Red One, le blockbuster de Noël avec Dwayne Johnson et Chris Evans, est un immense succès…. sur Amazon Prime Video, et selon Amazon Prime Video. Mais qu’est-ce que ça veut dire exactement ?
À première vue, Red One est un énorme bide pour tous les gens impliqués, notamment Dwayne Johnson et sa boîte de production Seven Bucks – déjà derrière Jumanji, Rampage, Skyscraper, Black Adam ou encore Jungle Cruise. Cet invraisemblable blockbuster de Noël, où The Rock fait équipe avec Chris Evans pour voler au secours du Père Noël kidnappé par une sorcière, a coûté entre 200 et 250 millions de dollars.
C’est plus cher que Dune : Deuxième partie (190 millions), La Planète des singes : Le Nouveau Royaume (160 millions) ou Godzilla x Kong : Le Nouvel Empire (150 millions), et c’est l’équivalent d’un Marvel comme Ant-Man 3, Black Panther 2 ou Les Gardiens de la galaxie 3. Et combien a-t-il rapporté au box-office ? Environ 175 millions jusque là, malgré une grosse sortie sur le territoire nord-américain (plus de 4000 écrans). De quoi en faire un échec commercial, certes moins extrême que Borderlands, mais pire que Joker : Folie à deux, Furiosa ou Fall Guy.
Sauf que Red One n’est pas un film « normal ». C’est une production Metro-Goldwyn-Mayer, qui appartient à Amazon depuis 2022. L’exploitation en SVoD sur Amazon Prime Video était donc importante dans la vie du blockbuster, que ce soit pour sa sortie officielle (comme en France, où il est arrivé directement sur la plateforme) ou son deuxième créneau de disponibilité après son passage au cinéma (comme aux États-Unis). Et Amazon en a profité pour fanfaronner en disant que Red One avait explosé leur record.
50 MILLIONS DE RED ONE
Le 12 décembre était une date importante pour Red One puisque c’était son arrivée sur Amazon Prime Video aux États-Unis (à peine un mois après sa sortie au cinéma) et dans de multiples territoires à travers le monde, comme en France. Et selon Amazon, le film a marqué un record avec 50 millions de spectateurs en quatre jours, devenant le plus gros film de la plateforme – loin devant Road House, qui avait atteint ce score en deux week-ends.
Qu’est-ce que ça veut dire exactement « 50 millions de spectateurs » sur Amazon Prime Video ? Combien de minutes faut-il regarder pour être comptabilisé ? Et surtout, combien de gens ont réellement vu Red One en entier ? Excellentes questions, auxquelles Amazon ne répond pas, contrairement à Netflix et Disney+ qui affichent très clairement leur méthodologie pour mesurer le succès (le nombre de minutes visionnées, divisées par le nombre total de spectateurs, pour arriver à une moyenne ayant du sens).
Autant dire que tout ceci est une pure stratégie de communication, qui ne s’embarrasse d’aucun détail pour (sur)vendre le succès. Il n’y a qu’à voir tous les gros médias américains (Deadline, Variety, The Hollywood Reporter...) reprendre en chœur que Red One est un carton record pour s’en rendre compte – et Ecran Large y participe.
Mais derrière le bullshit marketing, il y a des choses intéressantes. Ce démarrage en SVoD est traité par le studio comme une sortie au cinéma, et c’est là l’intérêt de cette étape : ça rappelle bien la stratégie d’Amazon.
LA MÉTHODE AMAZON PRIME VIDEO
Au départ prévu pour une sortie exclusivement sur Amazon Prime Video, Red One a finalement eu droit à une exploitation au cinéma dans plusieurs pays. On pourrait imaginer que c’est parce que le studio aimait le film, et voulait l’offrir sur grand écran – comme Disney avec Alien : Romulus, prévu au tout début pour Disney+, à la manière de Prey. On pourrait aussi se dire que c’était d’abord une grande opération marketing, afin d’offrir à Red One la visibilité accrue d’une sortie cinéma.
Jennifer Salke, à la tête d’Amazon MGM Studios, l’a plus ou moins confirmé à demi-mot en décembre 2024, comme l’a rapporté Deadline :
« Étant donné les retours du public pour Red One à la fois au cinéma et sur Prime Video, le film sera assurément un favori des fêtes pour les années à venir. […] Avec Red One, il n’y a eu aucun doute sur le fait que la stratégie devait inclure une sortie au cinéma avec la campagne marketing qui va avec, ce qui a attiré le public en salles et a permis au film d’être visible pour les spectateurs qui allaient finalement aller sur Prime Video. »
Kevin Wilson, à la tête des sorties cinéma chez Amazon MGM, avait avait été encore plus clair avec Variety en novembre 2024 :
« Que les gens aiment ou pas, la valeur de ces films est différente dans notre modèle économique. Si on peut sortir ces films au cinéma et couvrir nos dépenses marketing, pourquoi on ne le ferait pas ? On se paye d’énormes campagnes marketing qui sont remboursées par le film avant qu’il arrive en streaming. »
Autrement dit : Red One existe d’abord et surtout pour le streaming. La sortie au cinéma n’est qu’un tremplin publicitaire, dont le coût est censé être remboursé par les recettes en salles, aussi maigres soient-elles comparées au budget.
Ce n’est pas la première fois qu’une simple analyse du box-office ne permet pas de véritablement comprendre la carrière d’un film existant entre le cinéma et le streaming. Du côté d’Apple, Killers of the Flower Moon réalisé par Martin Scorsese, Napoleon réalisé par Ridley Scott avaient soulevé les mêmes problèmes, tout comme Argylle, To the Moon et Wolfs.
Et puisque le géant Amazon protège jusque là les détails de ses chiffres, la réalité reste verrouillée à double tour derrière la façade des communicants. C’est donc plus que jamais le moment de rappeler que partager les chiffres, c’est bien, mais les remettre en question avec un minimum de contexte, c’est mieux.
Que les gens ne vont pas payer pour voir un tel navet mais qu’après un apéro dans le canapé ça peut le faire et si c’est trop mauvais on coupe.
Cela veut dire que du moment qu’on paie un forfait, on regarde plus facilement ce qui est proposé, surtout lorsque c’est un gros budget et avec des acteurs connus et sans regret d’avoir payé le prix d’un billet. On s’interroge moins à l’avance de la qualité de l’oeuvre.