Joann Sfar va adapter un immense classique de la littérature française, mais la tâche s’annonce très compliquée.
Avec l’énorme carton de Le Comte de Monte-Cristo au box-office et les projets de Pathé pour son Dumas Cinematic Universe, il semble fort probable qu’une nouvelle tendance se dessine à l’horizon. Les adaptations de grandes œuvres de la littérature française pourraient bien devenir légion, parfois sous la forme de divertissements à gros budgets (pour rivaliser avec Hollywood)… et parfois de façon plus sobre ou atypique.
En effet, si on laisse à Pathé le soin de transformer les personnages de Dumas en super-héros, d’autres romans se prêtent moins au genre blockbuster. Ce qui est tout aussi bien – rappelez vous de la réussite des Illusions perdues (tiré de Balzac) de Xavier Giannoli en 2021. Chaque adaptation aura ses propres défis à relever en fonction du style des livres en question. C’est d’ailleurs pour ça que le projet de Joann Sfar s’annonce complexe puisqu’il s’attaque à un classique de la littérature… dont l’auteur est toujours très controversé.
Le voyage périlleux
D’après l’AFP, Joann Sfar (auteur de la BD Le Chat du Rabbin et réalisateur de Gainsbourg, vie Héroïque) aurait acquis les droits du roman Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline auprès de Gallimard. L’idée est bien sûr de réaliser une toute première adaptation cinématographique de ce pilier de la littérature du vingtième siècle. Un riche projet qui n’en est encore qu’à son commencement.
Pour rappel, Voyage au bout de la nuit raconte l’expérience de Ferdinand Bardamu durant la Grande Guerre et sa descente aux enfers où se mêlent les horreurs du champ de bataille et celles du colonialisme en Afrique. Le roman a été traduit en 37 langues, et est célèbre pour son ton pessimiste et désespéré, ainsi que pour son style singulier. Le récit est narré à la première personne, embrassant un langage familier contemporain qui a d’ailleurs influencé beaucoup d’autres auteurs par la suite.
En charge de co-écrire le scénario du film, Thomas Bidegain (qui a travaillé sur Un Prophète ou récemment Emilia Perez, toujours pour Jacques Audiard) a évoqué auprès du Monde les difficultés que cette adaptation allait représenter : « C’est un pari. Ce qui est très compliqué c’est la structure du roman, sa langue, son personnage principal mais aussi le fantôme de Céline« .
Effectivement, tout ça n’est pas rien. Comme beaucoup le savent, Louis-Ferdinand Céline est très célèbre pour avoir été l’un des plus tenaces antisémites du siècle dernier, collaborateur de surcroit avec l’occupant nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Nombre de ses textes relatent son idéologie avec une précision nauséabonde. Et pourtant, Joann Sfar (artiste de confession juive) compte bien se mesurer à l’homme, l’écrivain et son fantôme.
Ce ne sera certainement pas chose aisée d’aller au-devant de la controverse et ça ne sera guère plus simple plus de s’approprier la plume de l’écrivain. Une lourde tâche qu’aucun autre cinéaste n’a réussi à relever jusqu’à présent. Et pourtant, ceux qui s’y sont essayés n’étaient pas des bras cassés. On parle de réalisateurs comme Michel Audiard, Abel Gance, Jean-Luc Godard ou encore Sergio Leone. De sacrés prédécesseurs.
Si adapter des romans feuilletons comme Les Trois Mousquetaires ou Le Comte de Monte-Cristo n’est pas forcément évident, le style de ces livres se prête bien davantage à une mise en scène classique ou à du divertissement (Dumas transformait d’ailleurs souvent ses romans en pièce de théâtre). Dans le cas de Céline, c’est un casse-tête autrement plus ardu. Comment abattre la muraille de son texte, si difficile à imager, sans en perdre l’identité ? Nul doute que Sfar et Bidegain vont travailler dur pour trouver une solution dans les prochaines années.
Tant qu’on ne se tape pas cet épouvantail de Pierre Niney.