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La Clef : menaces d’expulsion au cœur du dernier cinéma associatif parisien

Par Mathieu Jaborska
30 janvier 2022
MAJ : 3 février 2022
2 commentaires
Max Pécas : photo

À deux doigts de l’expulsion, le collectif La clef Revival  a ouvert les portes du cinéma La Clef. Le dernier acte d’un combat de longue haleine.

La file d’attente atteint le bout de la rue. Face au flux, les organisateurs promettent une séance supplémentaire. À l’intérieur, on discute entre deux bières, de politique et de cinéma. Cette petite foule n’est pas là pour le dernier blockbuster en date, mais pour un documentaire, retraçant les soirées de gogo dancing et de strip show lesbien underground dans le Los Angeles du début des années 2000. Réalisé par Leilah WeinraubShakedown assume d’être à la croisée d’une culture dissimulée et de l’émergence de la vidéo domestique de l’époque, proposant de fait une expérience esthétique et historique assez précieuse.

Toutefois, si les spectateurs sont venus si nombreux, c’est aussi et surtout pour soutenir un collectif, qui occupe les locaux du cinéma La Clef, rebaptisé La Clef Revival, dans le 5e arrondissement de Paris. Le 21 janvier, il a annoncé un risque d’expulsion imminent et une semaine de portes ouvertes. Depuis, les séances s’étalent de 11h à 23h. Tous les jours, à 19h, des personnalités artistiques et politiques prennent la parole pour défendre l’établissement, afin de le faire vivre le plus intensément possible, jusqu’à la date fatidique, estimée à tout début février. Avant la projection, ce vendredi 28 au soir, l’un des bénévoles avoue la fatigue de l’équipe. Mais pas question de baisser les bras.

 

Shakedown : photoShakedown, témoin d’une joyeuse effervescence sous pression légale…

 

Une histoire d’amour et de désir

La lutte ne date pas d’hier. Ouvert à la fin des années 1960, la clef a toujours été un lieu de découverte filmique, malgré son rachat en 1981 par le comité d’entreprise de la Caisse d’Épargne. Mais en 2015, le propriétaire fait part de sa volonté de le vendre. L’exploitant a beau négocier pour le racheter lui-même, deux ans durant, il finit par fermer, au grand dam des habitués. Afin d’empêcher l’action du comité, qu’elle soupçonne de viser la spéculation dans cet arrondissement désormais si onéreux, une bande de cinéphiles militants occupe alors les salles, à partir de septembre 2019, et commence à y projeter des films.

Son objectif est affiché sur son site : « Nous nous engageons à ne plus occuper le lieu dès que nous aurons la confirmation écrite et orale, et devant témoins journalistiques et juridiques, que ce cinéma restera un cinéma indépendant parisien, et un cinéma associatif avant toute chose. » Le début d’un bras de fer avec le CSE, qui va jusqu’au tribunal. Le collectif bénéficie d’un sursis, mais se retrouve vite expulsable. Concrètement, il a jusqu’au 21 juin 2021 pour trouver une solution.

 

Max Pécas : photoDu soutien, dedans et dehors

 

Il se cherche alors des partenaires, et se retrouve en négociation avec le groupe SOS, qui s’est fait, selon ses dires, une spécialité de secourir les lieux sociaux en détresse économique. Sauf qu’après une recherche, les membres de La Clef Revival refusent d’accorder leur confiance à ce mastodonte du milieu et aux casseroles qu’il trimballe derrière lui, allant des accusations de conflit d’intérêts aux potentielles entorses aux droits du travail. Un choix largement expliqué dans une tribune publiée sur le blog de Mediapart. Le groupe se passe de leur avis : il négocie directement avec le CSE de la Caisse d’Épargne et conclut un accord pour 4,2 millions de dollars. Pour acter la vente, il faut cependant vider le bâtiment.

