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« Votre système est foutu » : une guerre contre Netflix lancée par plusieurs acteurs et réalisateurs ?

Par Mathieu Jaborska
21 octobre 2024
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"Votre système est foutu" : une guerre contre Netflix lancée par plusieurs acteurs et réalisateurs ? © Canva Netflix Mars DIstribution

La stratégie de Netflix serait-elle en train de se heurter à la grogne des artistes ? Dernièrement, son modèle a agacé, aussi bien auprès de cinéastes comme Greta Gerwig qu’auprès d’acteurs comme Daniel Craig.

Netflix, c’est désormais la success-story la plus célèbre d’Hollywood. L’histoire d’une petite boite de location de DVD par correspondance que feu Blockbuster a refusé de racheter et qui s’est spécialisée dans la SVoD (le streaming avec abonnement) avant sa phénoménale explosion. Dans les années 2010, le service a conquis le monde entier, puis a entrepris de produire ses propres films et séries, jusqu’à devenir l’un des studios américains les plus puissants, employant certains des auteurs les plus en vue du cinéma contemporain.

Bien que ce mastodonte du divertissement autorise parfois quelques jours ou semaines de sortie salles à ses berlines de prestige (aux Etats-Unis le plus souvent), et ce afin de gratter le maximum de récompenses, il se concentre principalement sur la vidéo domestique, loin de la dure bataille du box-office. Ça lui permet d’ailleurs de partager ses résultats selon ses propres termes. Le co-PDG Ted Sarandos l’a encore affirmé très récemment. Mais cela n’est pas du goût de tout le monde, y compris parmi les cadors du milieu.

Ted Sarandos en pleine opération séduction (Allégorie)

Netflix and kill

« Nous pensons que nous avons le bon modèle et nous ne cherchons pas à en changer », a affirmé Sarandos lors de sa dernière adresse aux investisseurs, rapportée par Variety le 17 octobre 2024. Le grand patron, qui autrefois supervisait le « contenu » proposé par la plateforme, persiste et signe : son but est d’éviter autant que faire se peut une distribution en salles. Il faut dire que le bonhomme a largement contribué au dit modèle, avec ses saisons sans pilotes et autres algorithmes :

« Je vais le répéter : nous sommes dans le business du divertissement par abonnement et vous pouvez voir le voir dans nos résultats, c’est un business plutôt bon. Ça attire un segment conséquent de consommateurs et de fans. Les 10 plus gros films qui ont fait leurs débuts sur Netflix ont tous plus de 100 millions de vues, parmi les films les plus vus du monde. Nous désirons continuer à renforcer la valeur de l’abonnement de nos consommateurs. Nous considérons que ne pas les obliger à attendre des mois pour voir le film dont tout le monde parle renforce cette valeur ».

Une stratégie qui ne paie pas toujours

Il s’attaque donc à la dimension évènementielle des sorties en salles, qu’on a justement reproché au service de ne pas savoir inspirer. Quentin Tarantino par exemple, qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots, avait dit en mai 2023 dans Deadline : « Ces films n’existent pas dans le zeitgeist. C’est comme s’ils n’existaient même pas. » Et il n’est pas le seul artiste à regarder avec méfiance ces revendications, reléguant pour beaucoup le septième art au rang de simple produit de consommation et lui interdisant son moyen de diffusion privilégié. La grogne est de plus en plus audible.

Tarantino visait notamment les sorties génériques avec Ryan Reynolds, comme Adam à travers le temps

Netflix vs. Hollywood

Quasi simultanément à cette réunion, le média Puck a publié un article révélant des échauffourées assez révélatrices. Selon deux sources citées par le journaliste Matt Belloni, le festival du TIFF (Toronto International Film Festival) aurait été le théâtre d’échanges entre Sarandos et Daniel Craig, en marge de l’avant-première de Glass Onion : Une histoire à couteaux tirés. L’acteur aurait vu dans la standing ovation du public une preuve que cette suite méritait une vraie vaste sortie, ce à quoi le patron de Netflix aurait répondu que ce n’était pas dans les habitudes de la maison. Craig aurait alors juré et craché, entre autres choses : « Votre système est foutu » (« Your model is fucked »).

