Si vous l’aviez raté, 30 Birds est un sublime petit jeu sorti fin 2024, et son esthétique donne beaucoup d’espoir dans l’avenir de l’art. Ce qui nous a donné envie d’évoquer la question de l’IA.
En ce début 2025, l’avenir du jeu vidéo nous intéresse autant qu’il nous inquiète. D’un côté, la technologie visuelle des jeux s’approche de plus en plus de l’ultra-réalisme (exigé par beaucoup de joueurs) au détriment parfois de visions artistiques plus marginales. De l’autre, certains colosses aux pieds d’argile prétendent désormais que l’intelligence artificielle va bientôt redéfinir le médium et ce, pour le mieux (le très, très rassurant « make it great again »).
Tout ça laisse songeur, notamment quant à la place qu’occupera la créativité humaine dans le futur, que ce soit chez les indépendants ou dans les plus grosses productions. Mais si les incertitudes obscurcissent l’horizon, on préfère toutefois ne pas s’enliser dans le découragement. Autant regarder là où il y a de l’espoir. On pourrait par exemple évoquer de nombreuses réussites du jeu vidéo, sorties en 2024, et dont la vision artistique nous inspire toujours (Metaphor, Neva, Phoenix Spring, Lorelei and the laser eyes,…).
Mais récemment, c’est un titre en particulier qui nous a interpellés avec son esthétisme fabuleux et très humain. Voici une magnifique petite aventure intitulée 30 Birds, sur laquelle nous avions envie de revenir, quelques mois après sa sortie fin novembre 2024.
Des oiseaux et des hommes
30 Birds est un titre édité par Arte France et développé par RAM RAM Games et Business Goose Studios. Il est sorti le 28 novembre 2024, à un moment où tout le monde commençait déjà à faire son bilan des jeux de l’année. Avec son style visuel atypique et son design un peu rétro d’aventure-puzzle en 2D, il n’est certes pas étonnant qu’il soit passé sous de nombreux radars. Pourtant, c’est pour ses singularités et ses prises de risque que 30 Birds brille si joliment au milieu d’une galaxie d’aveuglantes étoiles.
Commençons par évoquer les thèmes et l’imaginaire du jeu. 30 Birds propose donc d’explorer, pendant sa courte épopée, la mythologie persane et la légende du Simurgh. Celui-ci est un oiseau gigantesque, apparemment très ancien, qui posséderait tous les savoirs du monde. De fait, il incarne une forme d’illumination spirituelle et divine, auxquels tous les êtres aspirent. Le Simurgh est notamment devenu célèbre en étant cité dans l’un des plus importants ouvrages littéraires de l’Iran, Le Livre des Rois de Ferdowsi, rédigé au XIe siècle. C’est toutefois un autre texte dont 30 Birds s’inspire pour son histoire : Le Cantique des Oiseaux.

WUKONG ET AUTRES LÉGENDES
Rédigé à la fin du XIIe siècle par Farid al-Din Attar, Le Cantique des Oiseaux est un long poème persan, parmi les joyaux de la littérature de l’Islam d’orient, qui narre la quête de 30 oiseaux à la recherche du Simurgh. Voilà le texte qu’adapte (très librement et avec légèreté) le jeu 30 Birds.
Avec notre héroïne, la détective Zig, on est ainsi chargé de retrouver la bête divine qui a été enlevée, en se mettant sur la piste des fameux trente oiseaux qui nous permettront de le ramener. Non sans humour, le jeu engage donc le joueur dans son récit moins philosophique que didactique, tout en lui faisant entrevoir une mythologie fort dépaysante.

On est ici loin du voyage intérieur et spirituel du poème original, mais ce n’est pas le parti pris de 30 Birds. On est plus proche de l’utilisation des légendes et mythes dans Wukong. Tout comme dans le jeu chinois de 2024, on réactualise un pan du patrimoine culturel mondial, afin de connecter de nouvelles générations à son imaginaire et sa poésie.
Et dans cette démarche, 30 Birds est une réussite totale. En quelques heures, le jeu nous emmène loin des sentiers mille fois battus – de la fantasy la plus éculée aux environnements ultraréalistes. On nous immerge dans un merveilleux insolite à la nature absolument humaine. C’est notre histoire de l’art, entre autres, qui est ranimée ici.