Revendiquant une passion pour la culture et le souhait de faire de La Clef un « laboratoire » (les termes du dirigeant, Nicolas Froissard, dans Le Monde), Le Groupe SOS use donc de sa puissance économique pour contourner l’opinion des actuels occupants. Faute d’une préemption de la mairie de Paris, pourtant largement sollicitée, il compte lui aussi sur l’expulsion d’une communauté qui a beaucoup fait pour la renommée du cinéma. Accusé de profiter de la notoriété actuelle du lieu, le groupe SOS s’est fendu d’un communiqué réfutant les « contre-vérités » des militants et ne cesse de pointer du doigt – via son porte-parole – un problème de sécurité présumé par la justice. Le groupe serait prêt à leur garantir une « totale indépendance » après rénovation.

 

Max Pécas : photoAffiches de circonstance

 

La clef du succès

La méfiance de La Clef Revival est néanmoins cohérente. Occupé, La Clef est un lieu culturel autogéré, qui propose des séances à prix libre, témoignant d’une volonté d’accessibilité. La programmation y est éclectique, mais surtout profondément politique. Il s’agit de dévoiler des cinématographies peu à leur place dans les circuits de distribution traditionnels. L’auteur de ces lignes peut en attester, lui qui a pu y découvrir le rare long-métrage d’un de ses cinéastes de coeur – Sono Sion – sur grand écran. Antiporno en salles, c’est quelque chose. Et c’est sans compter les ambitions créatives du collectif, qui accompagne de jeunes auteurs sans le sou.

Peu étonnant donc qu’il rejette la proposition d’un super-groupe prétendant accumuler les acquisitions immobilières (700 millions d’euros de valeur, rien que ça) pour s’attirer les faveurs des banques, qui plus est quand il est dirigé par l’un des pontes de la République en Marche. La clef prône une culture sous forme de contre-pouvoir, qui ne saurait tomber dans l’escarcelle d’une entité appliquant ses méthodes au monde social. SOS est accusé de pratiquer une politique néolibérale en opposition totale avec l’horizontalité défendue par les occupants.

 

Antiporno : photoLes couleurs d’Antiporno, faites pour le grand écran

 

Une horizontalité radicale au niveau de la gestion et la programmation qui leur a valu beaucoup de soutiens (nombreux sont les acteurs et cinéastes à se manifester, comme Leos Carax, qui présentera une carte blanche lundi 31), mais aussi quelques détracteurs. Reste qu’au fond, la situation de la clef dépasse les querelles d’idéaux entre cinéphiles, surtout aux vues de ce qu’elle représente aujourd’hui.

À savoir un symbole à l’échelle francilienne de la résistance face aux monopoles qui menacent aujourd’hui la culture et le cinéma. Quand même la notion d’indépendance doit ironiquement dépendre de superstructures aux méthodes opaques, quand même de grands groupes comme UGC se retirent des bastions cinématographiques comme les Champs-Élysées pour laisser la place à d’autres hôtels de luxe, quand les distributeurs indépendants se battent contre l’hégémonie des majors prédatrices et d’autres plateformes formatées, le combat de la clef semble primordial et son évacuation dramatique.

 

Max Pécas : photoDeux salles, une ambiance

 

Quoi qu’on pense de ses choix, ils méritent d’être médiatisés, principalement parce que son modèle donne un peu d’espoir aux amateurs de cinémas pluriels (on y projette aussi bien des courts-métrages autoproduits que des grands classiques, souvent en présence des artistes). Avec le temps, il s’est créé un vrai groupe de fidèles. Alors qu’on présume perdantes les initiatives du genre, il serait pour le moment potentiellement pérenne. L’appel aux dons pour un fonds de dotation a été un succès avec 100 000 euros collectés. Le projet de reprise fait rêver. Si La Clef Revival est un succès, pourquoi devrait-il céder ? Et pourquoi ne pas profiter de ces instants, qui, on l’espère, ne seront pas les derniers ?

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Numberz

Beau papier, belle défense. A contre courant journalistique pro gouvernement. Soutien à ce cinéma et merci Mathieu.

Bob nims

Sauvez ce cinéma !