Films

Anatomie d’une chute aux Oscars : un arrière-goût amer pour la France (et ça leur servira de leçon)

Par Adrien Roche
25 janvier 2024
MAJ : 21 février 2024
17 commentaires
Anatomie d’une chute : que s'est-il passé pour que le film ne soit pas envoyé par la France aux Oscars ?

Malgré son succès, Anatomie d’une chute ne représente pas la France dans la catégorie du meilleur film international aux Oscars. On vous résume la situation.

Une Palme d’or, deux Golden Globes et désormais cinq nominations aux Oscars (en plus d’innombrables récompenses qu’on ne va pas compter pour pouvoir publier cet article un jour) : le succès d’Anatomie d’une chute surpasse toutes les attentes. Et pourtant, après son succès à Cannes, l’improbable s’est produit : le comité du CNC chargé de choisir qui représentera la France aux Oscars dans la catégorie du meilleur film international n’a pas envoyé le long-métrage de Justine Triet. Le gourmand (et génial) La Passion de Dodin Bouffant lui a été préféré.

Et même si le film de Tran Anh Hung a remporté le prix de la mise en scène à Cannes et qu’il est très apprécié, il est difficile de comprendre ce choix du comité. Voilà déjà plus de trente ans que l’Oscar du meilleur film international échappe à la France (le dernier succès date de 1993, avec Indochine de Régis Wargnier). Anatomie d’une chute semblait tout avoir pour nous offrir ce prix tant convoité, mais il faudra faire sans. À la place, Justine Triet a fait son chemin vers les grandes catégories, dont meilleur film et meilleure cinéaste. Mais que s’est-il passé ? Un boycott après la polémique de son discours cannois sulfureux à l’encontre du gouvernement ou un choix stratégique et logique ? On fait le point.

 

Anatomie d'une chute : photoSandra Hüller a été nominée dans la catégorie meilleure actrice aux Oscars, et c’est bien mérité

 

Anatomie d’un échec

Techniquement, envoyer un film avec Juliette Binoche et Benoît Magimel en tête d’affiche dans un film sur la gastronomie française n’a rien d’un drame. Sauf qu’en face, la Palme d’or paraissait être le choix évident. D’autant plus qu’au moment du vote final, le 21 septembre 2023, La Passion de Dodin Bouffant n’était toujours pas sorti dans les salles françaises, favorisant un peu plus l’incompréhension générale. Pour comprendre ce choix, il faut dans un premier temps savoir que seuls sept professionnels du cinéma ont participé à la sélection finale du film choisi pour être éligible dans la catégorie du meilleur film international.

Ces sept personnes sont Patrick Wachsberger (ancien patron de Lionsgate), Charles Gillibert (producteur d’Annette, entre autres), les cinéastes Olivier Assayas (Carlos, Personal Shopper) et Mounia Meddour (Papicha, Houria), la productrice Tanja Meissner, le compositeur Alexandre Desplat et l’agente de vente Sabine Chelamy. Selon Variety, le vote final aurait été de 4-3 en faveur de La Passion de Dodin Bouffant.

 

La Passion de Dodin Bouffant : photo, Juliette Binoche, Benoît MagimelQuand tu mets de l’huile sur le feu

 

Interviewé par L‘Obs, Olivier Assayas n’a pas été tendre avec le comité de sélection : « Je pensais venir débattre des qualités respectives des films, or certains sont arrivés en ayant déjà l’intention d’envoyer aux Oscars La Passion de Dodin Bouffant. Cela ressemblait à une campagne orchestrée. J’ai voté en fonction de ma conviction pour le film qui avait le maximum de chances ».

