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Bac Nord : Cédric Jimenez est « halluciné » par la récupération politique de son film

Par Mathieu Victor-Pujebet
4 février 2022
MAJ : 3 septembre 2023
39 commentaires
photo, François Civil, Karim Leklou

Le film polémique Bac Nord a été projeté devant le syndicat Alliance en présence de personnalités politiques : son réalisateur Cédric Jimenez s’en indigne.

Alors qu’il a reçu sept nominations au César 2022, le film Bac Nord de Cédric Jimenez continue de faire parler de lui. Pour rappel, les polémiques ont débuté lors de la projection du long-métrage au Festival de Cannes 2021, où un journaliste anglophone avait souligné le potentiel politique – plutôt très à droite – du film, avant qu’un certain nombre de personnalités politiques (essentiellement d’extrême-droite) s’en emparent pour mettre en lumière ce qui serait la réalité du quotidien de la police française dans certaines banlieues. 

En effet, Bac Nord raconte l’histoire vraie de policiers de la BAC arrêtés et mis en prison pour avoir usé de méthodes illégales pour démanteler un trafic de drogue dans les cités marseillaises. Et après toutes ces polémiques, le sujet Bac Nord est revenu sur le devant de la scène suite à une projection du film organisée par le syndicat de police Alliance, avant une conférence politique de candidats à l’élection présidentielle de 2022 (Marine Le Pen, Éric Zemmour et Valérie Pécresse étant les trois à avoir accepté l’invitation) ainsi que Gerald Darmanin (ministre de l’Intérieur actuel et représentant de Emmanuel Macron à la conférence).

Le réalisateur Cédric Jimenez s’est exprimé au sujet de cette projection, dans le cadre d’une interview donnée à France Inter :

 

BAC Nord : photo, François CivilQuand tu te rends compte que ton film est repris par l’extrême droite.

 

« Je l’ai appris très tard, en fin de semaine dernière. Je sais qu’ils ont demandé au producteur la bande-annonce, ce qu’on a refusé. Malgré ça, on ne peut rien faire, on ne peut pas empêcher les gens de visionner le film. […] On ne peut rien faire. C’est dérangeant, cela m’ennuie beaucoup, parce qu’un film reste une œuvre cinématographique et il ne peut pas devenir un objet politique. Moi, je suis très gêné par ça.[…]

Je le répète, c’est un film, pas un documentaire ni une caméra cachée. J’ai fait un film avec un point de vue. C’est une affaire très particulière, exceptionnelle, où des flics se sont retrouvés en prison. Cela n’arrive pas tous les jours. Ça ne représente ni le quotidien des quartiers ni celui de la police. Ils ne font pas des opérations comme ça tous les jours, toutes les semaines, c’est faux, donc c’est un film, une fiction, qui se concentre sur une affaire judiciaire.

 

BAC Nord : photo, Gilles LelloucheQuand la tension du film déborde dans le débat public…

 

C’est comme si on disait qu’après avoir vu Scarface, on considérait que tous les exilés du régime de Castro étaient des gangsters. Ce n’était évidemment pas le cas. Il faut quand même rester à hauteur de cinéma et à la hauteur de ce que le film raconte, non pas d’un point de vue idéologique, mais d’un point de vue narratif. Tout ce que j’entends, ce que je peux lire, me paraît complètement démesuré et me paraît assez absurde compte tenu de ce qu’est un film. […]

S’il y a une récupération politique à chaque fois que le propos d’un film touche à quelque chose de politique, ça veut dire qu’il ne nous reste plus qu’à faire des comédies familiales. Des choses qui sont vraiment très, très inoffensives. C’est inquiétant de façon générale, pas juste pour mon cas. Si on fait du cinéma, c’est bien parce qu’on a choisi de ne pas faire de la politique. […] J’espère quand même qu’il y a d’autres solutions pour parler des problèmes des fonctionnaires de police, pour parler des problèmes sociaux dans les cités. »

 

Bac Nord : photo, François CivilEt toi : t’es allé voir le film pour la polémique ou pour François Civil ?

 

Cédric Jimenez s’indigne donc de la façon avec laquelle son long-métrage a été repris à des fins politiques. Le cinéaste met en avant le fait que son film n’avait pas vocation à prendre le pouls de la France des quartiers ou à être une peinture réelle du quotidien des policiers de la BAC.

Le réalisateur affirme avoir voulu dépolitiser complètement son film, contrairement aux candidats à la présidentielle qui n’ont eu de cesse de gaiement déclarer que cette oeuvre de fiction retranscrivait de façon précise la réalité des banlieues ou de la vie des policiers français. Libre à chacun de penser ce qu’il veut de l’aspect politique du cinéma, néanmoins, notons que ces débats et polémiques autour du film ont bien servi sa communication puisque lors de sa sortie en août 2021, celui-ci s’est envolé au box-office au-delà des 2 millions d’entrées – en période pandémique, rappelons-le.

