À la base prévu comme une série Disney+, Vaiana 2 a connu une production particulière au sein du studio, dont il faut questionner les méthodes.
Promis à un box-office radieux, Vaiana 2 pourrait bien devenir le plus gros succès de 2024, dépassant même les 1,7 milliard de dollars de recettes de Vice-Versa 2. Certes, en 2016, le premier volet avait déjà été un joli succès (643 millions de dollars), mais le raz-de-marée annoncé de sa suite se justifie surtout par le second souffle du long-métrage de Ron Clements et John Musker sur Disney+, où Vaiana est devenu l’un des films les plus vus de l’histoire du streaming.
C’est pour cette raison qu’à l’origine, Vaiana 2 a été conçu comme une série pour la plateforme de SVoD. L’information a été annoncée en 2020, au moment où Bob Chapek a pris la direction de la multinationale. Mais en 2022, le départ de Chapek et le retour de Bob Iger en tant que PDG de Disney a changé la donne. Plutôt que de faire du streaming la première fenêtre de tir du projet, la série Vaiana a été transformée en long-métrage pour profiter d’un véritable box-office.
L’idée semble aujourd’hui évidente au vu de son succès attendu en salles, bien que ses origines sérielles constituent pour nous l’un des défauts majeurs du film en matière d’écriture. Pour autant, il y a surtout un autre problème plus grave derrière cette transition…
Vaiana 2 : le vert lumière des dollars
Petit retour en arrière. En août 2021, Disney, dont le studio d’animation historique se trouve à Burbank en Californie, annonce pour début 2022 l’ouverture d’un autre studio, cette fois à Vancouver au Canada. L’idée est simple : tandis que Burbank continuera de travailler sur les longs-métrages d’envergure de la firme, Vancouver s’occupera des projets liés à Disney+, souvent moins coûteux et (un peu) moins bien produits.
En soi, cette scission n’est pas sans rappeler la création de Disney Television Animation en 1984, qui s’est engouffrée dans la brèche alors naissante du marché vidéo pour produire une quantité de suites au rabais, à commencer par Le Retour de Jafar. Dans ce contexte, la série Vaiana a été confiée à David G. Derrick, storyboardeur du premier opus, catapulté malgré lui au poste de co-réalisateur lorsque le projet a changé de nature.
Le problème est là : Vaiana 2 est le premier projet à sortir du studio de Vancouver, alors que la filiale n’a même pas été prévue à cet effet au départ. Apparemment, Burbank a aidé à la production du long-métrage au moment de son changement de direction (en particulier sur sa pré-production), mais la majeure partie de l’animation a été réalisée au Canada.
On pourrait se dire qu’il s’agit avant tout d’une différence de locaux, sauf que Disney y gagne au change. En effet, les employés de Vancouver n’ont pas de syndicat, contrairement à leurs homologues californiens. Concrètement, ça signifie des économies significatives pour la maison-mère, et un respect moins « strict » du Code du travail. Quand on sait que la plupart des studios d’animation (Disney et Pixar en tête, comme ça a été le cas récemment avec Vice-Versa 2) engendrent déjà des périodes de crunch ingérables à leurs équipes d’animateurs, et par extension des burn-outs en pagaille, la nouvelle ne rassure guère.
En l’occurrence (et même si la rumeur demande à être confirmée), il est fort probable que Disney ait profité de la transition de Vaiana 2 pour payer certains de ses animateurs au tarif d’une création pour la télévision, et non pour un long-métrage de cinéma, dont les coûts sont toujours plus élevés.
Pour les hommes… et la précarité
Bien sûr, on pourra toujours dire que le résultat final ne semble pas trop impacté par cette production discutable. Vaiana 2 est techniquement très abouti, mais il semble aussi faire figure de test pour Disney. En confiant son 63e classique de l’animation à une filiale secondaire, le studio essaie de déléguer comme à l’époque de ses direct-to-video, en espérant juste que le public ne s’en rende pas trop compte. Étant donné que le film est bien parti pour atomiser le box-office de cette fin d’année, il est probable que leur stratégie leur donne raison de la pire des manières.
Pour le moment, le budget de Vaiana 2 est estimé aux alentours de 150 millions de dollars. La somme est déjà coquette, mais c’est oublier que les derniers films d’animation de la firme, Avalonia et Wish, ont respectivement coûté 180 et 200 millions. On peut comprendre que la multinationale cherche à baisser les coûts de ses blockbusters. Pour autant, ce sont encore les petites mains permettant à ces films d’exister qui en payent le prix.
Dans le milieu de l’animation et des effets visuels, de plus en plus de témoignages émergent quant aux conditions de travail infernales des plus grandes sociétés, qui vont très souvent de pair avec un souci d’économie. En ayant ouvert un studio à Vancouver qui n’est pas encore parvenu à se syndiquer, Disney ne fait que reproduire en interne un modèle de délocalisation qui domine actuellement l’industrie.
Dans le domaine des VFX en particulier, nombreuses sont les tâches confiées à des structures externes (notamment en Inde), où les salaires sont beaucoup plus bas. Par ailleurs, les tentatives de syndicalisation en Amérique du Nord ou en Europe sont souvent endiguées par cette même menace : syndiquez-vous, et on délocalisera encore plus.
Nul doute qu’à sa manière, la méthodologie de production de Vaiana 2 devrait amorcer un bouleversement au sein du studio d’animation, surtout si le long-métrage devient l’un des plus gros succès du genre. À l’heure où l’on rédige ces lignes, le film a déjà établi un record pour un film d’animation Disney, avec 13,8 millions de dollars amassés sur ses seules avant-premières du mardi aux États-Unis.
À titre de comparaison, Vice-Versa 2 a cumulé 13 millions sur la même période, pour un démarrage total à 154 millions de dollars. Épaulé par Thanksgiving et son long week-end de 5 jours, Vaiana 2 est bien parti pour pulvériser les précédents records en la matière, tenu par La Reine des neiges 2. Deadline, par exemple, estime que le film pourrait viser les 175 millions (et d’autres experts envisagent même les 200 millions) pour les 5 jours de Thanksgiving (là où La Reine des neiges 2 avait tapé les 125 millions de dollars).
Pour le moment, il s’agit d’un cas isolé, et un peu particulier, mais il est difficile de croire que Disney ne cherchera pas à le systématiser, alors que le secteur du divertissement a connu une crise sans précédent depuis le Covid, et une grève en 2023 qui a essayé de protéger certains droits – en particulier contre la menace de l’IA. Cette transition de Burbank à Vancouver a voulu se faire discrète. Elle aura néanmoins un impact non-négligeable sur le futur de la multinationale, surtout si le succès est plus qu’au rendez-vous.