L’hebdomadaire a d’ailleurs révélé qui avait voté pour quoi : Patrick Wachsberger, Charles Gillibert et Olivier Assayas avaient donc voté pour Anatomie d’une chute quand Mounia Meddour, Tanja Meissner, Alexandre Desplat et Sabine Chelamy avaient donné leur soutien à La Passion de Dodin Bouffant. Variety a d’ailleurs ajouté qu’à la découverte du résultat, l’un des quatre votants du film culinaire aurait souhaité changer son vote mais n’en avait plus la possibilité.

 

Anatomie d’une chute : photo, Sandra HüllerSi près du but

 

Une leçon pour le cinéma français ?

Résultat des courses : Anatomie d’une chute a eu cinq nominations dans d’autres catégories, tandis que La Passion de Dodin Bouffant n’a même pas été retenu parmi les cinq finalistes pour le meilleur film international. Et pire encore, le pauvre Tran Anh Hung et ses comédiens se retrouvent au milieu d’une polémique qu’ils n’ont absolument pas demandé. Le film n’a d’ailleurs reçu que trois nominations aux César (contre 11 pour Anatomie d’une chute), prouvant un peu plus le grand écart entre le comité de sélection du CNC et la cérémonie la plus prestigieuse du cinéma français.

Cette situation n’arrive pas pour la première fois en France. Par exemple, en 2021, le comité de sélection (alors composée d’autres membres) avait choisi la Palme d’or Titane pour représenter la France aux Oscars 2022 face à L’Événement d’Audrey Diwan, Lion d’or à Venise. Bien sûr, Titane n’a pas volé cet honneur au vu de ses belles qualités, mais la décision avait également fait polémique pour plusieurs raisons.

 

La Passion de Dodin Bouffant : photo Malgré la polémique, ne pas oublier que La Passion de Dodin Bouffant est une merveille

 

D’un côté, la présence de Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, dans le comité représentait presque un conflit d’intérêts (et ce depuis plusieurs années). De l’autre, les thématiques de L’Événement, film abordant l’avortement, semblaient bien plus à même d’émouvoir l’Académie des Oscars à une période où le droit à l’IVG était au coeur des préoccupations américaines. Cela aurait sans doute augmenté ses chances d’être nommé à l’Oscar du meilleur film international, ce qui n’a pas été le cas du film de Julia Ducournau (qui n’a même pas été retenu dans la pré-sélection de 15 films).

Mais alors, ce nouveau couac servira-t-il de leçon ? Quel est l’avenir de ce comité de sélection, qui donne décidément l’impression de faire défaut aux films français depuis quelque temps ? Quelles solutions pour les prochaines années ? Selon Variety, Charles Gillibert pense qu’élargir ce comité serait une bonne idée. Une décision soutenue par David Thion, producteur d’Anatomie d’une chute.

Quant au président de TF1, Gilles Pélisson, il pense que le CNC est déjà en train de réfléchir à une autre manière de voter l’année prochaine. On espère en tout cas que le film de Justine Triet aura au moins une statuette aux Oscars, ce qui serait une revanche bien méritée.

Rédacteurs :
Tout savoir sur Anatomie d’une chute
Vous aimerez aussi
Commentaires
17 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Fox

@villago

Sauf que son propos politique concernait aussi – et surtout – la Culture.
Donc ça avait du sens de dire ce qu’elle a dit là où elle l’a dit. On peut ne pas être d’accord avec son point de vue, mais ça n’avait rien de saugrenu que d’en parler lors de la remise du prix (d’autant qu’elle n’est pas la première à parler de sujets sociaux ou politiques lors de ces évènements).
Que les gens aient eu envie de créer une polémique à deux sous autour de quelques phrases qui avaient pour but, au final, de dire qu’il fallait continuer à créer des conditions favorables à l’éclosion de nouveaux talents, après tout ça ne me surprend pas. Que les « journalistes », des politiques – et même certains artistes ! – aient commenté ce non-évènement avec une aigreur délirante, là ça en dit long sur ces métiers et leur capacité à traiter l’information.

villago

On a que faire des commentaires politiques de Justine Triet : qu’elle se contente de faire des films ……!