 

Bac Nord : photo, Karim Leklou, François Civil« Le cinéma doit-il être politique ? Vous avez trois heures »

 

Cette année, Cédric Jimenez va revenir avec un nouveau long-métrage, Novembre, qui sortira au cinéma le 5 novembre 2022. Le film qui suivra des policiers lors de la traque antiterroriste suite aux attentats du 13 novembre 2015. Avec un autre sujet aussi tendu, il est fort probable que le nom de Cédric Jimenez résonne encore beaucoup en 2022.

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Bourguignon

Ce film très dur ne fait que confirmer ce que je pense depuis longtemps: on ne peut pas continuer ainsi dans cette lutte perdue d’avance contre la drogue, surtout si elle se transforme en affrontement ethnique (en raison de l’origine d’une grande partie des populations des quartiers qui en vivent) et s’il faut utiliser des méthodes illégales comme les trois policiers du film lâchement abandonnés par leur hiérarchie.
Il n’y aura pas d’autre solution que de depenaliser et legaliser les drogues. TOUTES les drogues.

castor

Pas beaucoup de journalistes ont été choqués par les films Bronx et De Guerre lasse qui montrent les corses comme des mafieux de la pire espèce à Marseille . En revanche quand dans Bac Nord une autre criminalité est montrée là ils font les pleureuses. Bref la polémique passe mais le film reste excellent notamment grâce à son côté brut de décoffrage . Bac Nord ringardise une grande partie de la production fr , dont les films de Marchal. C’est notre Training Day à nous.

Vulfi

@Roxy et @SimonRiaux

Je suis nouveau sur le site et je découvre la branche commentaires. Il se trouve que certains messages ne passent pas, parfois. Qu’il faut recliquer tout de suite pour que ça marche. Il m’est arrivé aussi de voir un message publié puis disparaître très rapidement, après un simple « refresh » (F5). Lisant régulièrement que des personnes s’estiment censurées, je pense qu’il y a qqch à creuser au niveau du logiciel des commentaires. Personnellement, je prends soin de copier chaque message que j’écris avant de l’envoyer. Histoire de ne pas le perdre s’il ne passe pas. Ce n’est pas hyper confortable mais c’est un moindre mal. En tout cas je n’image pas une seconde qu’il puisse y avoir de la censure sur Ecran Large. Le fait que plusieurs rédacteurs répondent régulièrement aux commentaires prouvent à mon sens que la discussion y est au contraire toujours permise.

Sur le fond, Roxy, j’ai envie de te répondre : encore heureux qu’une récupération de l’extrême droite suscite plus de polémique que de la part de n’importe quel autre bord. L’extrême droite c’est la hiérarchisation de toute la population en fonction des croyances, des origines, de la couleur de peau, de l’orientation sexuelle, du genre et même de la classe sociale. C’est ni plus ni moins qu’une version d’En Marche et LR mais en mode décomplexé, ces deux partis y étant par ailleurs allés gaiement ces dernières années pour reprendre à leur compte certaines idées nauséabondes de l’extrême droite. Encore heureux qu’il reste des personnes que ça choque dans l’espace publique.

Simon Riaux

@Roxy

Il n’y a pas de censeurs chez EL. Le site est le canal d’expression de ses rédacteurs, et à ma connaissance, personne ne s’y considère censuré en rien. Tout au plus veille-t-on, avec pas mal de largesse, à ce que les commentaires n’y soient ni excessivement agressifs, insultants ou intolérants. Mais par définition, dégager tel ou tel commentaire n’a rien d’un acte de censure. C’est veiller à la tenue de la ligne éditoriale du site.

En ce qui concerne votre commentaire, quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, personne ne dit que la droite c’est le mal, et ce n’est initialement pas elle qui s’est emparée du film, mais bien l’extrême droite, qui a tenu à le décrire comme un quasi-documentaire. Ce qui en plus d’être obscène, relève d’une manipulation assez grossière. Un soutien de la gauche eut-il déclenché moins de réactions ? L’accueil favorable de Les Misérables par une aile plutôt à gauche a été accompagné il y a quelques années un torrent de haine et de racisme…

Les prods de droite américaine assumaient-elles plus ouvertement leur positionnement politique ? C’est très discutable. Les auteurs de Dirty Harry l’assumaient si peu qu’ils ont été vent debout contre les attaques de Pauline Kael, qui décrivait justement le film comme une dérive droitière. Ils l’assumaient si peu qu’ils ont tenté de prendre le contrepied idéologique du premier opus dès le 2e film.
Du reste, ni Dirty Harry, ni Death Wish n’ont jamais prétendu prendre la température du réel. Ils s’assumaient comme des divertissement populaire, aux antipodes de la réalité. Ce qui rendait sans doute leur positionnement moins remuant.