Selon le même article, ce sentiment serait partagé par une toute une frange de l’industrie. Bien que, comme le précise Matt Belloni, l’interprète de Benoît Blanc n’a pas pour autant craché sur les dizaines de millions empochés au cours de l’onéreux marché conclu par la plateforme pour acquérir les suites du whodunnit à succès, cette défiance commence à titiller un peu la suprématie de l’entreprise.

Ça tire à couteaux réels

Toujours selon Belloni, Netflix aurait offert quelques 150 millions de dollars, soit plus du double des autres distributeurs en lice, pour acquérir l’adaptation des Hauts de Hurlevent avec Margot Robbie et Jacob Elordi. Un film réalisé par Emerald Fennell, qui vient de retourner les réseaux sociaux avec Saltburn. Problème : Robbie et Fennell veulent offrir à leur film une sortie salle et elles auraient donc refusé jusqu’ici l’offre. Le même journaliste évoquait également le cas de Greta Gerwig, a priori engagée dans un bras de fer avec la plateforme pour sortir sa version de Narnia en salles. Un média intitulé Empire City a même clamé qu’elle cherchait à quitter le projet. Des rumeurs à prendre avec des pincettes.

Deadline avait d’ailleurs confirmé en septembre 2024 que le réalisateur Rian Johnson, le producteur Ram Bergman et Daniel Craig n’étaient pas ravis du traitement accordé à Glass Onion, lequel aurait pu cartonner au box-office. Il y a peu de chances donc qu’ils obtiennent gain de cause avec le troisième volet, Wake Up Dead Man: A Knives Out Mystery, attendu pour 2025 avec un casting stellaire (Cailee Spaeny, Josh Brolin, Mila Kunis, Glenn Close, Josh O’Connor, Jeremy Renner ou bien sûr Daniel Craig). C’est ce qui s’appelle changer une équipe qui gagne. Tout le monde ne peut pas en dire autant.

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Tout savoir sur Glass Onion : une histoire à couteaux tirés
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Ropib

C’est pas parque que ce sont des acteurs réputés qu’ils ont raison.
Je suis allé voir un film dernièrement dans mon cinéma de quartier : tarif 2 fois moins cher que dans un gros bazar (mais encore trop cher pour que je prenne des risques en tant que spectateur), une très belle ambiance et une belle salle… n’empêche que voilà, manifestement, pour des raisons de sécurité, la salle n’est pas entièrement éteinte. Chez moi je peux me mettre l’ambiance que je veux, je contrôle le truc, et si je veux ritualiser mon expérience, je le peux. Quand je vais dans un cinéma et qu’il y a le proprio qui explique sa relation au film, comment il a décidé de le projeter, etc. si derrière en plus il y a des échanges sur le film et tout… ok, y a une expérience vraiment unique… sinon je suis bien chez moi hein ! désolé. J’aimerais que Ecran Large explique un peu plus pourquoi aller au cinéma c’est mieux : je ne demande qu’à être convaincu. Sinon ben j’en viens à me demander s’il n’y a pas un conflit d’intérêt derrière tout ça quoi. Daniel Craig dit qu’il faut que les films sortent en salle, Daniel Craig dit qu’il a envie de boire une bière, Daniel Craig dit qu’il va bientôt pleuvoir… oui, et ?

Pour les Hauts de Hurlevents, donnez le boulot à Gillian Jacobs, ce sera de toute façon mieux que Margot Robbie !

Lord Sinclair

C’est bien gentil de vouloir sortir les films en salle. Encore faudrait il qu’ils soient bons.
Les A couteau tiré, c’est quand même du téléfilm de luxe qui se croit plus malin qu’il ne l’est.

sascha

Visiblement, pour Narnia, Netflix aurait promis une sortie ciné. Mais uniquement de manière verbale

Pseudonaze

Très bizarre cette soudaine « prise de conscience ».
Au moment de signer les contrats ces personnes connaissaient parfaitement les enjeux ainsi que le modèle économique de Netflix, alors pourquoi s’en offusquer soudainement une fois l’encre des signatures sèche et les millions de dollars empochés ?

dutch

Ouais ils critiquent en pérennant quand même l’oseille ces artistes engagés.