L’art à l’imparfait
La direction artistique de 30 Birds est ainsi géniale, car elle est en parfait accord avec la légende qu’elle prétend adapter. La force du projet repose sur des gens de toute évidence très passionnés et ça peut se sentir. Ce que des budgets énormes ou une technologie de pointe manquent souvent d’avoir, c’est une vision esthétique radicale. Ici, les studios ayant travaillé sur 30 Birds sont aussi audacieux qu’ingénieux. Et c’est tant mieux.
Le jeu embrasse un style visuel évoquant les enluminures orientales du XIVème au XVIIème siècle, enrichi de touches de modernité et de fantaisie. Une parfaite excuse pour créer un univers de jeu en 2D, tout en rendant justice à l’imaginaire d’un autre temps. Dans les jeux récents, seul le Pentiment (2022) d’Obsidian avait osé ce choix – dans un genre médiéval européen cette fois.

Du côté du game design, les idées ne sont pas moins brillantes. L’univers que l’on parcourt enchante de par son simple aspect (et grâce à ses personnages, ses couleurs, ses décors, ses djinns) tout en étant surprenant dans sa forme. Par exemple, dans 30 Birds, le monde est constitué de lanternes qui sont toutes connectées. Visuellement, c’est déjà une superbe idée. Zig doit en parcourir toutes les faces pour en trouver les secrets, tandis que voyager d’une lanterne nous désoriente autant que ça nous fascine. On se perd dans un espace nouveau, conçu avec une mystique renversante (littéralement).
Il y a quelque chose de sincèrement touchant à visiter une contrée qui ne ressemble à aucune autre, jusque dans sa spatialisation même. Certains puzzles jouent aussi avec la structure des lanternes pour mettre en place quelques mécaniques de jeu intelligentes. C’est étonnant de constater qu’un style artistique né il y a plusieurs siècles puisse apporter de la fraîcheur à du game design en 2025. Il n’existe décidément que la mythologie pour faire se rencontrer d’une si belle façon des esprits issus de différentes époques.

En voilà donc des choix artistiques qui paraissent impossibles à concevoir dans un cadre dicté par les impératifs du réalisme graphique ou dans les algorithmes d’une IA. Car ici, chaque élément semble animé d’une volonté humaine : imparfaite, mais authentique. 30 Birds peut se targuer de représenter un art irrégulier, réunissant sans cohérence objective diverses inspirations (anciennes et modernes) pour obtenir un résultat hors-norme. En dehors des canons d’une industrie qui ne chercherait que la perfection.
Et sans même parler du processus humain, c’est aussi l’intention qui compte. L’intention des artistes d’autrefois. L’intention des artistes d’aujourd’hui. Elles se croisent, se renforcent entre elles et ouvrent le dialogue avec le joueur. Voilà quelque chose qu’une intelligence artificielle ne peut factuellement pas émuler. 30 Birds est loin d’être le seul jeu à avoir une âme, bien sûr. Mais il reste un bel exemple de ce qui redonne foi en la créativité humaine. Notamment dans le médium vidéoludique qui, malgré ses tendances au gigantisme, est encore parfois capable de toucher la grâce.
Merci pour l’article, je vais aller voir de plus près ce jeu.
Mais en faire un argumentaire anti-IA est risible, naïf au mieux. Pour UN jeu (ou série ou film) bien fait comme lui par des artistes, des créateurs véritables, combien de navets et de daubes sans intérêt elles aussi écrites par des humains sans talent et qui pourraient être remplacés par l’IA sans aucune différence ? Pourquoi défendre à tout prix le travail humain sans distinction plutôt que d’accepter qu’il y a du bon et du mauvais et ne pas pleurer si le mauvais disparait ? Ne pas verser dans le manichéisme primaire me semble plus productif, ici comme dans tant d’autres débats.
Ça m’a rendu bien curieux
Cool je vais y jeter un œil !