Je ne suis pas convaincu que l’époque soit à la protection des communautés (je pense plutôt le contraire), et je ne suis pas convaincu non plus que veiller à ne pas offenser soit intrinsèquement une mauvaise chose. Sauf à considérer que se voir mutuellement comme les paillassons les uns des autres soit positif, ce qui est quand même assez discutable.

Roxy

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Simon Riaux
Ah oui, autant pour moi, je disais aussi que si le film avait été récupéré par un syndicat de gauche ou d’extrême gauche, personne n’en aurait parlé (à commencer par le réalisateur) mais que la droite, de nos jours, c’est le mal absolu. Je disais aussi que les réalisateurs de films comme Death Wish ou Dirty Harry assumaient pleinement l’orientation « politique » de leurs films (contrairement à Jimenez, de toute évidence) et que de nos jours, on veille surtout à n’offenser aucune communauté, que ce soit dans les films, les livres, etc.

Si ce commentaire ne saute pas, alors c’est qu’un petit censeur a sévi sur Ecran Large sans que vous le sachiez, car c’est exactement ce que j’avais écrit dans l’autre message qui a disparu. Je ne vous accuse pas vous Simon (car rien ne dit que c’était vous) mais sachez que tous les modérateurs n’ont pas forcément la même lecture et la même tolérance pour les commentaires n’abondant pas dans leur sens.

Joey Joe Joe Junior Shabadoo

Certains chercheurs et certaines personnalités du cinéma affirment que tout film est politique (même le divertissement le plus quelconque). Cedric Jimenez semble ne pas être d’accord avec ça (ou il cache bien son jeu ?). Dans tous les cas, quand tu transposes une histoire vraie au cinéma, tu auras beau affirmer que c’est une fiction, quelque part tu prends forcément parti

Simon Riaux

@Roxy

La preuve que non.

Roxy

Mon commentaire a été supprimé parce que je disais simplement regretter le cinéma de droite des années 70 qui s’assumait en tant que tel (Dirty Harry, Death Wish, etc.). Conclusion : en 2022, revendiquer être de droite vous vaut d’être censuré sur Ecran Large !

Idriss34

Je viens de le voir.
Disons que ça décrit une certaine réalité, pas une réalité certaine… 😉
Ce que j’ai apprécié c’est qu’on ne présente pas les voyous plus ou moins gros comme des victimes, ni qu’on ne présente les politiques ou même la police comme tous « irréprochables ».

Les hommes politiques qui tirent profit de la moindre opération de terrain ou « scandale » de la police, du moindre film (mise en abîme magnifique!) c’est à mon sens ça le problème.

Les politiques sont la plus grosse mafia légale mais pas légitime de ce pays.
Les impots déjà , du verbe IMPOSER , c’est un vol légalisé.
D’où ils se servent dans nos poches à chaque production de bien ou service ou même achat (TVA)?

Et que ça se paye du homard etc sur le dos des con tribuables!
Politiques véreux, trafiquant de drogues dures des cités ou des beau quartiers, voleurs de tous les milieux , en taule ou repentez vous!

Vulfi

C’est un ressort vieux comme le monde de se prétendre apolitique, ça permet de créer un écran de fumée devant ses idéaux, mais on sait très bien que l’apolitisme n’existe pas.

Par exemple un abstentionniste est évidemment politisé dès lors qu’il regrette l’absence de représentation de ses idéaux chez les partis traditionnels et qu’il choisit de refuser le vote. Il ne dira d’ailleurs jamais « moi de toute façon je suis apolitique. » Cette phrase, elle est prononcée par des gens qui s’en foutent, qui sont résignés ou qui estiment que chacun doit s’en sortir par lui même dans la vie, sans les partis politique. Ces gens là sont évidemment politisés aussi et prônent en l’occurence des idées communes avec la droite traditionnelle. L’apolitisme n’a jamais existé. Ce qui existe, c’est la lâcheté et le refus d’assumer publiquement sa vision de la société.

Il me semble que ce Cédric Jimenez vient justement d’être pris en flagrant délit de lâcheté. Son film est éminemment politique et il avait préféré ricaner avec Lelouche quand on lui avait posé la question d’une éventuelle récupération de l’extrême droite, bien avant celle-ci. Aujourd’hui il ne ricane plus. Aujourd’hui il se planque. Mais son attitude ne diminue en rien le propos politique de son film, qu’on le défende ou qu’on le fustige.