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« Une décision grave » : pourquoi l’interdiction au moins de 18 ans de Terrifier 3 est un gros problème

Par Mathieu Jaborska
7 octobre 2024
6 commentaires
"Une décision grave" : pourquoi l'interdiction au moins de 18 ans de Terrifier 3 est un gros problème © Canva Factoris Films ESC

Terrifier 3, dernier volet en date des aventures de Art le clown, est sur le point d’éclabousser les salles de cinéma françaises. Mais son interdiction aux moins de 18 ans risque de gâcher la fête à la saucisse.

« On a soumis le film à la commission. On ne sait pas encore à quelle sauce on va être mangés », expliquait Victor Lamoussière, l’un des chargés de la distribution de Terrifier 3, lors de l’avant-première privée. Depuis, le couperet est tombé : le troisième volet de la saga de Damien Leone sera interdit aux moins de 18 ans dans nos contrées. Une décision extrêmement rare pour un film d’horreur, et qui risque de lui mettre de sacrés bâtons dans les roues.

Noël avant l’heure

Terrifier 3 : trop méchant pour le CNC

La saga Terrifier a toujours flirté avec la controverse. Micro-production (35 000 dollars de budget !) menée par l’artiste FX Damien Leone sur la base d’un personnage de ses court-métrages, le premier avait attiré l’attention des amateurs d’horreur grâce à des scènes gores extrêmes. Mais c’est le deuxième qui a sorti la licence de la niche des amateurs de tripaille.

Terrifier 2, malgré un budget toujours anémique, avait amassé plus de 10 millions de dollars sur le territoire américain et, plus exhaustif encore que son prédécesseur dans les sévices infligés à ses personnages, avait forcément défrayé la chronique. Au point d’avoir droit à une sortie en salles chez nous, supervisée par ESC Films et le service de SVOD spécialisé Shadowz. Le principe est simple : Art, un clown triste mutique, massacre quiconque se trouve sur son chemin avec un sadisme évident. Un pur splatter en somme, aux séquences-clé souvent gratinées.

« J’ai été sage cette fois ?« 

Ce dernier volet avait écopé d’une interdiction aux moins de 16 ans. « La commission propose une interdiction aux mineurs de moins de seize ans pour ce film qui enchaîne les scènes sanglantes, insistant sur les éviscérations, énucléations, tortures, de façon gratuite et pour le seul plaisir de provoquer le dégoût. » souligne le rapport officiel. La suite passe un cran avec la fameuse interdiction aux moins de 18 ans, extrêmement rare dans le cas d’un film d’horreur. Shadowz, ESC et Factoris, qui se charge également de la distribution, ont réagi dans un communiqué, déplorant cette décision :

« Terrifier 3 est un film d’auteur s’inscrivant dans la plus pure tradition du genre dit slasher, à la violence parfaitement « grand-guignolesque » et irréaliste. Le film ne se prend jamais au sérieux, et nous savons que les spectateurs auront toute la distance, toute la maturité nécessaires pour comprendre et appréhender cette démarche artistique ».

Qu’a donc fait Damien Leone pour s’attirer les foudres de la commission ? De l’avis de l’auteur de ces lignes, le niveau de violence (effectivement « grand-guignolesque », soit volontairement grotesque à dessein humoristique) est égal à celui du précédent.

Quelques petites différences cependant : désormais, Art s’attaque aux petits enfants, un tabou rarement transgressé, y compris dans le genre. Son acolyte détourne également des symboles catholiques. Le rapport n’étant pas encore paru, impossible de conclure que c’est ce qui a coincé, mais nul doute que ça a pesé dans la balance.

Hachement bien

Une mesure rare… et sévère

Le dernier film sorti au cinéma et interdit aux moins de 18 ans est Caniba, un documentaire. Au rayon fiction d’horreur, il faut remonter jusqu’à Saw 3D. Toutefois, le film n’est jamais sorti en salles avec cette mention, puisqu’il a été rejugé cinq ans après sa diffusion par le Conseil d’état. En 2009, Antichrist avait reçu la sanction, de même que Quand l’embryon part braconner en 2007. Le dernier vrai film d’horreur américain sorti en salles avec une telle interdiction était en fait Saw 3, il y a plus de 20 ans ! A noter que dans le cas des deux Saw (et de bien d’autres), c’est l’association catholique intégriste Promouvoir qui a initié la demande.

