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Mort de David Lynch : « silencio » éternel pour le grand cinéaste de Mulholland Drive, Twin Peaks…

Par Geoffrey Crété
16 janvier 2025
MAJ : 16 janvier 2025
david lynch mort © Canva Studio Canal HBO

David Lynch, le grand cinéaste derrière Mulholland Drive, Blue Velvet, Sailor et Lula ou encore Elephant Man, est mort à l’âge de 78 ans.

C’était un tel géant du cinéma que son nom était devenu un adjectif, pour qualifier toute expression artistique un peu hors-norme, un peu étrange, un peu poétique, un peu cauchemardesque. Et David Lynch a justement rejoint un autre royaume qui convoque tout ça et bien plus encore, celui des morts, à l’âge de 78 ans.

C’est sur Facebook que les proches du réalisateur ont annoncé son décès, ce 16 janvier 2025 :

« C’est avec un profond chagrin que nous, sa famille, annonçons la mort de l’homme et l’artiste, David Lynch. (…) Il y a un grand vide dans le monde maintenant qu’il n’est plus avec nous. Mais, comme il aurait dit, « Gardez votre œil sur le donut et non sur le trou ». »

LES DÉBUTS INCROYABLES DE DAVID LYNCH

David Lynch, c’est dix films et rien à jeter. Il y a d’abord eu Eraserheard (1977), tourné en noir et blanc avec trois francs six sous, et qui reste encore aujourd’hui un morceau d’angoisse extraordinaire. Il y a ensuite eu Elephant Man (1980), une autre forme de cauchemar en noir et blanc inspirée de la vie de Joseph Merrick, et qui l’a propulsé immédiatement dans les étoiles hollywoodiennes avec huit nominations aux Oscars (dont meilleur film et meilleur réalisateur).

David Lynch a alors 35 ans, et ce n’est que le début.

elephant man
Elephant Man, inoubliable

Son troisième film, Dune (1984), sera peut-être le seul regret de sa carrière. En acceptant de réaliser l’adaptation du livre de Frank Herbert, après quelques tentatives et échecs avant lui (la folle version d’Alejandro Jodorowsky relatée dans le documentaire Jodorowsky’s Dune, celle que Ridley Scott a envisagé), il ne se doutait pas qu’il avait mis les pieds dans un piège à ours.

A la tête d’une superproduction à 40 millions de dollars, soit un très gros budget à l’époque, David Lynch a affronté les producteurs pour défendre sa vision. Eux voulaient un Star Wars, et le réalisateur n’avait évidemment pas ça en tête. Il racontait aux Inrocks en 2011:

« J’aime à dire que mes films sont mes enfants et qu’il est hors de question que je les mette en rang pour choisir celui que je préfère. Je peux vous dire en revanche que l’un d’eux me cause beaucoup de souci : Dune. C’est celui qui me tourmente le plus ! Je n’avais pas le final cut et le film ne correspond pas à celui que je voulais faire, que je devais faire. Ça a été une grande leçon. Le plus troublant, c’était que j’étais persuadé dès le départ que cette superproduction me laisserait un goût amer, mais j’ai voulu vérifier et en effet j’ai vu. J’ai vu que désormais je n’accepterai plus que des projets où je garderai le contrôle de tout, que plus jamais je ne me laisserai traiter comme une pauvre marionnette. »

kyle maclachlan dune
Dune version Lynch

LE STYLE DAVID LYNCH

Le leçon Dune retenue, il trace sa route à l’abri des studios et des interférences. Et il enchaîne alors les grands films qui marqueront l’histoire du cinéma, définissant plus que jamais son style.

Il y a d’abord Blue Velvet (1986), avec quelques uns des visages emblématiques de son cinéma : Kyle MacLachlan, Laura Dern, Isabella Rossellini ou encore Jack Nance. Plongeant dans les ténèbres derrières les belles palissades et pelouses verdoyantes, il raconte une sordide histoire d’oreille coupée, de chanteuse, de gangster et de kidnapping. A la clé, une nouvelle nomination à l’Oscar du meilleur réalisateur.

blue velvet isabella rossellini
Blue Velvet

Il y a ensuite Sailor et Lula (1990), avec Laura Dern toujours, et Nicolas Cage. C’est une odyssée sanglante et délirante à la Bonnie et Clyde, mais avec les fantômes d’Elvis Presley et Le Magicien d’Oz. Et c’est un triomphe couronné par une Palme d’or à Cannes.

