Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2024 du Festival de Cannes, en partenariat avec Métal Hurlant. Et c’est l’heure de revenir sur Anora réalisé par Sean Baker, présenté en compétition, et qui a remporté la Palme d’or.
Métal Hurlant nous accompagne à Cannes cette année, dans notre exploration des sélections hétéroclites du festival. Au travers de récits de bande dessinée et d’articles sur l’actualité culturelle, Métal Hurlant développe avec éclectisme, dans quatre numéros par an, un imaginaire sans aucune limite. Une ligne éditoriale totalement en accord avec la soif d’expérimentations et de découvertes du Festival de Cannes.
Si Sean Baker a réalisé son premier film en 2000 (soit il y a déjà une petite éternité), il a vraiment percé en 2015 avec Tangerines (salué à Deauville et Sundance) avant d’exploser avec The Florida Project en 2017 (nommé pour un Oscar) et de finalement rejoindre la compétition cannoise en 2021 avec Red Rocket. Pour son septième film en solo, Anora, mené par l’excellente Mikey Madison (Scream, Once Upon a Time… in Hollywood), il a remporté une Palme d’or plus que méritée.
CINDERELL-ANI
De quoi ça parle ? Anora dit « Ani » est strip-teaseuse. Lorsqu’elle rencontre un fils d’oligarque russe, sa vie bascule dans un rêve éveillé. Mais son conte de fées va rapidement prendre une tourne très différente.
C’était comment ? À la fois magique et drôle, tragique et bouleversant. C’est un peu ça Sean Baker en vérité, cette capacité à passer du rire aux larmes à travers les parcours de ses personnages. Dans Tangerines, il enchainait les situations ubuesques au cœur d’un milieu particulièrement difficile. Dans The Florida Project, il faisait autant sourire avec sa jeune fille espiègle qu’émouvoir de sa condition sociale. Dans Red Rocket, il suivait les aventures délirantes d’un ancien acteur de porno tout en dressant une satire percutante de la toxicité masculine. Avec Anora, il continue donc habilement à jouer les trouble-fêtes.
Et Anora débute comme une fête justement. Son héroïne Ani est strip-teaseuse dans une boîte de Brooklyn, enchaine les nuits à séduire les clients et vit sans paillette avec sa soeur dans un petit appartement de Brighton Beach. Pour cette jeune Américaine d’origine ouzbek, la vie de rêve est loin… jusqu’à ce qu’elle se charge, un soir, d’un fils d’oligarque russe prêt à dépenser sans compter pour ses beaux yeux (et pas uniquement). Le travail acharné dans son strip-club aurait-il enfin payé ? Ani en semble convaincu. Délaissant sa vie de strip-teaseuse en acceptant d’être exclusive à Ivan (moyennant paiement évidemment), elle touche du doigt le rêve américain tant espéré dans cette villa de luxe.
Ce qui se passe à Las Vegas, ne reste pas à Las Vegas
Un aller-retour à Vegas et les voici mari et femme, pour le meilleur et pour le pire, ou plutôt pour le pire et seulement le pire. À l’image de sa filmographie, Sean Baker continue en effet à déconstruire l’American Dream avec son Anora et son histoire d’amour cache des desseins bien plus tristes et sombres. Ainsi, l’énergie réjouissante et positive des débuts d’Anora prend une forme beaucoup plus ironique. Alors que le prince charmant avait fait le chemin jusqu’à elle, c’est elle qui va finalement devoir le retrouver, sous la contrainte, dans une course-poursuite effrénée dans New York, des night-clubs de Manhattan aux planches de Coney Island.
Avec une fluidité fascinante, Anora jongle alors entre la comédie noire à la Coen (cette scène où les gorilles russes débarquent à la villa, ce « noo » discret en plein baptême…) et le polar plus tendu à la Safdie (la longue quête nocturne), le tout influencé énormément par une sorte de rise & fall très scorsesien. Sur 2h18, le défi aurait pu vite tourner à vide, mais avec une mise en scène ultra-rythmée, Sean Baker parvient au contraire à dynamiter son récit en permanence à coup de punchlines hilarantes (dont un pied de nez savoureux contre la mère russe), séquences exaltantes (une bagarre, un petit pétage de plomb) et évènements impromptus (ce vomi).
Sean Baker quitte la classe moyenne pour interagir avec l’élite aristocrate
queen A
Une extravagance revigorante dans laquelle Sean Baker n’oublie pas d’injecter une vraie profondeur. Qu’il raconte l’horrible façon dont les élites s’amusent des petites gens et les dynamiques de pouvoir inhérentes aux classes sociales, explore la naïveté des jeunes générations et l’absence de responsabilité des fils de riches (et du milieu aristo en général) se croyant tout permis, Anora tape dans le mille sans jamais marteler ses intentions. Tout ce qui fait le cinéma de l’Américain, l’humour et la folie cachant toujours une réalité douce-amère, prend une dimension quasi inédite dans Anora.
Sa mélancolie progressive arrache le coeur, notamment grâce à l’interprétation de la génialissime Mikey Madison. Bien sûr, le casting est absolument parfait de bout en bout entre le délirant Mark Eydelshteyn, le bras-droit Karren Karagulian ou le tiraillé Yura Borisov (indiscutablement un des meilleurs acteurs de notre génération). Cela dit, en concordance logique avec le titre, c’est avant tout Mikey Madison qui donne corps à Anora et en est l’âme.
Les amateurs de Better Things ne seront pas étonnés par l’ampleur de son talent (déjà bien visible également chez Tarantino et la saga Scream malgré des rôles secondaires). Toutefois, en multipliant les registres, l’actrice déploie une palette de jeux impressionnante dans Anora l’élevant à un niveau encore jamais vu durant sa jeune carrière.
À ce propos, et malgré une sacrée concurrence, elle se place inévitablement comme l’une des favorites au prix d’interprétation féminine de Cannes 2024. Une récompense qui serait amplement méritée même si, on doit l’avouer, on espère qu’Anora sera bien plus haut au palmarès. Et vu l’enthousiasme de la Croisette, il y a de quoi rêver d’un Cannois Dream.
Et ça sort quand ? Le film sortira grâce au Pacte en France, mais n’a pas encore de date de sortie pour le moment.
Cela fait des années que les films présentés à Cannes ne m’avaient pas autant intéressée . L’histoire semble classique mais pourquoi pas
Très curieux de voir le film quand il sortira
J’avais bien aimé Red Rocket.
Vue la conjoncture de cette dernière décennie, c’est plutôt paradoxal et amusant que ce soit justement Sean Baker qui ait eu la palme quand on sait quel est le fils conducteur de prédilection qu’on retrouve dans tous ses films et si on ecoute bien son discours à Cannes.
Ouais, c’est Pretty Woman, en somme.
@Billy J’aime beaucoup <3
Anora, par amour du goût !