On était aux Utopiales 2022, et on y a vu plein de belles choses. Petite sélection.
Chaque année, le festival international de science-fiction des Utopiales rassemble passionnés de science, joueurs (de jeux de société, de jeux de rôles ou de jeux vidéo), rats de librairie, collectionneurs, curieux en tous genres et cinéphiles à Nantes. Après 22 éditions, la manifestation parvient encore à trouver un équilibre entre culture populaire et approche pointue, entre le fantasme et l’érudition. Un équilibre aussi rare que précieux. D’ailleurs, il ne trouve toujours pas d’équivalent en France.
Il aurait été fastidieux de traiter l’intégralité de la programmation cinéma, d’une part parce qu’elle est gigantesque si on compte les rétrospectives (comme celle, immanquable, consacrée à Rintaro). D’autre part parce qu’il est impossible de tout couvrir dans une seule dimension du multivers. Petite sélection de nos plus belles découvertes, piochées hors et en compétition.
Rintaro à jamais dans nos coeurs de pirates
Shin Ultraman
Pays : Japon – Durée : 1h54
Il va sans dire que les amoureux de la pop-culture japonaise ont vu dans cette édition une gigantesque orgie artistique, dont les deux acmés étaient la venue du gigantesque Rintaro et la projection, pour la première fois en France, du très attendu Shin Ultraman. Les inconditionnels de Neon Genesis Evangelion regretteront peut-être que l’ambiance très décontractée du film empêche Hideaki Anno de philosopher une fois de plus sur la nature quasi divine de ses personnages géants. Mais la frange du public décoiffée par Shin Godzilla (a.k.a Godzilla Resurgence) devrait y trouver son compte.
Et pour cause : cette variation autour de l’univers d’Ultraman assume dès le premier carton sa filiation avec le nouveau classique du Kaiju Eiga et reprend peu ou prou le même principe, de manière plus évidente encore. Les séquences de baston à ciel ouvert, remettant au goût du jour les codes visuels de l’émérite franchise, succèdent à des tunnels de discussions administratives écrabouillés par la mise en scène. Avec cette fois dans le viseur une organisation géopolitique pétrifiée par sa place dans l’organigramme international. Mais rassurez-vous : ça n’en reste pas moins un hommage jouissif à la licence issue d’Ultra Q.
Notre avis plus précis sur Shin Ultraman.
Maurice le chat fabuleux
Pays : États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne – Durée : 1h33
Maurice est un véritable escroc félin. En compagnie d’une petite troupe de souris bavardes et d’un ado maladroit, il sillonne le pays pour arnaquer les humains. Du moins jusqu’à ce qu’il débarque dans une ville peu accueillante. Ce pitch vous dit quelque chose ? Normal, il vient de Terry Pratchett. Ce pitch vous fait saliver ? Normal, il vient de Terry Pratchett. The Amazing Maurice est bien l’adaptation du Fabuleux Maurice et ses rongeurs savants, conte pour enfants situé dans la mythologie du Disque-monde.
Et le film, coproduction européenne techniquement très aboutie, s’adresse aussi aux marmots. De fait, elle hérite de quelques scories inhérentes à ce genre de projets, comme une mise en scène parfois très sage ou un style qui lorgne une fois de plus sur Pixar. Mais force est de reconnaître que l’aventure de Maurice et de ses compères est aussi inventive que divertissante, autant dans ses moments de bravoure que lorsqu’elle se réapproprie et parodie des contes et légendes populaires, dans un joyeux bordel dont Pratchett avait le secret. Amoureux de l’écrivain, vous devriez facilement succomber. Propriétaires de mioches, laissez-vous convaincre.