En parallèle, David Lynch met un pied dans un royaume alors ignoré, ou méprisé : la télévision. Avec Mark Frost, il imagine Twin Peaks, qui étalera son mystère durant deux saisons dont il a réalisé plusieurs épisodes. A peu près en même temps que X-Files, cette série hallucinante mi-policière mi-soap va propulser le petit écran vers les grandes ambitions.

Lorsque Twin Peaks est annulée, Mark Frost et David Lynch explorent une autre partie de ce monde avec le magnifique film Twin Peaks : Fire Walk with Me (1992), qui sert de prequel autour du personnage de Laura Palmer.

twin peaks
Laura Palmer, l’énigme de Twin Peaks

LE MIROIR DE HOLLYWOOD

Il y aura une petite pause avant que n’arrive Lost Highway (1997), avec Bill Pullman, Patricia Arquette et Balthazar Getty, où David Lynch tourne sa caméra vers Los Angeles et ses mirages. Choses auxquelles il reviendra après Une histoire vraie (1999), qui marque une rupture en racontant l’histoire « toute simple » d’un vieil homme qui décide de partir sur sa tondeuse à gazon pour renouer avec son frère, contre vents et marées.

Car Mulholland Drive (2001), qui fonctionne en miroir avec Lost Highway, est un nouveau choc. Présenté à Cannes, où il reçoit le Prix de la mise en scène, le film qui a révélé Naomi Watts est pourtant né dans la douleur. Conçue au départ comme un pilote de série, que les producteurs ont simplement rejeté, cette histoire de rêves hollywoodiens qui tournent à l’enfer représente certainement un sommet dans l’œuvre de David Lynch.

mulholland drive naomi watts
Silencio

Cette odyssée dans la cité des anges continuera avec Inland Empire (2006), avec Laura Dern, où le cinéaste repousse encore un peu plus les limites de son travail visuel, sonore, et narratif. Ce sera donc son dernier long-métrage, mais pas sa dernière œuvre audiovisuelle.

En 2017, Twin Peaks avait miraculeusement eu droit à une saison 3, intitulée Twin : Peaks : The Return. 25 ans après, la série culte était donc de retour de manière presque mystique, puisqu’à la fin de la saison 2, Laura Palmer avait littéralement dit « On se revoit dans 25 ans ».

Durant ces 18 épisodes follement inclassables, le réalisateur avait réuni une bonne partie de son clan, comme une sorte de best of de sa carrière – Kyle MacLachlan, Sheryl Lee, Naomi Watts, Laura Dern, Ray Wise, Balthazar Getty, Jack Nance, Grace Zabriskie, Harry Dean Stanton, Harry Dean Stanton, Robert Forster, David Duchovny…

laura dern inland empire
Inland Empire

Et bien sûr, David Lynch existait au-delà du cinéma, sachant qu’il était parfois acteur. Photographe, peintre, musicien ou encore auteur de bande dessinée, il avait même créé sa chaîne YouTube, David Lynch’s Theater, où il partageait aussi bien des bulletins météo que des courts-métrages.

En 2024, il avait expliqué être atteint d’une maladie pulmonaire qui allait être un frein dans son travail en tant que réalisateur. Il affirmait néanmoins avoir l’intention de continuer, sans envisager de prendre sa retraite.

