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Pourquoi Le Pacte des loups avait tout compris à la pop-culture (interview de Christophe Gans)

Par Mathieu Jaborska
10 juin 2022
MAJ : 15 juin 2022
34 commentaires
Le Pacte des loups : Affiche officielle

Avant notre grande rétrospective sur sa carrière et à l’occasion de la ressortie du film en version longue restaurée 4K, l’immense Christophe Gans nous parle du Pacte des loups.

D’abord projeté au Cinéma de la plage pendant le Festival de Cannes, Le Pacte des loups ressort en salles ce 10 juin, dans une version 4K flambant neuve, supervisée par monsieur Gans en personne à partir du négatif original. Un évènement : cette nouvelle copie est de qualité (grâce au nouvel étalonnage, les effets spéciaux tiennent contre toute attente encore la route) et le film est resté culte.

À l’époque, Le Pacte des loups était le pinacle de la superproduction à la française à succès, qui roulait sur le box-office avec quelque 5 millions d’entrées dans l’Hexagone, et s’exportait particulièrement bien outre-Atlantique.

 

Le Pacte des loups : photo, Samuel Le Bihan(Im)pacte

 

La rage du loup

Tant et si bien qu’il bénéficie aujourd’hui d’une très bonne réputation aux États-Unis. Chez nous, pourtant, il n’a pas fait l’unanimité. On lui reprochait ses excès, ses audaces, son ambition et même son manque de rigueur historique (oui, c’est stupide). Aujourd’hui, ses références à tout un pan du cinéma hongkongais sont mieux digérées par le grand public, tandis que sa générosité visuelle et thématique frappe encore. On a rencontré le réalisateur Christophe Gans, qui nous a révélé tout de go comment il a inséré sa cinéphilie dans le projet, dès son écriture :

« Quand je lance Le Pacte des loups, je reçois d’abord le script de Canal+ écriture. Canal+ écriture à l’époque était dirigé par un ami à moi qui est François Cognard, encore un ancien de Starfix. Je reçois ce script absolument formidable, je me rappelle l’avoir lu en une nuit. J’ai trouvé ça génial. Je connaissais bien l’affaire de la bête du Gévaudan, depuis longtemps parce que, quand j’étais gosse, je m’intéressais aux légendes, au Folklore, les machins comme ça.

Donc j’étais parfaitement informé de ce que c’était et en même temps j’y ai vu la possibilité de faire un film sur la chevalerie, qui soit très largement sous influence wu xia pian, des films de Hong Kong et plus particulièrement des films de la Shaw Brother et notamment de La Rage du tigre qui est en fait le film séminal du Pacte des loups. »

 

Le Pacte des loups : photoDes capes, des épées et du feu

 

Preuve en est du personnage de Mani, interprété par Mark Dacascos, avec lequel Gans avait déjà tourné Crying Freeman, et ajouté lors des réécritures pour incarner cet héritage martial.

« C’est d’ailleurs pour ça que pour pouvoir faire Le Pacte des loups, je prends un des personnages qui, dans le script, était un personnage pratiquement inexistant, un porteur de valise indien, et j’en fais le personnage de Mani, qui devient cette espèce de Chaman guerrier… Donc très influencé par mes lectures de Robert Howard, je me dis que ça va être mon personnage d’heroic fantasy.

Mais à travers le personnage de Mani, c’est en fait toute une tradition des films de chevalerie et notamment d’un chevalier interprété par un immense acteur de Hong Kong qui s’appelle Ti Lung [comédien très célèbre pour ses rôles chez Chang Cheh, Chu Yuan et John Woo, ndlr] et c’est vraiment ça que j’essaie de faire. 

Il va être ce chevalier magnifique sacrifié au milieu du film et son pote va en quelque sorte prendre son esprit pour affronter les méchants et donc l’homme qui affronte les méchants à la fin est une sorte de symbiose entre le chevalier mort et son copain. C’est littéralement du Chang Cheh à la lettre, on va dire les choses comme elles sont. »

 

Le Pacte des loups : photo, Mark DacascosÇa déconne pas

 

Berserk, Angélique et Shaw Brothers

Forcément, quand les spectateurs, pour la plupart néophytes du cinéma asiatique, découvrent les scènes d’action du long-métrage et la mise en scène virevoltante de Gans, ils ne goûtent pas forcément à ce « pot-au-feu » culturel. La scène de baston entre Mani et les chasseurs, chorégraphiée par le grand Philip Kwok, aussi bien moquée qu’admirée, devient un symbole de ce mélange des genres assez inédit… et désormais bien plus largement accepté.

Mondialisation oblige, les esthétiques et les idées des quatre coins du monde fusionnent, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Le Pacte des loups, à l’instar de Matrix aux États-Unis, serait-il un précurseur de la culture pop contemporaine ? Peut-être bien.

 

Le Pacte des loups : photoMes pieds, je les mets où je veux…

 

« Quand on analyse les grands films de chevalerie chinois, c’est toujours ce genre de mécanismes. Sauf que moi je les transporte à l’intérieur de l’histoire française, donc à l’époque c’est une surprise pour les gens qui voient ça. Mais en même temps, Le Pacte des Loups anticipe un métissage qui est devenu aujourd’hui pratiquement mainstream. À l’époque, le film est perçu par certaines personnes comme bizarre, mais en fait le film est simplement en avance sur un phénomène inéluctable, celui de la pop culture et de la globalisation de la pop culture.