Viking
Pays : Canada – Durée: 1h44
Qui aurait cru que ce film-concept discret, sa direction artistique minimaliste et son idée saugrenue allaient conquérir le public des Utopiales et nos petits coeurs de snobinards ? Si les blagues de Maurice (ainsi que la portion non négligeable de chiards dans l’auditoire) lui ont valu un prix du public mérité, le jury a préféré récompenser Viking (avec une mention spéciale pour le très sympathique Unicorn Wars). Et c’est pour nous effectivement le gagnant des Utopiales 2022.
Ironiquement inspiré du Programme Viking, dont le robot martien avait un double à manipuler sur Terre pour prévoir un éventuel souci technique, le film met en scène une équipe de volontaires censée simuler les prises de bec des astronautes envoyés sur la planète rouge. Une idée casse-gueule dont les scénaristes Stéphane Lafleur et Eric K. Boulianne tirent une étude pince-sans-rire et parfois extrêmement touchante des comportements humains, des ambitions derrière la conquête spatiale et même du métier d’acteur. D’ailleurs, sans les performances de Steve Laplante et ses collègues, sa fragile architecture s’effondrerait. On en reparlera forcément le jour de sa sortie.
Les courts, toujours
Pays : partout – Durée : de 3 à 30 minutes
Les Utopiales, c’est aussi l’occasion de s’empiffrer de courts-métrages. Particularité du festival : ils y sont très populaires, plus que les longs-métrages. Tant et si bien que certaines séances de l’imposante salle Dune ont affiché complet. Ils étaient donc nombreux à rigoler de la délicieuse absurdité de Finito, comédie sur la fin du monde récompensée par le Prix Canal+, Prix du Jury et Prix du public. A également fait forte impression le très solide La Machine d’Alex, preuve, s’il en fallait encore, que Julia Ducournau et sa réappropriation des thématiques de Monsieur Cronenberg commencent à infuser la production française.
De notre côté, on retient l’humour psychédélique d’A Goat’s Spell, court d’animation qui s’amuse à mélanger toutes les techniques imaginables (dont la simulation VR) pour nous emmener dans la stratosphère de l’absurde. Des trips animés du style, les sessions en étaient truffées : Cuties, Megalomania, Rim, Drifter… Toutes ces couleurs sont de fait absentes du génial Creator, qui s’attaque avec panache et un sens de l’anticipation glaçant au problème très actuel des images générées par intelligence artificielle. Spoiler : il n’augure rien de bon.
Toujours rayon horreur, deux terrifiants exercices de style sont parvenus à titiller les frontières de l’indicible lovecraftien. While Mortals Sleep cite très explicitement le maître américain avec une histoire qui pourrait bien figurer parmi ses nouvelles les plus sombres si des dialogues ciselés et une mise en scène subtile n’en ajoutaient pas encore au cauchemar. From Beyond quant à lui, nous enfonce dans une misanthropie crasse et reconstitue un catalogue parcellaire des vices humains du futur, comme pour contredire toute la science-fiction optimiste. Voilà qui est fait.
Inu-Oh
Pays : Japon, Chine – Durée : 1h38
Présenté dans plusieurs festivals français (dont le FEFFS et l’Étrange Festival), Inu-Oh est venu ensuite secouer un peu les Nantais. Pas de pogos au programme, mais un opéra rock dantesque qui mixe et remixe la tradition et la modernité dans une joyeuse exaltation de l’expression artistique. L’histoire de la rencontre entre Tomona, un joueur de biwa aveugle, et Inu-Oh, un étrange personnage qui cache ses difformités derrière un masque, vire au concert punk, puis à l’acte de résistance défiant jusqu’aux ravages du temps.
Pour être tout à fait honnête, aux Utopiales, la bière est fraiche et conviviale. La contemplation d’Inu-Oh en bonne compagnie, après 3 verres et une journée complète de festival avait quelque chose d’hypnotisant, de sublime même, jusqu’au générique de fin et le retour aux nuits froides de novembre. À l’heure où est publié cet article pour la première fois, le long-métrage est toujours à l’affiche d’une centaine de salles en France. Il est encore temps de prendre part à la fête.