L’une de ses dernières apparitions restera néanmoins magique puisque Steven Spielberg lui avait demandé d’incarner John Ford dans une scène mémorable de The Fabelmans, sorti en 2022. C’est probablement l’une des plus belles et tendres images à garder de cet immense cinéaste.

david lynch
Leçon de mise en scène (et cadrage) en quelques minutes
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SaulGood

J’aurais tant voulu voir son wisteria avec ses actrices fétiches… Mais The Return restera une fusion parfaite de son monde…

Ropib

J’en profite pour poser une question qui m’a toujours trotté dans la tête depuis que j’ai vu Mullholand Drive. C’est le seul film où j’ai vu jouer Laura Harring. Même si elle a moins de choses à jouer que Naomi Watts, qui fait beaucoup de choses différentes dans ce film avec différents niveaux de subtilité, c’est beau, je trouve que Laura Harring montre beaucoup de potentiel et transmet aussi beaucoup d’émotion. Pourquoi n’a-t-elle pas été engagée pour d’autres films ambitieux après ça ? pour moi c’est une énigme.

L'inquisiteur

S’il n’en fallait qu’un, pour moi ce serait Mulholland Drive, qui me fascine toujours autant. Lynch, c’est de la mise en scène à l’etat pur, hypnotique, souterrain, dérangeant et pourtant on veut y rester, planer, et imaginer ce qu’il a bien pu vouloir nous dire, parce que d’une façon bizarre, il sait à tous les coups nous toucher.
Il est parti explorer derrière cette porte qu’il nous entrouvrait à chaque fois un peu mais pas assez pour savoir…

Ghob_

Je n’ai vu que quelques uns de ses films, mais de ceux-là, j’en garde des souvenirs plus que marquants…
RIP Mr. Lynch.

Prisonnier

Que d'(e)loges pour cet artiste. Et je crois que le mot artiste n’est absolument pas galvaudé pour Lynch. Un véritable touche à tout. Cinéma, musique, écriture, peinture. Le pire (le mieux du coup) c’est qu’il excellait dans tous les domaines.

Voilà une journée banale qui se transforme en étrange.

J’ai en tête la scène de la saison 3 où Cooper/Dougy est à l’hosto  » Réveillez-vous ». Hélas, Mr Lynch ne se réveillera plus.

Adieu l’artiste et merci d’avoir posé les bases de ma cinéphilie.

Et bordel, c’est pas juste de nous laisser avec le cri de Miss Palmer pour clôturer la saison 3 de Twin Peaks. C’en est à posteriori encore plus effrayant.

Flo1

🙏🌀

kyle-reese

Un Artiste total. Peu de films mais tellement marquant impactant.
Mon premier Lynch au ciné fut Sailor et Lula. Une claque. J’ai rattrapé ses précédents évidement, et vu tout ses suivants au ciné, même son Inland Empire éprouvant ou je n’avais jamais vu autant de personnes sortir de la salle. Un film, une expérience assez unique qui se mérite. Là où j’ai décroché ce fut avec sa 3 eme saison de Twin Peak. Mais c’est assurément un génie du cinéma qui vient de nous quitter et qui aura marqué le cinéma et la TV profindement. Il me manquait déjà depuis sa.semi retraite ill me manquera à jamais.

Eomerkor

Immense réalisateur, personnalité hors norme et ovni dans le monde très étriqué du cinéma américain. Elephant Man vu sur petit écran. Un des mes films préférés. Et Dune lors de sa sortie. Puis j’ai découvert ses films plus personnels, Twin Peaks et son univers fait d’étrange et d’onirisme, sa narration et ses personnages singuliers. David Lynch s’en est allé le jour de mon anniversaire. Que dire de plus. Un choc et une grande tristesse.

Vincent Terranova

Un génie incontournable du 7ème art qui nous quitte et qui va durablement manquer au cinéma.
Repose en paix l’artiste. Tu sera parvenu à nous faire cauchemarder tout en entretenant une faible lueur d’espoir dans l’obscurité de la simple existence.
Respect.

Marc en RAGE

Mort d’un géant , je viens de l’apprendre. David Lynch le premier film qui ma marqué DUNE ( 1984 ) à l’époque ce fut une expérience de CINEMA incroyable.
Elephant Man ( 1980 )
Blue Velvet ( 1986 )
Sailor et LULA ( 1990 )
Twin Peaks la série ( 1990 – 2017 )