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Cette scène horrifique qui a tout changé pour l’animation : la transformation dans Blanche-Neige

Par Ange Beuque
15 mars 2025
Cette scène horrifique qui a tout changé pour l'animation : la transformation dans Blanche-Neige © Walt Disney

« Les dessins animés, c’est pour les gosses ! » Walt Disney ne pouvait ignorer qu’il passait pour un dingue en se lançant corps et âme dans Blanche-Neige et les 7 nains. Alors il a décidé de donner tort à tout le monde en puisant dans l’horreur pure pour terrifier le public dans une scène inoubliable.

Frankenstein et ses suites, L’Homme invisible, Dracula interprété par Bela Lugosi… ils sont tous au rendez-vous des années 30 et rencontrent un franc succès. Mais la meilleure scène horrifique de cette période est peut-être à chercher du côté de Blanche-Neige et les Sept Nains !

L’affaire semblait pourtant entendue : un long-métrage d’animation ne pouvait s’apparenter qu’à une épuisante succession de sketchs. Si le film a triomphé contre toute attente, au point de donner à la technique ses lettres de noblesse, c’est parce qu’il a su s’adresser à tous. Quitte à oser flanquer la trouille à son public, notamment dans la scène glaçante de la transformation de la reine…

Une scène-clé spécifiquement voulue par Disney

Trois ans de développement, 750 artistes et un studio proche de l’éruption : on le sait, Walt Disney croit suffisamment en son bébé pour tout lui sacrifier. Chaque seconde de film réclame énormément de temps et d’argent. De 250.000 dollars initialement prévus, le budget est quasiment multiplié par six ! Chaque séquence doit donc être soigneusement pesée en amont, histoire de ne pas dilapider des mois de travail.

Parmi les coupes nécessaires par rapport au conte de Grimm, le temps d’écran de la reine est logiquement raccourci. Ses méfaits en sont d’autant amoindris : plusieurs tentatives de meurtre, par corsage et peigne interposés, sont évacuées.

Pour compenser, il faut une scène percutante, susceptible de marquer les esprits et l’ériger au rang de méchante légendaire. Ce sera la transformation en sorcière, inventée spécialement pour l’adaptation. On la retrouve dès les premières ébauches de scénario en 1934, le déguisement de vendeuse devenant une métamorphose en bonne et due forme.

La fiancée de Frankenstein

Exit la beauté glaciale inspirée de Joan Crawford : il faut faire muter brutalement son apparence, un peu à la manière d’un loup-garou. Les animateurs sont incités à puiser dans les films d’horreur qui pullulent, notamment le Dr Jekyll et Mister Hyde de 1931 de Rouben Mamoulian, mais aussi celui de 1920.

Cette bascule horrifique n’arrive pas tout à fait de nulle part. Contrastant avec les sérénades sirupeuses ou les gaffes des nains, la fuite dans la forêt flirte déjà avec la fantasmagorie : la panique de Blanche-Neige contamine l’écran, la flore semble devenir hostile et les arbres tentent de s’emparer d’elle.

Le fantôme vivant

L’effet d’anticipation

Le miroir vient de vendre la mèche : Blanche-Neige a survécu et irradie de sa beauté insolente au fond des bois. C’en est trop : comprenant qu’elle a été dupée, la reine se dirige d’un pas furieux vers son laboratoire et sa scène d’anthologie. Celle-ci est animée par Art Babbitt et Joe Grant.

La souveraine s’enfonce dans son souterrain par un escalier en colimaçon, sur la colonne centrale dont l’ombre portée pourrait brièvement suggérer une silhouette encapuchonnée. Sur son trajet, les présages funestes se multiplient : elle pénètre dans le cachot entre un squelette pendu au mur et des crânes puis passe devant un tombeau. Bougies, sablier, grimoires, alambics éructant complètent l’attirail du parfait détraqué. L’effet d’attente fonctionne à plein.

Blanche-Neige et les Sept nains
Celle qui avait tué la mort

Avant de s’atteler à la potion, la reine énonce son plan, évoquant un travestissement sans en préciser l’ampleur. Lorsqu’elle commence à concocter sa mixture, les animateurs procèdent par métonymie, chaque ingrédient disséminant quelques éléments de son imminente monstruosité.

C’est par sa voix qu’on la devine, avant qu’une première émanation de son rire sardonique nous glace les sangs. Suspectant l’importance de ce rire, la doubleuse en version originale Lucille La Verne prit la décision pendant l’audition de retirer son dentier pour le faire retentir, ce qui lui permit de convaincre de sa capacité à assurer l’alter ego maléfique.

Freaks – La Monstrueuse Parade

Le hors-champ

Tandis que se déchaîne un orage à éveiller la créature de Frankenstein, le public est égaré à coups de visions psychédéliques. La reine s’étrangle et notre vue se trouble d’un tourbillon sensoriel, comme si nous éprouvions ses symptômes. On n’aperçoit encore de sa transformation que quelques détails : les mains qui se déforment, la chevelure blanchie…

Les animateurs retardent au maximum son apparition pour nous prendre au piège de nos projections, et misent sur le hors-champ en capturant en priorité la réaction terrifiée du corbeau. Une fois la métamorphose achevée, nous ne distinguons d’abord que son ombre et sa voix éraillée. Même lorsque la « caméra » pivote, la vieillarde se dissimule le visage derrière sa manche, ne nous révélant qu’un œil durci.

La tronche des spectateurs

Alors seulement elle se dévoile en pleine lumière, semblant se jeter sur nous à la faveur d’un zoom brutal. Le corbeau terrifié vacille. La question du regard apparaît comme le trait d’union de la scène : celui de la reine, dévoré de jalousie, et celui des spectateurs subjugués par ce qu’elle devient. Après tout, il ne peut y avoir de monstruosité sans regard porté.

Si l’animation est un genre à part entière capable de s’adresser à tous, elle le doit en partie à cette scène pionnière et à son audace horrifique. Reste à voir si le remake 2025 osera transformer Gal Gadot en une créature suffisamment repoussante, et avec autant de maestria, pour arriver ne serait-ce qu’à la verrue de son illustre devancière…

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