Surtout à travers la bande dessinée japonaise par exemple, qui emprunte partout et à tout. Je prends un chef-d’oeuvre de la BD japonaise comme Berserk, je veux dire Berserk c’est à la fois une histoire occidentale et une histoire totalement imbibée par les grands mythes des samouraïs et tout ça. Berserk est un très bon exemple. Bersek fait partie pour moi du même pot commun que Le Pacte des loups, de toute évidence. »

 

Le Pacte des loups : photoC’est pas comme ça qu’on porte le masque

 

Le film pioche autant dans le wu xia pian que dans les grands films de cape et d’épée occidentaux ou les oeuvres françaises comme Angélique, marquise des anges, que le cinéaste voit comme un « lointain descendant » du Pacte des loups. En 2022, impossible de le considérer comme le plus américain des films français, uniquement parce qu’il bénéficie d’un budget conséquent et multiplie les scènes d’action. Un point de vue très répandu à l’époque.

« C’est un film qui est pétri d’influences, de toute évidence asiatiques et c’est pour ça que les gens à la sortie disaient : ‘Ouais c’est un film américain’. Je leur disais : ‘Non, ce n’est pas un film américain’, ça serait plutôt une espèce d’hybride entre le cinéma italien, de cape et d’épée et évidemment le cinéma asiatique, mais moi je n’ai jamais considéré le film comme américain. Je ne pense pas que les Américains feraient un film comme Le Pacte des loups. D’ailleurs, si Le Pacte des loups a autant marché aux États-Unis et fascine plein de gens aux États-Unis c’est précisément parce que c’est quelque chose qu’ils ne veulent pas faire, pas qu’ils ne savent pas faire, qu’ils ne veulent pas faire. »

 

Le Pacte des loups : photo, Émilie DequenneÉmilie Dequenne, pas si Angélique

 

Un pur objet de culture pop donc, à la fois humble et ambitieux, qui anticipait dès le début des années 2000 les qualités du cinéma grand public d’aujourd’hui. Plus de 20 ans plus tard, il reste d’ailleurs un divertissement de haute volée :

« Lorsqu’on le regarde aujourd’hui… Le plaisir qu’on a eu et l’absence de complexes avec lequel on l’a fait ont permis au film de voyager au départ, c’est-à-dire d’être regardé par plein de publics différents dans le monde. Mais, également, je crois que c’est ce qui lui permet aujourd’hui de tenir le choc, de tenir le coup. »

On n’aurait pas dit mieux. Et si Le Pacte des loups vous passionne, guettez notre grand dossier sur la carrière de Christophe Gans, qu’il nous a fait l’honneur de commenter.

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Zedd

J’aime trop ce film, j’attends le coffret 4K avec impatience

Willpinner

@mathieu Jaborska Il y a une question qu’il faudrait poser à Gans si vous ne l’avez pas fait, peut-être dans le cadre de votre dossier. On peut y apporter des réponses rétrospectivement mais j’aimerai beaucoup avoir SON analyse. Quand j’ai vu le Pacte des loups à l’époque et que j’ai vu qu’il cartonnait, je me suis dit ok, c’est parti, on va avoir un cinéma de genre digne de ce nom en France, enfin ! A peu près à la même époque sortait les Rivières Pourpres, moins intéressant parce que moins hybride, mais bien foutu et sans complexes. Qui avait bien marché aussi. On a vraiment cru que ça allait créer un précédent mais… non. Que dalle. Ou peu s’en faut. Pourquoi ?

Anderton

Commentaire envoyé trop vite!
Je recommence :
Une des rares tentatives du cinéma français à s’essayer à la pop culture, différemment de ce qui se faisait outre-atlantique… Je pense que ce film n’a pas vraiment percé en France car un peu parasité par « La vérité si je mens 2 » et son énorme succès qui résume parfaitement ce que le public français attendait d’un film français à cette époque…
Sans compter que la concurrence US était rude à ce moment-là : dans les semaines qui ont suivi la sortie du « Pacte des loups », il y a eu « Vertical Limit », « Traffic », « Hannibal » réduisant sans doute la fenêtre de tir du film de Gans…

Anderton

Une des rares tentatives du cinéma français à s’essayer à la pop culture, différemment de ce qui se faisait outre-atlantique… Je pense que ce film n’a pas vraiment percé en France car un peu parasité par « La vérité si je mens 2 » et son énorme succès parfaitement ce que le public français attendait d’un film français à cette époque…

Immacolata23

Gans restera à vie pour moi celui qui a fait aimer les arts martiaux à toute une génération de femmes .Crying Freeman,Eternel chezf d’oeuvre magnifiant Marc Dacascos…. Pour le pacte des loups …. Disons que l’ennui peut souvent gagner même si le film reste visuellement très beau

SebSeb

Ganz visionnaire, un des rares blockbusters français récents. Vivement qu’ils reviennent !

The Moon

Je salu le courage de Gantz d’avoir realiser ce film.
Pour ma part, je n’ai pas été hypnotisé par une scène du film comme je l’ai été lors du 1er meurtre dans crying freeman (la scène du restaurant, un exemple de cinéma rare, la scène est simple mais la mise en scène est fabuleuse…)

Castor

Le film a peut être tout compris à la pop culture mais strictement rien au fait divers qu’il adapte. Ça n’arrive même pas à la cheville de L’ombre et la proie.

Pseudonaze

Quelle coïncidence, j’ai voulu le remater il y a 1 mois car j’avais acheté le DVD collector à sa sortie, bon bah j’ai pas pu aller au delà des 45 premières minutes.
J’avais l’impression de regarder une version longue de la parodie Les liaisons vachement dangereuses des inconnus.

Hildegarnic

Moi aussi, du haut de mes fraichement 15 ans (le film était sorti 2 jours après mon anniversaire)
J’avais vraiment crû à une révolution dans le cinéma français avec les sorties qu’on allait avoir (et c’est là que tu te dis que 2001 avait été une année incroyable)

Malheureusement…