Pseudonaze

Ah bah voilà, je les attendais ces fameuses ou plutôt fumeuses explications !!
Le comité de sélection peut raconter ce qu’il veut c’est une honte thermonucléaire un point c’est tout !
Il s’agit d’une faute professionnelle et comme pour tous taff, les votants de ce comité débile devraient prendre la porte !

Ben67

Je ne comprends pas. Anatomie d’une chute n’a pas été choisi pour représenter la France mais il est quand même nommer dans la catégorie meilleur film à côtés des films américains ? C’est donc mieux, non?

laferme

J’ai adoré Dodin et ne suis pas encore allé voir Anatomie…

MacReady

@ghost Leopard

Je vois pas le souci non. On peut aimer les deux films, et voir par ailleurs la stratégie pour les récompenses (qui ne marchent pas du tout sur la simple qualité des films).

Ghost Leopard

« Malgré la polémique, ne pas oublier que La Passion de Dodin Bouffant est une merveille. »

Désolé de le dire mais on frise la schizophrénie là…

Le Barjack

Je ne vois pas ce que le discours de Justine Triet au festival de Cannes avait de sulfureux.
Par contre, les réactions qu’il a suscité, en particulier chez la ministre de la culture de l’époque, sentait un peu le souffre…

Complot ?

L’article est intéressant mais il est dommage qu’il n’évoque pas plus toute la partie polémique. Triet a dégommé le mode de subventions du cinéma à la française à Cannes et a adressé un tacle les deux pieds décollés à Macron, sa politique ultra libérale et les violences policières (ex des retraites). Sans conséquence, vraiment ?

Dans la foulée, le fameux CNC a choisi le Dodin-Bouffant (snobé aux Oscars, snobé aux Césars, snobé au Box Office) et évincé un film qui rafle tout, a plus de 3 millions d’entrées dans le monde (1,4 en France) et qui, en dehors de sa réal et sa direction magistrales, a quand même l’avantage pour une distinction aux USA d’être en anglais la moitié du temps.

Même si on n’a évidemment aucune preuve et qu’on peut vite passer pour un vulgaire complotiste, on peut quand même préciser que :

1- ce fameux CNC est présidé par un certain Dominique Boutonnat (proche de Macron, nommé par Macron et accessoirement accusé d’agression sexuelle par son filleul de 20 ans)
2- les sept membres du comité sont, comme c’est toujours le cas il me semble, nommés par la Ministre de la culture en place et son équipe.
3- cette même Ministre de la culture avait publiquement clashé Triet après Cannes, la qualifiant d’idéologiste gauchiste (true story), bien loin de la féliciter pour sa Palme d’or.

Au-delà du fantasme du complot politique, dont on ne sait rien et qui n’est d’ailleurs pas ce qu’il y a de plus intéressants, ces éléments-là, tout sauf anecdotiques, démontrent bien la présence d’immenses conflits d’intérêt. Et que, malgré l’issue préjudiciable et choix comique du CNC, ça reste tout à l’honneur de Triet de s’être exprimée librement après Cannes.

Morcar

« à la découverte du résultat, l’un des quatre votants du film culinaire aurait souhaité changer son vote mais n’en avait plus la possibilité. » C’est une blague ? Le mec vote pour le concurrent pour quelle raison alors ? Encore un de ces couillons qui se dit que puisque l’autre est assuré de gagner autant voté autre chose, avant de découvrir que c’est perdu.
Mais peu importe. La France passe pour une couillonne en loupant la possibilité de remporter le prix du meilleur film étranger, mais le principal est que « Anatomie d’une chute » ait les nomminations qu’il mérite. Peut-être n’aurait-il même pas eu tout ça s’il avait été choisi pour représenter la France.
Et nul doute selon moi qu’il remportera au moins une statuette.

En attendant, elle a fini par aller le voir, Borne ? Elle a le temps en plus, maintenant…