Récemment, plusieurs films sont passés très près de l’interdiction stricte aux mineurs, comme Pleasure, sur les dessous du porno, qui avait reçu un moins de seize ans avec avertissement, ou même The Sadness, également distribué par Shadowz et ESC, dont nous avions conté l’histoire compliquée dans un article lors de sa sortie. « D’un point de vue de distribution et programmation, sortir un film moins de 18 ans, c’est mission quasi impossible, autant vis-à-vis des médias que des exploitants » nous avait alors confié Victor Lamoussière.

The Sadness, une description réaliste de l’heure de pointe dans le métro parisien

La diffusion présente donc un défi, d’autant plus dommageable que le comité (lire le fonctionnement ici) préconisait un simple moins de seize ans. Outre les problématiques concrètes imposées par ce classement (notamment l’interdiction de diffusion à la télévision, sauf chaines autorisées, en pleine nuit), il complique grandement les discussions avec les distributeurs et la publicité, qui doit en outre porter une mention claire de la mesure. Qui plus est, dans le cas d’un film d’horreur, prisé des adolescents, l’interdiction aux mineurs limite forcément le potentiel économique.

Plus globalement, cette décision interroge sur le traitement du cinéma d’horreur par la commission. Jusqu’ici, les débats autour de ces interdictions étaient très politiques, notamment via l’implication de l’association Promouvoir et du ministère. Ici, la sentence condamne un film certes extrêmement gore, mais qui assume et parodie les codes les plus célèbres du genre.

Bien accompagné qui plus est

Elle est censée être motivée uniquement par la présence de scènes d’une grande violence, « de nature à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser ». Il nous reste à lire le rapport, mais s’il prétend que Terrifier 3 banalise la violence, il ressasse un vieux discours qu’on espérait définitivement porté disparu. Le communiqué des intéressés, qui ont confirmé au fanzine Darkness qu’un hypothétique recours interviendrait trop tôt aux vues du calendrier et qu’ils ne comptaient pas faire de coupes, est également inquiet :

« L’histoire du cinéma de genre, ses excès et ses outrances, sont intimement liés à l’histoire même du cinéma. Restreindre son accès aux spectateurs sera toujours une décision grave au message inquiétant, isolant les auteurs en les éloignant de leur public »

Un Art contrarié

À moins que cette décision ne fasse un peu de pub à ce troisième volet, qui a donc eu droit à ses articles dans la presse nationale (et commence déjà à en avoir dans certains médias américains). On se rappelle de la promotion provocatrice de Frontière(s), qui avait inscrit en lettres géantes l’avertissement imposé par la commission sur son affiche. À ceci près que le film de Xavier Gens n’avait écopé lui que d’une interdiction aux moins de 16 ans…

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Vincent Terranova

– de 18 ans, ça ne me choque pas au regard du contenu du film.

terror-turtle

Cela fait certes de la publicité mais à quoi bon.
Avec son -18, le film ne sera pas exploité. Malheureusement, j’attendais le film ayant bien aimé les 2 premiers mais aucun ciné pour le diffuser autour de chez moi à 70km à la ronde.
J’ai regardé la liste, il y a à peine une centaine de cinés qui vont le diffuser en france.
Immense déception.

zetagundam

Je pense que cette interdiction est même plutôt une bonne nouvelle pour le film car il me semble que le précédent n’avait bénéficié que d’une sortie très limitée comme dans le cas présent (donc à la base un nombre très réduit de séance) et cette interdiction va lui faire une bonne pub gratuite ce lui sera sûrement très profitable pour son succès au box-office malgré sa sortie très limitée

benoitdesbureaux

Pour Saw 3, il me semble que cette interdiction avait plutôt bien servi le film. Je me souviens de files d’attente assez longues et de salles pleines le premier week-end de sa sortie (ce qui est quand même assez rare pour un film de genre), beaucoup de monde voulant voir ce fameux film d’horreur interdit aux moins de 18 ans qui faisait tant couler d’encre, ce d’autant que c’était le premier depuis très longtemps à écoper de cette interdiction (beaucoup ne se seraient pas déplacés sans ça, c’est certain).

batmalien

A croire que seuls les ados vont au ciné voir des films d’horreur…
Il faudrait savoir le montant du manque à gagner d’une telle classification 🔞🤔

Pseudo1

Légende de photo : « Hachement bien »

Simple, mais très efficace, j’adore 😀