. »
Et surtout, elle peut s’assurer d’utiliser en grande majorité des effets prosthétiques (signés Pierre-Olivier Persin), en accord avec la dimension charnelle de son histoire. Un système plus américain, cohérent dans son univers, mais qui ne sacrifie rien de la liberté artistique chère aux industries européennes. Un cocktail très puissant… et idéal à siroter dans les festivals de cinéma. L’ingrédient principal restant la radicalité d’un scénario qu’elle n’a jamais essayé de tempérer :
« Parce qu’à partir d’une même idée, il y a des films différents. Et pour moi, l’écriture c’est vraiment ça, c’est trouver quel est son film à soi. La mise en scène me vient en même temps que l’écriture. En fait, je recherche énormément de visuels, j’écoute beaucoup de musique. Les strates qui vont amener à l’excès, à la non-retenue, sont les choses qui me plaisent le plus.
C’est-à-dire que je vais chercher ça, en fait. Je vais chercher cet état presque de transe, où je rentre dans une scène que je visualise, que j’entends et qui me permet surtout d’exprimer une énergie de lâcher prise, une énergie cathartique. Et je vais chercher ces scènes-là. En fait, en écriture, je construis presque mes films pour arriver à exprimer ces scènes-là. »
Le résultat, c’est une salle cannoise sidérée, un prix du scénario et surtout un énorme succès (plus de 42 millions de dollars au box-office à l’heure où sont écrites ces lignes), notamment grâce à la promotion très efficace du distributeur Mubi.
À l’entendre, Coralie Fargeat semble avoir trouvé le système qui lui correspond et lui permet de développer ses histoires pleines de sang et de chair sans non plus s’exiler outre-Atlantique, avec ce que ça suppose de contraintes. D’aucuns diraient qu’elle a contourné la frilosité de la production française pour certains types de projets. On pense plutôt qu’elle a su tirer le meilleur du cinéma de son pays.
La réalisatrice la moins subtile de la planète. Mais elle a le mérite d’exister
@Geoffrey : je pose mon commentaire ici étant donné que ceux sur « la critique va mal » ont été fermés…tous mes commentaires sur les fautes de participe dans les articles sobt systématiquement supprimés (sans faire les corrections dans les news en plus). Il faudrait peut-être vous rendre compte que vous vivez grâce à votre public et qu’on ne vous dit pas ça pour vous foutre dans la sauce…
Hâte de voir ses futures réalisations !
En espérant que ce film inspire à son tour, comme Titane, le monde du cinéma.
Coralie Fargeat une réalisatrice de talent c’est certain .